Instagram RSS

Hésitations vaccinales et révoltes anticoloniales en outre-mer

Pep la ja chwézi ?

“Il est temps d’en finir avec une approche qu’on pourrait qualifier de coloniale”, Jean Luc Mélenchon a mis les pieds dans le plat ce mercredi 12 janvier pour dénoncer la gestion de la crise en Guadeloupe et en Martinique. Depuis plusieurs jours en effet, avec la perspective de la suspension des non-vacciné.es, la situation se tend, en particulier en Guadeloupe.

Malheureusement, le traditionnel « bain démarré », bain rituel de début d’année pour se débarrasser des influences négatives accumulées dans l’année précédentes n’a pas permis de faire retomber les tensions de l’année 2021..

Le 30 décembre, une manifestation du collectif des organisations en lutte contre l’obligation vaccinale (qui regroupe syndicats, associations et collectifs comme l’UGTG ou le LKP) a été violemment réprimée à coup de gaz lacrymogène et de charges policières. Eli Domota, un des dirigeants de l’UGTG (Unyon Général a Travayè Gwadloup) et porte-parole du LKP (Liyannaj Kont Pwofitasyon) est gazé en plein visage, menotté et emmené en garde à vue. Il sera libéré le soir même mais convoqué le 7 avril prochain, devant la justice, pour “violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique sans ITT“. 1

Quelques jours après, le 4 janvier Gérard Cotellon, directeur général du centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe  (CHUG) et son adjoint, Cédric Zolezzi seront molestés par des manifestant.es venus faire le siège de l’administration hospitalière pour demander la levée des suspensions de personnels non vacciné.es.

Comme un symbole, le samedi 8 janvier, 2 mobilisations sont organisées simultanément, l’une était un rassemblement au Mémorial Act (« Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’Esclavage ») pour dénoncer les violences et les intimidations contre le personnel hospitalier, l’autre plus fournie organisée par l’intersyndicale et le Collectif des organisations en lutte était un vrai « déboulé » au départ du CHU.2

Au « Nou bon èpi sa » lancé par Serge Romana (un des initiateurs de la marche du 23 Mai 1998 pour reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité) et d’autres au Mémorial Act pour dénoncer ce qu’ils appellent un climat de terreur et de désinformation autour de la crise sanitaire, Maïté Hubert Mtoumo secrétaire de l’UGTG (Unyon Général a Travayè Gwadloup) et d’autres du collectif des organisations en lutte et des principales organisations syndicales répondent par un cinglant « Pep la ja chwézi ! » , le peuple guadeloupéen a déjà tranché, affirmant ainsi qu’il serait très majoritairement derrière le Collectif.

Ce qui est sûr c’est qu’on est pas dans la même situation que lors du mouvement contre la vie chère en 2009. Le contexte est d’une certaine manière plus instable et plus tendu, la population est majoritairement attentiste par rapport à la vaccination mais ce mouvement est loin de faire l’unanimité que faisait celui de 2009. Il est donc inévitable que la situation s’envenime très rapidement quand l’état français refuse toute négociation et ne réponds à la colère sociale que par des provocations et la répression.

Encore une fois dans la nuit du 9 au 10 janvier, l’état a immédiatement réprimé, le piquet de grève installé devant le CHU de Guadeloupe a été violemment démantelé et il y a eu de violents affrontements entre manifestant.es et gendarmes mobiles avec des interpellations et quelques blessé.es côté manifestant.es.3

Il est vraiment temps que « l’Etat choisisse d’autres méthodes » comme le dit Mélenchon. Cela fait des mois qu’il ne cesse de jeter de l’huile sur le feu sur la gestion de la crise sanitaire aux Antilles alors que ce qui se joue autour de ce mouvement va bien au-delà de la seule question sanitaire.

Une crise sociale et politique comme en 2009

La Martinique et la Guadeloupe ont en effet connu une fin d’année agitée en particulier depuis le 15 novembre, date à laquelle devait entrer en vigueur à l’origine l’obligation vaccinale avec à la clé la suspension des professionnels non vacinné.es.

Grèves, barrages routiers, meeting, « déboulé », piquets de grèves pour bloquer le port, mais aussi émeutes urbaines, affrontements avec la police, pillages parfois, les mois de novembre et décembre ont été chauds. Ce mouvement si particulier dont le déclencheur a été le refus de l’obligation vaccinale et la méfiance par rapport à la vaccination a vu s’entremêler et s’entrechoquer des mots d’ordre contre la vaccination obligatoire, des arguments antivaxx, des revendications contre la vie chère, contre le mépris coloniale de l’Etat français et a vu aussi coexister la mobilisation organisée des militants syndicalistes et politiques, le mouvement citoyen des barrages routiers et la colère d’une jeunesse précarisée souvent au chômage qui a la nuit tombée laissait exploser son désespoir.

