«C’est dans ta tête», «c’est normal d’avoir mal pendant ses règles», «tu es tout le temps fatiguée», «tu as pensé à aller voir un psy ?», «tu devrais changer de partenaire si tu as mal pendant les rapports», «tu es une chochotte»… Ces phrases, de très nombreuses femmes les entendent au quotidien lorsqu’elles expriment leurs douleurs liées à une maladie trop méconnue du grand public et des institutions : l’endométriose.
Cette affection chronique, inflammatoire et incurable, correspond au développement de la muqueuse utérine qu’est l’endomètre en dehors de l’utérus pour venir toucher d’autres organes. Règles douloureuses, saignements, troubles digestifs, fatigue chronique, douleurs lombaires… Les souffrances liées à l’endométriose sont nombreuses et peuvent considérablement varier d’une femme à l’autre, ce qui joue pour beaucoup dans les difficultés de diagnostic et la sous-évaluation du nombre de malades.
Une certitude : les chiffres laissent entrevoir une maladie extrêmement répandue puisqu’elle toucherait au moins une femme sur dix – certaines estimations pointent même le chiffre de quatre millions de personnes atteintes. Il s’agit bien d’une affection de masse qui percute de plein fouet la vie de millions de femmes, dans une forme qui va des douleurs localisées et ponctuelles jusqu’aux formes les plus lourdes de handicap, le dérèglement du système nerveux, la mise en invalidité, les cures de kétamine et les opérations chirurgicales à répétition.
Invalidante pour 80 % des femmes qui en sont victimes et à l’origine de problèmes de fertilité pour 40 % d’entre elles, l’endométriose est restée jusqu’à il y a peu dans l’angle mort des politiques publiques et de la recherche médicale. Moi-même, j’ignorais jusqu’à ces dernières années l’existence de cette maladie, pourtant connue des scientifiques depuis le XIXe siècle, et les implications qu’elle pouvait engendrer au quotidien.
Sept années d’errance médicale
Longtemps frappée par le tabou qui touche depuis des siècles les règles et les douleurs féminines, il aura fallu attendre… 2020 pour qu’elle fasse enfin son entrée dans le programme de second cycle des études de médecine. En plus de la douleur de la maladie, les femmes souffrant de l’endométriose doivent ainsi traverser un véritable parcours de la combattante pour se faire diagnostiquer – sept années d’errance médicale en moyenne, qui laissent le temps à la maladie de se développer – et pour faire reconnaître leurs droits.
Aujourd’hui, alors que l’endométriose est une maladie incurable et que les traitements n’agissent que partiellement sur certains de ses symptômes, elle n’est toujours pas reconnue comme une des affections de longue durée (ALD) qui ouvrent le droit à une prise en charge des soins, à des arrêts maladie, à des possibilités d’aménagement au travail. Cela signifie qu’une patiente doit effectuer une démarche spécifique auprès de son médecin traitant pour espérer le remboursement de ses soins, sans aucune certitude de l’obtenir. Cette situation, en plus de créer d’immenses disparités selon les régions et les profils des praticiens, est un obstacle important à la reconnaissance institutionnelle de la maladie. Ce n’est plus tolérable.
Pour les millions de femmes concernées, pour toutes celles qui souffrent de l’endométriose sans le savoir, pour toutes celles qui vivent un enfer au quotidien et voient la pression financière et le mal-être au travail s’ajouter à la souffrance physique et psychologique, cela doit changer. C’est pourquoi je vais défendre jeudi, dans la niche parlementaire de La France insoumise, une proposition de résolution visant à faire reconnaître l’endométriose dans la liste des affections de longue durée.
Il ne suffit pas d’en parler
Au même moment, le président-candidat Macron annonce le lancement d’une «stratégie nationale de lutte contre l’endométriose». Je me félicite que nous ayons réussi à inscrire ce sujet majeur pour les femmes à l’agenda du pouvoir en place. Mais dans ce plan, nous entendons les mêmes axes que ceux déroulés depuis des années et n’ayant débouché sur aucune action concrète. Aucun budget n’est annoncé, aucune date de mise en œuvre n’est prévue.
Les promesses de «centres d’expertise», d’un plan de formation des soignants, de moyens dédiés à la recherche… étaient déjà dans la bouche du candidat Macron interrogé par le magazine Elle en 2017, reprises quasiment à l’identique par Agnès Buzyn deux ans plus tard. Depuis, aucune de ces annonces n’ont quitté les plateaux de télévision.
L’endométriose, il ne suffit pas d’en parler. La reconnaissance en «affection longue durée» ne peut être balayée d’un revers de la main sous couvert de mesures parcimonieuses à venir. J’appelle l’ensemble des parlementaires à prendre leurs responsabilités et à voter en conscience en faveur d’une proposition plébiscitée par 91% des Français, selon un sondage réalisé dans le cadre de la niche parlementaire de La France insoumise.
La mesure concrète que nous proposons aurait un effet boule de neige vertueux. En plus de faciliter le parcours de soins des patientes et de les soulager financièrement, elle ouvrirait la voie à des investissements dans la recherche publique (aujourd’hui lacunaire et souvent financée par les associations de malades) et permettrait d’enfin mieux sensibiliser le grand public à cette maladie aussi répandue qu’elle est méconnue.
Changer la vie de millions de femmes
Cette urgence, nous pouvons y répondre en surmontant les oppositions politiques et en gardant pour seule ligne de mire l’amélioration des conditions de vie et de soins des malades. C’est dans un esprit de concorde que nous devons avancer, en engageant l’Assemblée nationale et le gouvernement sur un chemin qui est celui de l’élévation des droits et de la reconnaissance des souffrances. C’est ainsi que ma proposition a été cosignée par de nombreux députés de tous bords, à l’instar de la campagne menée précédemment par ENDOmind et qui avait alors réuni plus de 300 parlementaires.
Chacun d’entre nous connaît au moins une personne touchée par l’endométriose. Les associations, les victimes, les proches nous poussent aujourd’hui plus que jamais à agir. Ce jeudi, nous pouvons changer la vie de millions de femmes en luttant contre une maladie qui se répand et s’aggrave en restant hors des radars du grand public. Cette responsabilité, grave et collective, nous oblige.
Clémentine Autain, députée LFI de Seine-Saint-Denis. Tribune publiée dans Libération.