Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la pauvreté a explosé et les très hauts revenus se sont envolés. Il est bien le président des riches : il méprise les classes populaires. La puissante mobilisation contre la réforme des retraites a contribué à remettre la question des inégalités et du partage des richesses au centre du débat et de la confrontation politique et sociale. Elle a mis en évidence l’isolement du pouvoir et sa fragilité. Dans ce contexte, après 4 mois de lutte massive et exemplaire, alors qu’il est passé en force contre la démocratie sociale et le parlement, en usant de toutes les ressources institutionnelles dont dispose le gouvernement, Macron veut avec cynisme tourner la page et reprendre la main. Significativement, il cherche à le faire par deux moyens : en s’en prenant aux titulaires du RSA et en relançant son offensive contre l’enseignement professionnel scolaire. Cette voie qui scolarise massivement les jeunes (plus de 600 000) issu·es des classes populaires. Augmenter les salaires et les minima sociaux, il n’en est pas question. Au contraire : le gouvernement attaque les titulaires du RSA et casse les lycées professionnels.
« Il n’y a qu’à traverser la rue… »
C’est bien une « réforme Macron » qu’il a annoncé jeudi 4 mai à Saintes (Charente-Maritime). On se souvient de sa méprisante réponse à un jeune adulte qui l’interpellait sur sa difficulté à trouver un emploi dans le secteur où il s’était formé et qualifié : « il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du travail…». Il visait les métiers en tension qui peinent à recruter en raison de salaires trop faibles et de conditions de travail trop pénibles. La finalité centrale de l’attaque qu’il conduit c’est précisément de renforcer l’adéquation de la formation professionnelle des jeunes à un marché du travail déréglementé, précarisé et où les salaires sont insuffisants pour vivre dignement. L’augmentation des périodes passées par les élèves en entreprise au cours de leur cursus, au détriment de leur préparation à la poursuite d’étude, et l’adaptation de l’offre de formation aux besoins locaux d’emplois, sont les mesures clés de sa nouvelle offensive contre l’enseignement professionnel scolaire.
La réforme engagée s’articule donc au projet « macronien » ultra-libéral de « plein emploi », fondé sur la déréglementation massive du marché et du travail lui-même (Loi Travail), l’explosion de l’emploi précaire, sous-qualifié et sous rémunéré, et la casse des qualifications.
Accentuation du tri social
Promesse du candidat président en 2022, l’allongement des périodes de formation en entreprise avait été abandonné par le gouvernement cet hiver. Après la mobilisation puissante des personnels et des organisations syndicales de l’éducation à l’automne et une bataille d’opinion intense, relayée fortement par les élu·es de la NUPES au Parlement, la ministre chargée du dossier, Carole Grandjean, avait reconnu dès janvier une « absence de consensus » sur ce point et annoncé un recul. Emmanuel Macron – démontrant une fois de plus que le dialogue social consiste selon lui à ne tenir aucun compte du résultat des concertations et des mobilisations pour imposer SES réformes – a fait revenir l’idée par la fenêtre en la concentrant sur l’année de terminale. La logique qu’il veut mettre en place est particulièrement perverse. Elle articule entre elles trois dispositions nouvelles introduites par sa réforme : une gratification des élèves payée par l’Etat pour les périodes de formation en entreprise, l’allongement possible jusqu’à 12 semaines de ces périodes en terminale de baccalauréat professionnel, et enfin l’obligation pour les élèves d’opter, toujours en terminale, entre une insertion professionnelle immédiate ou une poursuite d’études post-bac, notamment en BTS.
La disposition centrale est bien ici l’instauration d’un tri entre élèves avant l’examen, par l’introduction de deux options en terminale. L’une d’elle étant liée à une sortie précoce du système éducatif et donnant lieu à une période de dix à douze semaines de stage en entreprise pour la dernière année de formation. Douze semaines ! Soit un tiers du temps total de formation sur l’année scolaire de terminale ! Ce qui ne sera pas sans conséquence sur les conditions de réussite au diplôme… L’accentuation du tri-social entre élèves est donc au centre de la réforme. Et il est clair que la logique contenue dans ces dispositions est non seulement le renoncement à l’élévation des qualifications pour la partie la plus fragile et/ou la plus en difficulté des élèves, mais même pour beaucoup d’entre elles/eux, le renoncement à ce qu’elles/ils accèdent au diplôme du baccalauréat professionnel.