Les médias français en ont évidemment fait beaucoup sur les arguments antivaxx parfois portés il est vrai par certain.es manifestant.es et/ou militant.es ou sur les voitures brûlées, les magasins pillés, voir les quelques épisodes de racket organisés sur certains barrages mais ils en ont fait moins sur les revendications portées par les intersyndicales en Martinique et en Guadeloupe qui reprenaient pour une bonne part celles du mouvement contre la vie chère de 2009. Et ils ont très peu parlé des barrages auto-organisés, rebaptisés parfois « république indépendante » « démocratique » ou « autonome », lieux d’élaboration démocratique où parfois des cahiers de revendications ont été rédigés. « La République de la Boucan » sur la commune de Sainte-Rose en Guadeloupe était l’un de ces barrages où des militant.es comme Ludovic Tolassy, par ailleurs porte-parole du collectif nationaliste Moun Gwadloup tentait de faire émerger par en bas une parole citoyenne autonome. Sur ce barrage comme sur d’autres, ce n’étaient pas les syndicats qui étaient à la manœuvre, la volonté de certains militant.es associatifs étant d’élargir la mobilisation au-delà des militants syndicaux et politiques gravitant pour l’essentiel autour de l’UGTG et du LKP en Guadeloupe.

Après quelques tentatives de coordination des barrages en Guadeloupe, sous la pression policière, les barrages ont cédé les un.es après les autres. En Martinique, aussi même si c’était moins structuré, il y a eu nombreux barrages qui ont été démantelés en décembre mais le seul point encore actif aujourd’hui reste le piquet de grève devant le port de Fort-de-France mais qui ne bloque plus vraiment la sortie du port depuis près d’un mois.

Il y a certes eu un dispositif de discussions mis en place en Martinique, 7 ateliers thématiques (santé, jeunesse, vie chère, transport, chlordécone, pêche, culture) constituant des forums de discussions et négociation entre l’intersyndicale, les fonctionnaires de l’Etat et les élu.es de la Collectivité Territoriale de Martinique, mais les discussions sont au point mort depuis un mois4. En Guadeloupe, elles n’ont jamais vraiment commencé, les discussions ayant tourné court dès la première journée, les élu.es locaux refusant de discuter de l’obligation vaccinale avec les représentant.es de l’intersyndicale sans la présence de l’Etat.

Mais aussi une crise sanitaire

Malheureusement, il n’y a pas que la tension qui monte en Guadeloupe et en Martinique, les contaminations au covid montent aussi. D’après les derniers chiffres fournis par les ARS, plus de 4000 nouveaux cas de Covid ont été recensés en Martinique durant la première semaine de l’année 2022, et plus de 5300 cas en 4 jours alors que l’hôpital est à genou et qu’à peine 40% de la population est vaccinée. Tout ceci vient après l’hécatombe de l’année dernière. Le nombre de décès a augmenté de 78 % en Guadeloupe et de 69 % en Martinique entre le 1er juin et le 20 septembre 2021 par rapport à la même période en 2019. Personne n’y échappe, l’intersyndicale a perdu en décembre 2 de ses dirigeants par ailleurs non vaccinés, dont Alain Decaille, président de la fédération des taxis indépendants de Martinique.  Toutes celles et tous ceux qui ont en souvenir l’hécatombe du mois d’août dernier avec ces familles entières décimées et les interminables avis d’obsèques à la radio égrenant chaque jour la longue liste des décès sont forcément inquiets en voyant les contaminations exploser, sachant en plus l’état totalement délabré du système hospitalier en Martinique et en Guadeloupe.

L’autonomie comme remède à la crise ?

Mais, les débats font rages, une majorité de la population reste méfiante, par rapport aux vaccins. Mais comment pourrait-il en être autrement ? La gestion coloniale de ces territoires, la dégradation extrême encore plus qu’en “France métropolitaine” des services publics et en particulier de l’hôpital, l’empoisonnement des sols au chlordécone, la multiplication des discours et des attitudes racistes et méprisants à l’encontre de la population des Antilles, une politique sanitaire autoritaire qui n’associe pas suffisamment la population locale, tout cela ne peut créer que de la méfiance contre tout ce qui vient de cet Etat y compris les discours sur la vaccination.

Cette méfiance frondeuse est évidemment une réponse au mépris colonial d’aujourd’hui mais elle fait aussi écho aux révoltes anticolonialistes des années 60-70 d’hier et au marronnage des esclaves révoltés d’avant-hier. Face au vaccin apporté par l’Etat colonial, une partie de la population préfère en recourir aux bons vieux « rimèd razié », les plantes médicinales locales comme le fameux virapic, censées stimuler les défenses immunitaires face au covid. La résistance d’une majorité de la population à la vaccination rappelle furieusement cette méfiance du colonisé algérien face à la médecine du colon française si bien décrite par Frantz Fanon dans l’An 5 de la Révolution algérienne.

