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Portugal : le Bloco confirmé comme troisième force

Avec une participation similaire à celle des derniers scrutins européens – abstention de 65 % – le PS et la somme des deux partis de droite maintiennent quasiment inchangés leurs résultats obtenus en 2014, lorsque le PSD et DS gouvernaient et appliquaient alors le mémorandum de la troïka, allant ensemble dans les scrutins européens. Le Bloco avec 10% double sa représentation à Bruxelles.

Défaite de la droite à la veille des élections législatives

Avec 33,4 % des voix et neuf députés (un de plus qu’en 2014), le PS a pu chanter victoire le soir des élections. Du côté des vaincus se trouvaient les partis de droite – PSD avec 21,9 % et six élus (un de moins qu’en 2014) et le CDS qui a conservé son seul membre avec 6 %.

A gauche, c’est le Bloco qui a pu célébrer sa victoire en doublant ses voix (320 000), avec un pourcentage de 9,8 % et des députés, en réélisant Marisa Matias et en élisant José Gusmão. Le Bloco est également devenu la troisième force politique du pays aux élections européennes, à l’instar de ce qui se passe au Parlement national depuis 2015.

Le PCP n’obtient que 6,9 % des voix et suit la voie inverse : après un revers majeur lors des élections municipales de 2017, le PCP a perdu près de la moitié des voix aux élections européennes, passant de trois à deux députés. L’évolution électorale du PCP a une série d’explications : celle qui résulte directement d’une concentration de son électorat dans un électorat de personnes âgées ; la perte de votes « contre le PS » (due à la diminution de l’antagonisme historique avec les socialistes, conséquence des accords signés en 2015 et de l’approbation des quatre budgets de l’Etat) ; la perte de votes vers le Bloco (qui, dans ces quatre années, avait une conflictualité plus forte avec le PS).

Avec une campagne axée sur les questions environnementales, le Parti Humains-Animaux-Nature (PAN) a obtenu son premier député européen avec 5,1 % des voix, soit le triple du vote de 2014. Lié à la cause des droits des animaux, ce parti a déjà gagné un membre au Parlement national en 2015. Bien qu’il ait ensuite refusé de signer une entente avec le PS pour rendre le gouvernement possible, comme l’ont fait Bloco et le PCP, il finit toujours par voter à ses côtés sur les décisions les plus importantes. Cependant, une bonne partie du pouvoir d’attraction du PAN passe par l’effet novateur qui lui permet encore d’incarner un parti marginal au système politique. En 2014, cet effet donnait deux eurodéputés au MT, le parti qui a prêté son acronyme à la candidature populiste de l’ancien président de l’Ordre des avocats. Marinho e Pinto voit maintenant son plan de réélection s’effondrer de 7,1 % à 0,5 % des voix.

La crise qui a gâché les résultats

Quiconque lit les résultats de cette élection et de la précédente dira que tout était presque pareil. Mais ce n’était pas la réalité il y a quelques mois. Le candidat du PS, un ancien ministre des Travaux publics discret, inconnu de la population et manquant de compétence pour une campagne politique, est apparu plombé dans les sondages, alarmant tout le monde au siège du PS. La droite essayait de tirer parti de cette difficulté, le CDS oeuvrant pour renforcer sa présence au Parlement européen et dépasser le Bloco et le PCP, et le PDS donnant un carton jaune au gouvernement pour préparer l’assaut sur le pouvoir lors des prochaines élections législatives prévues début octobre.

Tout a changé d’un jour à l’autre avec un vote au Comité parlementaire de l’éducation. Tous les partis, à l’exception du PS, ont proposé au corps enseignant le recouvrement intégral des années de carrière gelées à partir de 2011. Il s’agit d’une revendication centrale de celui-ci que le gouvernement a toujours rejetée, même si elle a été appliquée dans les régions autonomes de Madère et des Açores, cette dernière avec un gouvernement à majorité absolue PS.

