Bernard Cazeneuve a un projet politique dont il ne fait pas mystère. Il se promène dans les médias, invité sur tous les plateaux, et le déroule patiemment. A gauche, il a eu les encouragements de Fabien Roussel, qui a une fois de plus choisi de fragiliser la NUPES en donnant du crédit à la possibilité d’une autre alliance. Son projet n’est pas neuf, mais il était rangé dans un tiroir depuis les législatives de 2022. La politique ultra droitière menée par Emmanuel Macron lui donne une nouvelle crédibilité en ouvrant un espace entre Renaissance et la NUPES. Le cas de l’élection partielle en Ariège nous a suffisamment été rabâché pour qu’on s’en souvienne.
Fallait-il le laisser sans contradictrice ou contradicteur de notre camp ? Le choix des interlocuteurs·trices est une question sérieuse, l’effet possible du dialogue avec l’adversaire également. Des membres de la France Insoumise aussi chers à notre cœur que Jean-Luc Mélenchon ou Ugo Bernalicis ont tranché quand il fut question d’Eric Zemmour puis de Rachida Dati. A l’évidence, la confrontation politique ne vaut pas accord, bien au contraire.
Clémentine Autain s’est donc affrontée à Bernard Cazeneuve dans un débat organisé par le journal Politis. Bien lui en a pris. Elle l’a étrillé sur sujets fondamentaux qui opposent diamétralement l’ancien ministre de Hollande et la gauche de transformation sociale. Ce fut le cas sur la crise de régime, à propos de laquelle Cazeneuve s’est contenté de défendre une Ve République vaguement relookée. Ce fut le cas sur le bilan du hollandisme, dont il assume l’essentiel, y compris sa politique sécuritaire, que Clémentine expose sans fard, évoquant notamment la mort de Rémi Fraisse : « Vous êtes ministre de l’Intérieur, il y a un mort, vous avez la responsabilité de la doctrine du maintien de l’ordre. Votre silence à ce moment-là, au moment de la mort de Rémi Fraisse, est terrible ». Mais le bilan de Cazeneuve ne s’y borne pas, elle le rappelle avec force : « il y a un continuum entre les années Sarkozy, Hollande et Macron, et il se trouve dans ces normes néolibérales épousées avec plus ou moins de vigueur. Emmanuel Macron n’est pas né de la cuisse de Jupiter mais du tibia de François Hollande. » Il n’est pas douteux que ce bilan est un des facteurs essentiels de la montée de l’extrême droite, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur de la situation. Fallait-il en donner quitus à l’ancien dirigeant socialiste ? N’est-il pas plus utile de répondre à ses plaisanteries sur la faute qui reviendrait aux député·es FI et à leur comportement à l’Assemblée et pas à cette gauche faillie, celle de la loi Travail, qui brouilla les repères, cassa le Code du travail, reprit « des idées au camp réactionnaire comme la déchéance de nationalité » et contribua « à alimenter le terreau favorable à l’extrême droite » ? Troisième aspect de la confrontation, le projet. Clémentine Autain a pu défendre la NUPES, « la forme du rassemblement de la gauche et des écologistes d’aujourd’hui », dont le curseur « est du côté de la critique du néolibéralisme » et qu’il s’agit de transformer en force politique structurée, implantée, cohérente et pluraliste. C’est bien là où le bât blesse, et c’est la condition d’une victoire de la gauche en 2027, ou avant. Cazeneuve propose en réalité d’exclure la FI, « la part la plus importante de la gauche aujourd’hui », le retour aux équilibres anciens, et donc, au bout, l’échec face à ce que deviendra le macronisme et à l’extrême droite.
On le voit, aucun élément dans tout cela qui fasse regretter l’entretien, ou qui justifie les commentaires de Daniel Shapira publiés dans le journal Information ouvrières. Son argumentaire et sa conclusion ne peuvent convaincre que celles et ceux qui, trop pressé·es, n’ont pas pris le temps de lire l’échange et d’éprouver la satisfaction produite par l’efficacité des coups portés.
Il semble tout-à-fait inapproprié de descendre en flèche publiquement un membre du rassemblement commun, et même plus simplement de la FI, sur la base d’un désaccord tactique de cette nature.
Peut être l’auteur déplore-t-il la différence que Clémentine a marquée, comme d’autres, concernant ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Quatennens ? Peut-être déplore-t-il plus généralement une défense trop affirmée et trop claire du pluralisme au sein de la NUPES et de la FI ? Pluraliste la FI, comme la NUPES, se doit de l’être pour réussir. C’est une autre condition de sa survie. Sur la base de notre projet commun, l’expression des nuances et désaccords existant sur l’application de nos principes féministes ou sur la politique internationale ne nous affaiblissent pas, au contraire. C’est une absolue nécessité pour tout mouvement progressiste de gauche qui se respecte et qui aspire au pouvoir. Il est temps !
Ingrid Hayes