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Un accélérateur de la course aux armements

Bob47, Creative Commons Attribution 3.0

Le débat sur la loi de Programmation militaire (LPM) va s’ouvrir à l’Assemblée Nationale dans les jours qui viennent. Les enjeux sociaux, écologiques, et en terme de militarisation de ce qui va être débattu sont importants, lourds de dangers. Les écosocialistes, la gauche devraient davantage se saisir de ces questions …

1/ Au plan international

En 2021, les dépenses militaires mondiales sont évaluées à 2100 milliards de dollars ( en 1980 au moment de la relance de la course aux armements par Reagan, elles étaient de 1500 milliards de dollars – prix et taux comparables). Jamais sur la planète, il n’y a eu autant d’armes en circulation même si en % du PIB les dépenses militaires ont diminué depuis les années 1990.

Cette dépense est concentrée dans 15 pays ( les 5 premiers étant les USA, la Chine, l’Inde, le Royaume Uni, la Russie , la France arrivant juste derrière) ; il faut noter une forte hausse de ces dépenses en Asie et au Moyen Orient, alors que l’Europe dépense moins en % du PIB que dans les années 80. L’OTAN a donc fixé comme objectif pour les pays européens de consacrer 2% de leur PIB pour leurs dépense militaires et on assiste à une ré augmentation importante de ces dépenses  : ainsi, le Royaume-Uni (68,4 milliards), la France (56 milliards) et l’Allemagne (56 milliards), se renforcent depuis le milieu des années 2010.

Il faut noter que cette hausse est bien antérieure à l’invasion russe en Ukraine . Par ailleurs, l’essentiel de cette hausse de crédits est consacré à la mise à niveau du nucléaire pour les puissances dotées de cet armement et aux dépenses de recherche et développement, ce qui pousse certains à déplorer que cela se fasse au détriment des armements classiques ( avions, chars, munitions, …)

2/ En France :

On peut remarquer que seule la politique de défense dispose d’une telle loi de programmation sur plusieurs années comme si la Santé, l’Éducation ou la culture n’avaient pas besoin de planification

La loi de programmation 2024-2030 prévoit une augmentation considérable des dépenses : 413 milliards contre 293 milliards pour la précédente 2019-2025 soit près de 41% d’augmentation ( ce qui devrait faire passer le budget militaire à près de 69 milliards en 2030 contre 33 milliards en 2017. Le premier quinquennat Macron avait en effet été marqué par une augmentation des dépenses militaires qui atteignent dorénavant près de 2% du PIB – à titre indicatif, le budget annuel de l’Éducation Nationale est de 56 milliards, celui des armées de 41 milliards ( hors pensions).

La France fait partie des 9 « puissances nucléaires » ( avec la Russie, les USA, la Chine, le Royaume Uni, le Pakistan, l’Inde, Israël et la Corée du nord) en 3ème position ( près de 300 ogives) contre les USA (5400) et la Russie (6000) loin devant la Corée du Nord (20) et fait partie du club très restreint avec les USA, la Russie et la Chine des pays possédant la panoplie complète (des missiles terre- terre, des sous marins nucléaires lanceurs d’engins, des avions porteurs d’ogives nucléaires). Le coût d’entretien, de modernisation, de sécurisation est considérable ; ainsi d’après les prévisions de la loi de programmation militaire 58 milliards vont y être consacrés sur les 6 ans à venir, ce qui provoque l’agacement des généraux des armées de terre, air ou mer équipées d’armements conventionnels pour qui la modernisation des équipements, le remplacement de certains matériels vieillissants ne vont pas assez vite. Le nouveau porte avions nucléaire ( mise en chantier prévue en 2026, premiers essais en 2036) coûtera probablement 10 milliards d’euros.

L’autre priorité annoncée concerne l’espace, les fonds sous-marins et le cyber mais aussi l’équipement massif en drones et anti-drones.

La justification de cet effort considérable est la multiplication des dangers dans un monde incertain en provenance d’Asie, du Proche et Moyen Orient, de l’Est de l’Europe et la défense des positions de la France en Outre-Mer.

Cette politique inflationniste, contradictoire avec la nécessité de la « rigueur budgétaire » devrait permettre à la France de préserver sa place de 3ème exportateur d’armes au monde (pour plus de 11 milliards de vente et pour 25 milliards de contrats passés en 2021 et entre 2012 et 2021 près de 92 milliards de matériels vendus) d’avions, frégates à des régimes aussi sympathiques que ceux d’Égypte, d’Inde, du Qatar, d’Arabie Saoudite, des Émirats Arabes Unis. On peut aussi noter qu’il a été livré pour 420 millions d’armes à l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe.