Un miroir aux alouettes
Ainsi, l’introduction d’une gratification pour les périodes de formation passées en entreprise prend son véritable sens : c’est un piège. Il est fait pour masquer cyniquement un dispositif mis en place pour pousser une partie des élèves de terminale de baccalauréat professionnel vers la sortie du système éducatif et les inciter à se mettre à n’importe quel prix à la disposition des entreprises. Et l’obsession néo-libérale de Macron que l’école – et les jeunes en formation – répondent aux besoins d’emplois à court terme des entreprises et se subordonnent aux employeurs, s’exprime de nouveau de manière éclatante dans cette nouvelle offensive contre l’enseignement professionnel scolaire.
Alors que la contribution patronale au budget de la formation professionnelle est nettement insuffisante, le financement par l’Etat de la gratification accordée aux élèves stagiaires est un nouveau cadeau aux entreprises. A côté des subventions massives qui leur sont accordées sous diverses formes pour l’embauche d’apprenti·es, voilà que la réforme impute au Budget la gratification des périodes de formation en entreprise des élèves des lycées professionnels. L’effort consenti à hauteur de 1 milliard par an pour la revalorisation de la voie professionnelle sera donc pour l’essentiel consacré au financement de cette mesure. Or les jeunes en formation professionnelle sous statut scolaire sont des élèves : la contribution du budget de l’état à leur formation doit aller au service public, aux lycées professionnels. Il n’est pas inutile de rappeler dans ce contexte que plusieurs rapports (en particulier l’Inspection Générale des Finances en 2021 et la Cour des Comptes en 2023) ont souligné que la loi de 2018 sur la formation professionnelle a engendré des dépenses très importantes de la part de l’État en lien avec la dérégulation de la formation professionnelle.
Pourtant, dans une voie de formation dont 90 % des établissements affichent un Indice de Positionnement Social inférieur à la moyenne nationale et où se concentrent la difficulté scolaire et sociale et le handicap, les besoins sont considérables pour lutter contre les inégalités et mieux accompagner les élèves et leurs familles. Bien au-delà du milliard consenti sur un dispositif qui s’avère un piège tendu aux élèves et aux familles de catégories populaires. On aurait pu par exemple remettre sur pied une politique d’éducation prioritaire en lycée et LP (supprimée en 2016, sous le gouvernement Hollande), développer la gratuité (des transports, de la demi-pension et des internats), renforcer les fonds sociaux et développer le système des bourses, etc.
Soumettre l’offre de formation aux « besoins locaux d’emplois »
Last but not least, la réforme porte explicitement le projet d’assujettir l’offre de formation aux besoins locaux d’emplois. Autant dire à la demande patronale. On est bien loin des discours tenus (et des vagues promesses faites à certains collectifs…) au cours des table-rondes organisées par Caroline Grandjean sur « la rénovation de l’offre de formation ».
En pratique, l’enjeu pour le gouvernement est avant tout de faire évoluer le pilotage des cartes de formations région par région, en y intégrant beaucoup plus centralement les entreprises et les bassins d’emplois, pour aller vers une programmation dictée essentiellement par la demande patronale exprimée au plan local. En cela aussi la réforme présentée à Saintes par Emmanuel Macron porte la marque de l’idéologie présidentielle : elle vise à transformer les finalités générales de l’enseignement professionnel pour l’adapter aux contraintes étriquées du « prêt à l’emploi ». Au détriment du rôle de formation globale du lycée et en contradiction avec l’objectif d’assurer la mobilité sociale et professionnelle à long terme des jeunes issu.es de l’enseignement professionnel.
Cela implique pour les prochaines rentrées un plan social massif dont les formations étiquetées comme « non-insérantes » feront les frais. Ainsi les formations tertiaires (Commerce, Accueil, Gestion-Administration), fortement féminisées et accueillant beaucoup d’élèves dont l’orientation se fait par défaut, sont particulièrement ciblées. Mais, bien loin de diversifier réellement l’offre – vers les métiers de la santé, du sport, de l’animation socio-culturelle, de l’audio-visuel et du spectacle vivant, etc. – le discours sur « l’insertion » déguise de manière commode des choix à court terme dictés essentiellement par les entreprises, beaucoup plus que par les besoins et les attentes réelles de formation des jeunes concerné·es. On se demande bien, d’ailleurs, comment l’équipe chargée de la réalisation et de la mise en œuvre des outils destinés à la confection de ces nouvelles cartes de formation a travaillé : aucun échange avec le terrain, aucune consultation des instances régionales qui tous les ans préparent la révision de ces cartes… A la lecture des CV de l’équipe de la Startup chargée de cette refonte, on est en droit de se demander s’il ne s’agit par d’une Intelligence Artificielle : https://beta.gouv.fr/startups/pilotagevoiepro.html .
