Après l’échec de l’expérience Pap Ndiaye, vite remercié, Emmanuel Macron fait désormais de l’école son « domaine réservé » comme il l’indique dans son interview donnée au Point le 24 août 2023. Il y déroule son projet d’« école de la transmission, de l’esprit critique et de la confiance ». Dans cet édifiant entretien jupitérien teinté d’autosatisfaction et de chauvinisme, il dessine, dans un discours orwellien, une école qu’il prétend destinée à réduire les inégalités sociales. Il est vrai que, parmi les exceptions françaises, on oublie souvent de mentionner que son école est l’une des plus inégalitaires de l’OCDE. Très douée pour accompagner aussi loin que possible les élèves les mieux dotés, elle figure parmi les cancres quand il s’agit de faire réussir les enfants les plus socialement défavorisés. Disons-le d’emblée, cette permanence des inégalités scolaires est indigne, et y remédier représente à nos yeux le principal défi d’une école publique digne de ce nom.
Or nous en sommes loin, et les propos du président de la République ne nous rassurent guère. L’école qu’il dessine est exactement l’inverse de ce que nous défendons. Il dit vouloir en finir avec les hypocrisies, prenons-le au mot. Parmi les réformes annoncées, il y a la poursuite de celle, emblématique, du lycée professionnel, qui cherche à caser des jeunes, dès 14 ans, dans le monde professionnel, se délestant ainsi sur l’entreprise de sa mission éducative. Rejetée par l’ensemble de la communauté professionnelle ainsi que par les syndicats, elle est maintenue et présentée comme une petite révolution éducative alors qu’il s’agit d’une régression notable au regard de l’histoire du lycée professionnel, qui tente de maintenir l’équilibre entre un apport culturel humaniste et une formation professionnelle. Poursuivons l’inventaire : pour Emmanuel Macron, la solution aux inégalités scolaires serait de sensibiliser dès l’âge de 12 ans au monde de l’entreprise afin de montrer quels sont les secteurs professionnels demandeurs. On ne saurait offrir plus réjouissante perspective à un enfant.
Quel est le véritable nom d’un projet éducatif obsédé par l’adéquation avec la demande économique ? On peut le qualifier comme ceci : une école du tri social, c’est-à-dire une école qui cherche à ajuster, le plus tôt possible, le profil scolaire des enfants à la demande du marché. Les arguments sont connus : pourquoi le laisser à l’école s’il n’est pas fait pour ça ? Autant qu’il apprenne auprès d’un patron… Et l’hypocrisie est d’autant plus criante que beaucoup de familles se laissent facilement convaincre qu’il s’agit de la meilleure solution pour leurs enfants en échec scolaire.
Mais quelle capitulation ! Nous pensons au contraire que l’école publique a pour mission « régalienne » de ne pas trier les enfants selon leurs profils sociaux et de les maintenir le plus longtemps possible sur ses bancs. Cela sous-entend de changer complètement de logiciel éducatif et de réparer ce qui a déjà été cassé, en commençant par protéger l’école et les enfants d’un monde économique parfois brutal et qui ne correspond de toute façon pas à celui qui sera le leur dans quelques décennies ; en réaffirmant notre attachement à la gratuité de l’école, surtout en période d’inflation galopante qui pèse sur les parents, particulièrement les plus socialement relégués.
Cela demande également de rediscuter l’ensemble des programmes scolaires, non pas en ânonnant la vieille antienne des « fondamentaux », mais en équilibrant les savoirs pratiques, intellectuels et culturels, afin d’en finir avec des programmes élitistes trop adaptés aux attentes des familles les plus privilégiées. On n’éduque pas des enfants en les privant prématurément de leur jeunesse. Bien au contraire, l’école pensée par les révolutionnaires de 1789 puis les républicains avait à cœur d’affirmer la mission éducative de la puissance publique comme condition première d’une lutte contre les destins au berceau. Bien loin de cet idéal, l’école de la Macronie prend acte de l’existence des inégalités sociales pour assigner chaque enfant à la place qui lui revient. Sa principale hypocrisie consiste à persuader les enfants eux-mêmes qu’ils ne valent pas mieux que ce que l’école leur propose. C’est faux. L’école publique en France n’est pas à la hauteur de son histoire et il ne suffit pas de brandir des figures emblématiques comme Ferry, Zay ou Buisson pour effacer la réalité de ce qui la tue à petit feu depuis des décennies : une politique libérale violente, maltraitante et déshonorante.
Signataires
Clémentine Autain, députée LFI • Ephram Belœil, président de la Voix lycéenne • Coralie Benech, Snep-FSU • Arnaud Bonnet, commission enfance-éducation-formation, EELV • Céline Brulin, sénatrice, PCF • Alexis Corbière, député LFI • Guislaine David, Snuipp-FSU • Laurence De Cock, historienne et enseignante • Dieynaba Diop, enseignante en lycée professionnel, conseillère régionale, PS • Paul Devin, FSU • Thomas Dossus, sénateur, EELV • Iñaki Echaniz, député PS • Grégoire Ensel, président de la FCPE • Elsa Faucillon, députée PCF • Djéhanne Gani, enseignante, Génération·s • Sigrid Gérardin, Snuep-FSU • Pierre Huguet, adjoint au maire de Marseille Éducation, Generation-s • Jérôme Jolivet, enseignant en lycée professionnel, Snuep-FSU • Fatiha Keloua Hachi, députée, PS • Sébastien Laborde, responsable éducation, PCF • Mathilde Larrère, historienne • Monique de Marco, sénatrice, EELV • Philippe Meirieu, pédagogue • Francesca Pasquini, députée EELV, commission éducation-culture • Éric Piolle, maire de Grenoble • Ali Rabeh, maire de Trappes, Génération·s • Jean-Claude Raux, député EELV, commission éducation-culture • Éléonore Schmitt, porte-parole de l’Union étudiante • Danielle Simonnet, députée LFI • Benoît Teste, FSU • Yannick Trigance, secrétaire national PS école, collège, lycée • Sophie Vénétitay, Snes-FSU • Philippe Watrelot, professeur retraité, militant pédagogique