Pour Stéphanie Mulot, professeure de sociologie et chercheuse associée à Toulouse, « la raison sanitaire est parfois remplacée par une rhétorique de résistance aux injonctions nationales…cette résistance étant souvent utilisée en Guadeloupe pour caractériser une forme d’identité guadeloupéenne… »

C’est probablement un peu de ça qui joue en Martinique et en Guadeloupe et qui explique les réactions différentes sur la vaccination par rapport aux autres îles de la Caraïbe si proches et pourtant si lointaines politiquement. Dans une tribune au vitriol publiée sur fondaskreyol.org5, Raphael Confiant, écrivain, autonomiste et grand défenseur du créole, fait remarquer à ce sujet que la moyenne des personnes vaccinés dans la Caraïbe dépasse les 67% et que ça devrait interroger celles et ceux qui brandissent leur identité caribéenne pour justifier leur refus de se vacciner.

Il n’est évidemment pas question d’opposer de manière binaire la supposée rationalité coloniale à la très fantasmée émotion antillaise forcément irrationnelle.

Comme le disait un guadeloupéen à Mélenchon lors de son passage en Guadeloupe, les antillais en ont plus qu’assez qu’on associe « leur défiance à de la superstition » et on a suffisamment entendu d’horreurs racistes dans les médias sur ces syndicalistes se comportant comme des tontons macoutes ou ces antillais pratiquant le vaudou ou convaincus que le rhum pouvait guérir.

Et quitte à parler d’irrationalité, ce qui doit être mis en accusation à front renversé c’est l’irrationalité du système coloniale. Comment appeler cela autrement quand plus d’1/3 des foyers guadeloupéens ont régulièrement des coupures d’eau dans un pays ou l’eau qui tombe du ciel ne manque pas, ou quand l’Etat laisse les planteurs békés empoisonner les sols au chlordécone jusqu’en 1993 alors que dès 1979 il est prouvé que ce produit est cancérigène et qu’il est interdit en 1990 sur le territoire français ou quand plus de 80% des produits consommés sont importés et que la quasi-totalité des échanges se fait avec un territoire à 8000 km et que rien ou presque n’est échangé avec les territoires voisins de la caraïbe ?

Les martiniquais et les guadeloupéens n’ont nul besoin qu’on leur fasse la leçon depuis Paris comme l’état  colonial sait si bien le faire, cet état si lent à régler le problème de l’alimentation en eau potable ou à interdire le chlordécone mais si prompt à envoyer le RAID quand la colère devient explosive. Et ce n’est certainement pas à force de lacrymos, de charges de gendarmes mobiles et de suspensions de personnels soignants et de pompiers que les gens finiront par se vacciner et que l’on sera en mesure de limiter les morts du covid.

Il est urgent de rompre avec la politique sanitaire autoritaire de l’Etat. Les députés guadeloupéens et martiniquais ont tenté lors du débat à l’assemblée sur le pass vaccinal de défendre un aménagement de l’application de la future loi et ils n’ont rien obtenu à part un délai supplémentaire dans l’application de la nouvelle loi dans les certains territoires d’outre-mer.

Plus que jamais, ça pose la question des impasses du statut actuel de ces collectivités d’outre-mer qui rend presque impossible tout adaptation de la loi française aux spécificités de ces territoires.  La crise sanitaire a agi comme une sorte de révélateur de la crise profonde que traversent la Martinique, la Guadeloupe mais aussi la Guyane même si la situation sociale y est actuellement plus calme. Une crise économique avec une dépendance de plus en plus importante avec la « Métropole », une crise sociale avec un appauvrissement de la population, une crise politique avec l’incapacité des élus locaux de répondre à la colère sociale et le refus de l’Etat français d’abandonner ses vieux réflexes coloniaux, une crise démographique avec le départ massif des jeunes et une chute de la population depuis 20 ans.

De fait, la multiplication des mouvements sociaux depuis 2009 montre que « pep la ja chwézi » . Pas forcément sur le vaccin, mais sur son refus de la gouvernance coloniale des territoires d’outre-mer et sur sa soif d’autonomie.

L.S.

1 www.youtube.com/watch?v=XQyAFxMpEw0

2 www.youtube.com/watch?v=o76cALkUkYY

3 https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/lever-du-jour-sous-tension-au-chu-et-a-la-riviere-des-peres-1200226.html

4 https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/crise-sociale-en-martinique-le-principe-des-ateliers-semble-atteindre-ses-limites-1182955.html

5 http://fondaskreyol.org/article/tous-presidents-et-premiers-ministres-de-caraibe-sont-vaccines