Le fanatisme religieux a tué et hélas il tuera encore. Toutes les religions, excepté peut-être le paganisme antique, en ont été, et en sont, porteuses. L’Eglise catholique est responsable du massacre de millions de personnes, y compris d’autres chrétiens. L’assassinat de ce professeur est un acte horrible et la question est de savoir pourquoi un jeune de 18 ans en est arrivé à faire cela.
Si l’on veut dépasser la sidération immédiate, la condamnation, certes nécessaire, ne servira à rien si nous ne comprenons pas les mécanismes qui ont abouti à un tel acte ni le terreau qui l’a favorisé. Et donc il n’y aura pas de miracle en la matière. Au-delà de la lutte policière nécessaire contre ces actes terroristes, la question essentielle est celle de la place de l’islam en France. Tant que l’islam ne sera pas traité comme les autres religions, et donc banalisé, cela ne pourra que déboucher sur une frustration mortifère qui pourra, suivant les individus, se transformer en actes terroristes.
De ce point de vue, la tentation et les tentatives régulières de créer « un islam de France », non seulement sont contraires à la loi de 1905, mais ne peuvent être vécues par les musulmans que comme une volonté de contrôle de nature néocoloniale alors même que les autres religions ne sont soumises à aucune règle dans l’organisation de leur culte. Cette orientation est contraire à la loi de 1905 car cette dernière postule –séparation oblige – que l’État n’a rien à dire ni à faire concernant l’organisation des cultes. Que dirait-on si l’État se mettait à vouloir régimenter la façon dont la messe est organisée ? Et l’État, à juste titre, ne dit rien sur l’intégrisme chrétien ou juif. Le « séparatisme » des courants intégristes juifs est l’exact décalque du salafisme piétiste.
Dans un État de droit, qui plus est laïque, chaque individu a le droit de pratiquer et de prêcher le dogme religieux qu’il désire, dans le respect des limites mises à la liberté d’expression. La liberté d’expression ne permet pas d’appeler publiquement à la mort d’autrui, ni de faire l’apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, ni d’appeler à la haine contre un groupe ethnique ou national donné. On ne peut pas non plus user de la liberté d’expression pour appeler à la haine ou à la violence envers un sexe, une orientation sexuelle ou un handicap. La loi actuelle permet donc de sanctionner non seulement des actes délictueux, mais les déclarations qui les encouragent.
En tant que citoyen.nes, nous pouvons critiquer tel ou tel aspect des religions chrétienne, juive ou musulmane, ou même considérer, si l’on est athée, que toute religion est obscurantiste. Nous pouvons, nous devons, en tant que citoyens, combattre le fondamentalisme religieux, mais la puissance publique doit être garante du libre exercice du culte et de la possibilité pour chacune et chacun de faire valoir ses opinions à condition de ne pas violer la loi.
L’État n’intervient pas, à juste titre, contre les Loubavitch et plus globalement contre le judaïsme orthodoxe qui considère les mariages mixtes comme un équivalent du génocide nazi. Ce « séparatisme » ne semble pas poser problème. Les idées portées par l’intégrisme religieux, quel qu’il soit, sont effectivement contraires à toute perspective d’émancipation, plus particulièrement encore celle des femmes, et à l’existence même d’une société démocratique. Comment les affronter et empêcher leur développement ? La force de l’intégrisme religieux tient à sa capacité à donner un sens global à la vie des individus qui embrassent la foi.
Le combattre suppose de faire vivre concrètement un autre imaginaire social. Dans une société où la concurrence entre individus est promue comme valeur suprême, où la compétitivité devient l’objectif majeur de la vie sociale et où la devise louis-philipparde « enrichissez-vous » semble le seul horizon, c’est en promouvant pratiquement dans la réalité sociale les valeurs de solidarité, d’égalité et de justice sociale, c’est en combattant toutes les discriminations, c’est par l’éducation quotidienne à l’égalité entre les femmes et les hommes que sera asséché le terreau de l’intégrisme et que ses adeptes seront marginalisés. Travail de longue haleine…
Pierre Khalfa. Tribune publiée dans Politis.