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Une défaite, pas un désastre

Avant de se lancer dans des jeux de reconstruction politique, on peut commencer par essayer d’analyser les nouvelles conditions concrètes de la lutte des classes qui sont en train d’émerger en France et une partie de l’Europe.

La victoire de Macron en 2017, confirmée cette année, et la déroute de la droite classique sont une preuve que nous avons changé d’adversaires, et peut-être un signe ( encore un peu tôt pour l’affirmer avec certitude ) que la bourgeoisie a achevé une phase de mutation profonde, on pourrait même dire de révolution. Une partie des classes dominantes, la bourgeoisie tertiaire, a pris le pas sur une autre, celle des vieilles couches conservatrices d’exploiteurs liées à l’appareil industriel, qui n’a plus d’autre solution que de se rallier au nouveau pouvoir, sous peine de disparaître.

En face, dans notre camp, une mutation parallèle s’est déroulée dans la classe ouvrière, avec l’érosion des bastions industriels et des services publics. Aux dernières élections professionnelles, la CGT a été dépassée par la CFDT. On peut se contenter de dire « c’est une mauvaise nouvelle», ce qui est vrai ;  on peut aussi y voir le signe que la CFDT joue maintenant bien son rôle de  relais syndical d’accompagnement entre le patronat rénové et de nouvelles couches de salariés précarisés, éclatés dans leurs boîtes et  ubérisés.

Voilà pour l’état des forces productives.

Ce préliminaire, c’est pour montrer que, si on veut « fédérer le peuple », il faut d’abord se mettre d’accord sur ce qu’est le « peuple ». Je ne suis pas sûr que nous soyons tous sur la même longueur d’onde.

Electoralement, les couches les plus à l’aise dans le « nouveau monde », parmi les exploiteurs, mais aussi un peu chez  les exploités, ont migré vers LREM, tandis que les nostalgiques, des deux côtés de la barrière de classe, vont vers le RN. Vote d’adhésion ou vote efficace, difficile de faire le tri.

Et nous, la gauche, dans cette histoire ? Le problème est que nous en sommes globalement restés à des schémas stratégiques et tactiques adaptés aux anciens rapports de forces, que notre approche soit « populo-dégagiste » ou de type « union de la gauche ».

La première difficulté à surmonter est donc de trouver comment faire renaître une conscience de classe, qui se traduise par une volonté d’action politique, chez ces nouveaux salariés qui sont encore plus exploités que les autres.

Le mouvement des gilets jaunes a permis de remettre la question sociale au centre des préoccupations, donc d’entamer ce processus. C’est un début, rien de plus, rien de moins. Pas anticapitalistes, les gilets jaunes ? Pas toujours très clairs idéologiquement ? C’est vrai, mais, dans les périodes de mutation comme la nôtre, les mouvements sociaux sont rarement chimiquement purs, dans la composition sociale comme dans les objectifs, à l’exemple de ceux du XIXème qui ont ensuite donné naissance aux partis et syndicats ouvriers actuels.

La FI a bien fait de montrer son soutien aux gilets jaunes. Pour les syndicats,  « Solidaires » soutenait le mouvement, mais si les autres syndicats, en particulier la CGT, mais aussi  FSU et FO, avaient mieux accompagné la lutte dans toutes les régions, il aurait été possible d’unifier complètement les revendications exprimées et de faire la démonstration aux yeux de tous et toutes que ce mouvement était en opposition frontale avec l’ordre bourgeois.

Le mouvement ne s’est pas traduit par une sanction électorale du gouvernement ? Certes, et alors ? On peut se rappeler que mai 68 avait débouché sur une majorité introuvable UDR en juin 68, et que le 1er juin 69, la gauche n’était pas en très bon état ( total Duclos-Defferre-Rocard-Krivine : 30,95% ). La comparaison entre 68-69 et 2019 est sans doute abusive, car la pression d’extrême-droite n’existait pas à l’époque, mais ce rappel montre au moins qu’un mouvement social ne conduit pas nécessairement dans l’immédiat à un progrès électoral. Si on s’en tient à la seule vérité des urnes, il faut relativiser.

LFI s’est fracassée comme d’autres avant elle. Le programme était bon, Manon Aubry a fait une bonne campagne, mais la ligne du parti était confuse. Ceci dit, le problème principal est qu’aucun mouvement, gazeux ou non, ne peut prétendre incarner la gauche radicale dans son ensemble. C’est le syndrome de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Le PCF au XXème siècle, la LCR devenue NPA, en ont fait l’amère expérience, c’est au tour de FI…et EELV avec ou sans Jadot risque de subir la même déconvenue.    

A propos de la montée d’EELV : à première vue, elle complique les choses, mais peut aussi nous faciliter la tâche, si nous parvenons à démontrer que le capitalisme, ancien ou nouveau modèle, conduit nécessairement à la défaite de l’humanité.

J’ai signé l’appel lancé par Clémentine Autain, Elsa Faucillon et d’autres, simplement parce qu’il invite à ouvrir les portes et les fenêtres, à se parler et à s’écouter, ce qui ne serait déjà pas si mal. J’aimerais seulement qu’on évitât de parler de « big bang », expression qui me fait plus penser au Rocard de 1993 qu’à un modèle d’expansion de l’univers politique.

Essayons de faire des prochaines municipales un enjeu national, pas sur le mode référendum anti-Macron, ça ne marche pas, mais en partant des conditions de vie des « vrais gens » dans leurs villes. Là-dessus, la revendication écolo peut nous aider.

Si on veut éviter de renouveler la situation ridicule des élections européennes, une gauche en confetti, il faut s’adresser aux individus et aux organisations, à tous les niveaux. C’est de la tambouille ? Peut-être, mais avons-nous le choix ?

Antoine Hollard (Ensemble Béarn)