Au delà de cet effort budgétaire, nous sommes en face d’un pas supplémentaire dans la militarisation du pays ; en effet dans la présentation de cette loi de programmation militaire, on nous annonce: « Le passage à une économie de guerre doit permettre de préparer notre outil militaire aux conflits futurs et à tenir dans la durée. L’économie de guerre impose de concevoir les équipements futurs des armées en trouvant un équilibre entre rusticité et hyper-technologie, tout en conciliant supériorité opérationnelle, délais de production rapide et coût de possession pour l’État. »

3/ Le SNU

Dans son programme, Macron avait assuré vouloir « renforcer le lien armée-nation » grâce à la mise en place d’« un service national de durée courte, obligatoire et universel ». Les retours et couacs gouvernementaux sur la question ne signifient pas l’abandon du projet qui entre dans le cadre général d’une militarisation de la société en « économie de guerre » face à une jeunesse précarisée qui pourrait se révolter.

4/ Du côté de la NUPES et de la FI

Lors de l’écriture du programme de la NUPES au printemps 2022, les questions de la défense avaient fait l’objet de constats de divergences entre autres, sur l’OTAN ( FI et PCF prônant le retrait du commandement intégré puis de l’alliance tandis que le PS propose le maintien) , sur la présence militaire française eu Sahel ( FI et PCF se prononçant pour le retrait). Les accords portaient sur l’écriture d’une nouvelle LPM, la nécessité d’une politique de défense soucieuse des changements climatiques, la priorité à l’équipement en matériel militaire français et la vigilance sur les destinataires des exportations d’armes.

Du côté du programme de l’Avenir En Commun est affirmée la nécessité de construire une défense indépendante, républicaine et populaire en dehors de toute alliance militaire permanente, ce qui suppose l’écriture d’une nouvelle LPM ; il faut noter qu’est proposée « la possibilité d’un service militaire comme composante optionnelle du service citoyen obligatoire »

Dans les 2 cas, il y a un certain nombre de points aveugles sur les contenus d’une nouvelle LPM

Quelle est la part du budget consacrée à la défense ?

La France doit-elle continuer à entretenir à de tels niveaux, et développer une force de frappe nucléaire ?

Quelles initiatives prendre pour aller vers une désescalade ?

Se pose aussi la question du nucléaire : civil et militaire sont fortement imbriqués dans de ce domaine et il est peu cohérent d’être favorable au nucléaire civil sans l’être pour le militaire et inversement …

5/ Pour celles et ceux qui se revendiquent de l’Ecosocialisme.

Une évidence est que cet effort budgétaire considérable ne se fera qu’au détriment de la Santé, l’Éducation, la Culture et l’ensemble des Services Publics ; la formidable mobilisation contre la réforme des retraites et l’exigence de mettre la question sociale au centre ne peut s’accommoder d’une telle politique qui se fera sur le dos des classes populaires. Nous ne sommes pas favorables à l’augmentation des budgets militaires.

La France, puissance impérialiste sur le déclin entend garder sur ce terrain sa place, en s’alignant sur les injonctions de l’OTAN d’un niveau de dépenses à au moins 2% du PIB. De ce point de vue, elle tourne le dos à une politique qui consisterait à aller vers une démilitarisation de la planète. Elle participe donc à faire planer la menace d’un conflit mondial qui pourrait aller jusqu’à la destruction de l’humanité. D’ailleurs, son arsenal nucléaire utilisé intégralement et en même temps permettrait de rayer une bonne partie de l’humanité et va bien au delà de ce qu’il est convenu de nommer « la dissuasion du faible au fort » pour justifier sa possession, son entretien et son coût.

Cette politique est totalement anti écologique : par exemple, la construction du porte avions géant pour 10 milliards devrait être considérée comme faisant partie des « grands projets inutiles ».

Anti-sociale, anti-écologique, anti-pacifiste, ce nouveau coup d’accélérateur dans la course aux armements doit être combattu, l’écosocialisme ne peut s’accommoder de cette escalade

Le débat parlementaire doit être l’occasion de dénoncer cette politique anti-sociale, anti-écologique, anti-pacifiste et de reprendre cette discussion dans la FI, dans la NUPES où sur ce point particulièrement, le programme doit être précisé, enrichi . En particulier, la question de la force de frappe nucléaire, au delà de son coût pharaonique, doit être revue : la possession par notre pays d’une capacité de destruction d’une bonne partie de l’humanité va bien au delà du concept de la simple dissuasion « du faible au fort » et ne peut être défendue par les écosocialistes.

Il peut paraître difficile de soutenir l’exigence du peuple ukrainien de recevoir du matériel militaire pour se défendre contre l’agression de l’armée russe, tout en proposant que la France comme 3ème puissance nucléaire mondiale devrait s’engager vers la désescalade et contre cette nouvelle course aux armements, nous devons néanmoins nous y tenir … Il est urgent de débattre de tout cela, de ne pas laisser la main aux « experts » et aux généraux, d’avoir un point de vue pacifiste, écologiste et socialiste sur ces questions.

Bernard Galin