Une fois de plus la question de la laïcité revient sur le devant de scène avec l’interdiction du port de l’abaya à l’école. On aurait pu penser qu’il y avait d’autres priorités à mettre en avant comme le manque persistant d’enseignant.es, les classes surchargées, les inégalité sociales qui se développent et pèsent sur l’avenir de nos enfants. On aurait aussi pu penser qu’après les mouvements de révolte qui ont touché les banlieues, les priorités auraient été autres qu’une nouvelle mesure qui sera inévitablement vécue comme vexatoire. Mais non, le gouvernement a décidé d’une annonce choc : l’abaya, voilà le problème qu’il faut traiter sans attendre, alors même que ce phénomène reste marginal, touchant 145 établissements sur les 55 000 établissements scolaires concernés. Outre la diversion bienvenue par rapport aux problèmes que rencontrent nos concitoyen.es et un clin d’œil vis-à-vis de l’électorat de droite et d’extrême droite, cette annonce a pour le gouvernement l’immense mérite de semer le trouble à gauche où certains ne veulent pas être pris en défaut de laïcité. Il faut donc une fois de plus revenir aux fondamentaux en la matière.
La loi de 1905 impose une séparation de l’État et du religieux. La loi garantit le libre exercice des cultes et permet l’expression individuelle et collective du religieux dans l’espace public. Ce dernier n’est pas neutre, il est un espace de liberté qui peut accueillir, dans le respect des lois en vigueur, les manifestations des convictions politiques, syndicales, associatives et religieuses. Les individus peuvent manifester dans la façon dont ils s’habillent leur conviction religieuse. Ce sont les institutions publiques, comme par exemple l’école, qui doivent être laïques, pas les individus. La loi de 2004 est une entorse à ce principe puisqu’elle empêche l’expression des convictions religieuses individuelles en indiquant que « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Elle était justifiée par ses promoteurs par le fait qu’il y avait un risque de prosélytisme vis-à-vis de mineurs qui ne seraient pas en situation de se protéger de ce type d’action, ce qui explique que la loi ne s’applique pas dans les universités où les étudiants sont majeurs.
Malgré une formulation générale, c’est le voile et la religion musulmane qui sont visées au premier chef. L’argument du prosélytisme peut s’entendre mais il est, de fait, de faible portée car les adolescentes ont une vie après l’école. Les filles remettent leur voile à la sortie de l’école et elle le font d’autant plus qu’elles ont ainsi le sentiment de s’affirmer face à une interdiction. Des adolescentes non-voilées fréquentent donc des filles voilées. Comment cependant décider que tel ou tel vêtement manifeste « ostensiblement une appartenance religieuse » ? L’abaya n’est pas à l’origine et un vêtement religieux mais un vêtement traditionnel porté dans certaines pays de religion musulmane. Au nom de quoi le gouvernement a décidé de lui conférer un caractère religieux avec pour conséquence paradoxale d’enfermer les adolescentes qui le portent dans cette interprétation ? On voit bien alors que la définition du signe religieux ostensible est un ensemble infini, tout signe pouvant en théorie être interprété de cette façon. Mais surtout, comment savoir qu’une adolescente portant une robe ou une jupe longue, un bandana, etc. manifeste ostensiblement une appartenance religieuse ? La réponse coule de source : par le faciès et le nom. Outre le sexisme de mesures qui touchent essentiellement des femmes, la mise en place d’une police du vêtement ne peut qu’aboutir à stigmatiser une partie des jeunes que l’on renvoie a priori à une religion censée posée problème, l’islam.
La lutte contre l’intégrisme religieux, quel qu’il soit, est absolument nécessaire. Les idées portées par l’intégrisme religieux sont contraires à toute perspective d’émancipation, particulièrement celle des femmes, et à l’existence même d’une société démocratique. Dans ce combat, l’école a un rôle à jouer en la matière. Elle doit le faire par la qualité de l’enseignement qu’elle donne, par le dialogue que le corps enseignant doit mener avec les élèves. C’est se leurrer que de croire que ce combat se joue dans la « bataille du vêtement ». L’intégrisme religieux se nourrit de l’islamophobie, des discriminations et des violences policières. C’est en promouvant pratiquement dans la réalité sociale les valeurs de solidarité, d’égalité, particulièrement entre les femmes et les hommes, et de justice sociale que l’intégrisme religieux sera combattu. C’est le sens des marches organisées partout en France le 23 septembre à l’appel de très nombreuses organisations associatives, syndicales, politiques et des collectifs militants des quartiers populaires.
Pierre Khalfa. Blog sur Médiapart.