La proposition des députés a été utilisée par le Premier ministre Antonio Costa comme argument pour déclencher une crise politique, agitant la menace de la démission du gouvernement si elle était approuvée. Dans un communiqué publié début de mai, le dirigeant du PS s’est présenté comme responsable d’une politique de comptes adéquats. Et il rendait responsables les partis de droite, le PSD et le CDS, d’une « iresponsabilité » budgétaire, en voulant couler les comptes du pays. Il savait que l’opinion publique était du côté du gouvernement dans la guerre contre le corps enseignant et il a fallu quelques jours avant que la pression insupportable sur les deux partis de droite ne le fasse céder et reculer devant la proposition de récupérer les neuf années, quatre mois et deux jours de la carrière gelée des enseignants.

Le résultat de cette crise a été celui attendu par Costa : le corps enseignant a vu une fois de plus retardé son droit à ce que le temps qu’il avait réellement travaillé compte dans sa carrière ; le PS a de nouveau mobilisé son électorat et s’est distancé du PSD dans les sondages, pour finir par une campagne du parti qui, au début, semblait être un enterrement ; et le virage à droite était fatal aux aspirations du PSD et du CDS, ceux-ci radicalisant davantage leur campagne vers la droite et obligeant son candidat à tenir des propos similaires au VOX espagnol.

Et la gauche ?

Cette crise ouverte par le Premier ministre n’a pas eu une grande influence sur les résultats des partis de gauche. Le Bloco et le PCP ont maintenu leur cohérence avec la solution qu’ils avaient toujours défendue en ce qui concerne la carrière du personnel enseignant comme, d’autre part, Antonio Costa lui-même l’a assuré au moment où il a menacé de démissionner.

Comme il s’agissait des premières élections nationales après les accords qui ont permis le gouvernement minoritaire du PS, il est naturel que l’évaluation de cette option par les électeurs respectifs ait eu une certaine influence sur le résultat obtenu, sachant que le Bloco et le PCP présentaient les mêmes têtes de liste qu’en 2014. Si c’est ainsi, la démobilisation évidente de l’électorat communiste – toujours considérée comme plus fidèle en raison des bons résultats du parti aux élections avec une forte abstention – ouvrira un débat sur la manière dont le parti a agi ces dernières années.

Le résultat des élections européennes confirme le Bloco de Esquerda comme troisième force avec un vote de 10 %, identique à celui atteint lors des élections législatives de 2015 et des élections présidentielles de 2016 (également menées par Marisa Matias). Avec une campagne visant à mettre en avant la question de l’urgence climatique et la défense des droits sociaux menacés par Bruxelles, la seule femme parmi les 17 têtes de liste dans ces élections a mis de côté les rumeurs de la campagne, les attaques personnelles entre candidats, et a bénéficié de cette élection. Mais elle n’a pas hésité à confronter Antonio Costa avec son soutien à la droite libérale de Macron et aux négociations entre socialistes et libéraux pour la guerre de trônes de l’Union européenne ; une politique à l’inverse de celle suivie par le PS au Portugal dans la législature qui touche maintenant à sa fin.

Cette alliance avec la droite sur la scène européenne ne se répétera guère dans la politique portugaise, mais elle rendra également difficiles les futurs accords de gauche. A la lumière de l’échec de la stratégie de la droite – l’érosion de la solution politique résultant des accords entre le PS et les partis de gauche (le soi-disant gerigonça) – le PS a gagné en force pour tenter d’obtenir soit une majorité absolue dans le prochain parlement qui sera élu en octobre de cette année, soit de se rapprocher de cette zone dans laquelle il n’est pas nécessaire de négocier avec les partis de gauche et de trouver un partenaire plus petit et moins exigeant (comme pourrait l’être le PAN, qui élirait six députés avec son pourcentage aux européennes).

Mais le différend politique des prochains mois n’est toujours pas réglé. Dans les semaines à venir, le Parlement conclura deux des débats les plus importants de la législature : la Loi de Base pour la Santé, dans laquelle le PS refuse de mettre fin à la gestion privée des hôpitaux publics, et celle sur les modifications de la législation du travail, dans laquelle les socialistes et les employeurs cherchent à maintenir les droits volés sous la troïka.

Luis Branco. 28/05/2019. Publié sur le site de VientoSur.