Instagram RSS

Laïcité élastique

Pour chanter Veni Creator

Il faut chasuble d’or

Nous en tissons pour vous, Grands de l’Eglise

Et nous, pauvres canuts, n’avons pas de chemise

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira

Nous tisserons le linceul du vieux monde

Car on entend déjà la tempête qui gronde (1).

L’annonce de la présence du Président de la République es qualité à la messe donnée par le Pape François dans quelques jours à Marseille soulève évidemment quelques questions dans la mesure où Emmanuel Macron n’est pas exactement un « croyant comme un autre » mais, précisément, le Président d’une République… dont on nous serine à longueur de tribunes et d’antennes le caractère laïque. On ne peut évidemment se satisfaire de l’affirmation selon laquelle le Président ne va pas communier : la vérité crue est qu’il va participer en tant que représentant de l’Etat à une cérémonie religieuse.

Souvent mise à toutes les sauces, la fameuse loi de 1905 est pourtant tout à fait éclairante sur les modalités qui régissent la séparation de l’Eglise et de l’Etat. C’est effectivement une loi de liberté religieuse et de liberté de conscience, comme l’atteste notamment son article 1 qui précise « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». Mais c’est aussi – il est bon de le rappeler dans la mesure où c’était quand même l’un des déterminants essentiels de son adoption – une loi qui tient l’Etat (et, par extension, les services publics) à l’écart de l’emprise des institutions religieuses et cléricales. Son article 2 précise en effet : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». C’est tout à fait explicite : la République ne reconnaît aucun culte. Ni la République ni, en principe, son Président !

Naturellement, cette participation du Président à la messe du Pape François n’est que l’une des nombreuses violations de la laïcité de ce gouvernement comme, d’ailleurs, de ceux qui l’on précédé : sans être exhaustif, on pense en premier lieu au régime concordataire toujours en vigueur en Alsace-Moselle ou encore aux subventions massives déversées sur l’école privée qui, dans sa très grande majorité, est une école confessionnelle et, plus précisément, une école catholique. Autant de raisons pour ne pas s’habituer ni se résigner aux concessions multiples vis-à-vis des appareils cléricaux quels qu’ils soient mais d’abord, évidemment, lorsque ces concessions concernent ce qui demeure en France le principal appareil clérical : l’Eglise catholique.

Mais soyons tout à fait honnête : on peut voir une difficulté pratique ou un paradoxe dans la critique de la présence de Macron à la messe de Marseille. Selon toute probabilité, les paroles du Pape concernant l’accueil des migrants seront nettement plus humanistes et, pour tout dire, progressistes que les mesures prises dans ce domaine par Macron et les autres gouvernements européens. Et, disons-le franchement : face à leurs politiques criminelles, on ne va pas faire la fine bouche ni trier les alliés potentiels selon leurs croyances réelles ou supposées.

Mais, évidemment, cela ne règle en rien la question soulevée par la présence de Macron qui, d’ailleurs, s’est incrusté assez grossièrement dans cette cérémonie. Son objectif n’est d’ailleurs pas de souscrire aux paroles du Pape sur l’immigration mais, au contraire, d’adresser un signe à la fraction la plus réactionnaire, machiste et homophobe de l’électorat, celle pour qui la référence est moins le Pape que l’Eglise catholique (de France). Or, la dernière fois que cette dernière est intervenue massivement dans le débat public, c’était il y a dix ans lors de l’adoption de la loi sur le « mariage pour tous ». L’Eglise a alors largement sponsorisé la Manif pour tous et l’organisation d’importants défilés, aux slogans raffinés tels que « les pédés au bûcher ! »

Parmi les hiérarques de l’Eglise, l’un des plus engagés dans la mobilisation était Monseigneur Barbarin, alors « numéro 2 » de l’Eglise de France. Or ses déclarations de l’époque étaient tout à fait explicites : « Pour nous, la première page de la Bible (qui dit que le mariage unit un homme à une femme) a un peu plus de force et de vérité qui traversera les cultures et les siècles que les décisions circonstancielles ou passagères d’un Parlement ». Au-delà de la personnalité pour le moins controversée de Monseigneur Barbarin – dont l’ascension a été stoppée nette, lorsqu’il s’est avéré qu’il avait contribué à protéger un prêtre pédophile – cette citation éclaire parfaitement le problème : soit l’on considère que c’est la délibération collective et le suffrage populaire (ou celui des assemblées élues) qui détermine la règle commune, soit l’on considère qu’il existe une Vérité révélée d’origine divine. L’un des avantages de la laïcité est précisément d’affirmer la prééminence de la démocratie sur la foi et, en conséquence, la nécessité de la séparation stricte entre ce qui relève de l’organisation politique et sociale et ce qui relève des croyances religieuses, lesquelles ne sauraient concerner que les croyants.

Pourtant quel contraste entre d’une part l’extrême complaisance du gouvernement et de Macron vis-à-vis de l’Eglise catholique et, de l’autre, la mise en avant agressive d’une laïcité … qui s’avère surtout à géométrie variable ! En réalité, le discours faussement laïc du pouvoir est entièrement dirigé contre l’islam et, plus précisément, la communauté « arabo-musulmane », comme on dit. Au fond, c’est Edouard Philippe qui vient récemment de vendre la mèche : il faut, dit-il, « imposer des obligations particulières aux fidèles et aux responsables des communautés musulmanes ». Hégémonique dans les grands médias, cette position qui cible une religion particulière est la négation même de la laïcité. C’est ce contexte et ce climat qui rendent aujourd’hui particulièrement sensible la présence d’Emmanuel Macron à « la prière de rue » – pardon, à la « messe dans un stade » – de Marseille, et imposent de ne rien laisser passer.

Comme le dit si bien le Chant des Canuts, cité en exergue de cet article : « Notre règne arrivera quand le vôtre finira » …

François Coustal

Note

(1) Le Chant des Canuts a été écrit en 1894 par Aristide Bruant.