Brutalité et mépris pour les enseignant·es et les élèves
Le plan social a été annoncé ce vendredi 5 mai sur France Info, pour la rentrée prochaine, au détour d’une interview du ministre et sans aucune préparation. Or, la « reconversion » éventuelle de très nombreu·ses enseignant·es cela s’anticipe et se prépare, cela nécessite un plan de formation et d’accompagnement, de la concertation et du temps, etc. Cela exige un travail sérieux sur les postes à même d’accueillir ces personnels… Rien de tout ceci n’est pris en compte, ni même n’a commencé à être considéré. Pour bien mesurer l’impréparation et la brutalité des annonces du ministre vendredi : nous parlons là de 35 000 professeur·es des lycées professionnels, dont au moins 15 000 sont potentiellement concerné·es dès la prochaine rentrée, en septembre 2023. Ajoutons les milliers de personnels précaires (contractuel·les) qui seront brutalement (r)envoyé·es au chômage. Le mépris de Macron et ses ministres pour l’enseignement professionnel et ses élèves se lit aussi dans ce mépris pour les personnels qui, au quotidien, travaillent au sein de ce service public essentiel pour les jeunes des classes populaires.
Pour les enseignant·es qui resteront en lycée professionnel, Macron est grand seigneur : doublement du « Pacte » annonce-t-il. Sauf que, là encore, le diable se cache dans les détails. Contrairement aux autres enseignant.es, les professeur·es de lycée professionnel n’auront pas le choix. Pour bénéficier du « pacte », il faut s’engager (la rémunération est « contractualisée avec le chef d’établissement ») pour un nombre de missions délirant : remplacement des collègues absent·es, deux heures hebdomadaires supplémentaires de face à face pédagogique, participation à l’ensemble des nouveaux dispositifs du LP, aux options, à l’intervention dans les « parcours de consolidation », dans le dispositif « Ambition Emploi », à l’accueil des élèves de collèges sur les plateaux techniques, à la coordination d’équipe, à « l’interface entre les lycées et les entreprises, les institutions, les partenaires et tous les acteurs du service public de l’emploi »…
Avec sa nouvelle offensive sur l’enseignement professionnel, Macron tente de sortir de l’impasse politique dans laquelle la crise de régime liée au mouvement contre la réforme des retraites l’a placé. Il agit comme toujours avec brutalité. Tant sur le fond que sur la forme : l’Élysée a annoncé que la réforme se ferait « essentiellement par la voie réglementaire ». Il donne aussi une nouvelle illustration du mépris social qu’il voue aux jeunes issu·es des catégories populaires.
Lorsque dans son intervention à Saintes Macron répond à celles et ceux qui l’accusent de privatiser l’enseignement professionnel qu’elles et ils doivent « répondre » d’un « système mal foutu », il leur impute les conséquences de la casse progressive de cette voie de formation. Et notamment les dégâts causés par la réforme de J-M. Blanquer, son précédent ministre de l’éducation. La rhétorique amnésique du président des riches ne parvient même plus à masquer cela.
Au fond, c’est bien connu, dans le monde macroniste, si on est pauvre on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. D’ailleurs, la « transparence » des taux d’insertion professionnelle par établissement sert non seulement à organiser la concurrence entre les LP, mais à renvoyer chaque élève, chaque famille à sa propre responsabilité : si vous ne choisissez pas le « bon » lycée professionnel, la bonne formation, tant pis pour vous…
Décidément, Macron et son monde c’est en même temps « tant pis pour vous » et « chacun pour soi ». Arrêter son projet sur l’enseignement professionnel et désarmer le président des riches est une urgence !
Emmanuel Arvois, Matthieu Brabant, Valérie Durey, Emmanuelle Johsua, Myriam Martin (Enseignant·es en Lycée Professionnel, syndicalistes)