Ces quelques notes de conjoncture visent à tirer les premières leçons du cycle de mobilisation contre la réforme des retraites qui s’inscrira dans l’histoire comme l’un des grands moments de la lutte des classes, quelle que soit l’issue. La lutte est puissante. Le combat continue. La victoire est possible.
1/ En utilisant le 49.3, Macron a choisi la voie de la brutalité. S’il l’a fait, c’est parce qu’il n’était pas certain de l’emporter par le vote simple de la loi. Ce revers est le produit de la puissante mobilisation sociale qui s’exprime dans le pays depuis des semaines, sans faiblir substantiellement, contre une loi inique, rejetée par une écrasante majorité de la population. En choisissant le 49.3, Macron met « un pistolet sur la tempe » des députés récalcitrants de LR et de LREM : s’ils votent la censure, alors ils devront affronter de nouveau le suffrage universel, conséquence d’une dissolution de l’Assemblée Nationale. En substance, il leur dit : si vous faites les malins, je dissous et « sauve qui peut ! », moi je suis encore à l’Elysée pour 3 ans.
Les députés LFI et ceux de la NUPES ont eu raison de s’associer au dépôt d’une motion de censure lancée par le groupe de députés LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). Qu’une motion de censure soit adoptée n’est certes pas le cas de figure le plus probable, mais ce n’est pas impossible. Si elle est adoptée, c’est une crise politique majeure qui se noue dans le pays. Si elle n’est pas adoptée, la colère et le ressentiment peuvent produire de nouveaux développements dont les formes sont imprévisibles. Parce qu’il n’y aura ni oubli, ni pardon, Macron est clairement en échec. Il faut trouver la voie d’un échec et mat.
2/ L’utilisation du 49.3 a eu pour effet d’accroitre le mécontentement et la colère, comme en témoignent les rassemblements de jeudi soir dans tout le pays, après l’annonce du 49.3, rassemblements spontanés et importants en nombre, auxquels il fallait participer. Le mouvement continue. Jusqu’ici l’intersyndicale nationale est restée soudée et ferme sur l’exigence du retrait pur et simple du projet de loi. Sans cela et sans le mouvement qui s’est déployé, il y aurait eu adoption à bas bruit de la réforme des retraites. Dit autrement, s’il y a « du jeu » au Parlement, c’est grâce à la puissance du mouvement qui renforce aussi l’excellente action des élus de LFI et de ceux de la NUPES.
On peut reprocher tel ou tel choix de date de mobilisation ou de forme de mobilisation, jusqu’ici, rien dans l’attitude des syndicats n’empêchait que se combinent aux grandes journées de grève et de manif, des processus de grèves reconductibles, des blocages, des occupations, des rassemblements de type « ronds-points ». Le 7 mars dernier, l’intersyndicale, Berger compris, appelait à « mettre la France à l’arrêt ». Elle s’est ralentie, mais elle ne s’est pas totalement arrêtée. Les actions de durcissement de la lutte (occupations, blocages, grèves reconductibles…) » ont existé et existent mais il faudrait les généraliser pour imposer, de façon certaine, le retrait de la Loi. Il serait simpliste d’attribuer des difficultés aux directions syndicales. On peut dire à chaud, mais il faut affiner, que la difficulté à « joindre les deux bouts », combinée au doute qu’une victoire soit possible (le poids, du passé, des défaites accumulées), ont pesé jusqu’ici négativement. Il n’en demeure pas moins que la suite n’est pas écrite et que la victoire demeure possible parce que le coup de force de Macron peut paradoxalement être interprété comme une faiblesse et encourager l’action.
3/ La prochaine journée de mobilisation nationale se déroulera le jeudi 23 mars. Même si l’on peut trouver que c’est tardif (1), il faut réussir cette nouvelle journée mais il ne faut pas l’attendre : les actions se multiplient ce week-end, pendant et après le vote de la motion de censure un peu partout en France sous des formes diverses.
4/ La première manche du mouvement s’est déroulée quasi sans violences policières. Depuis jeudi soir la situation a changé. Matraques et lacrymos sont de de retour sans pour autant atteindre pour le moment le niveau de répression des mobilisations contre la Loi travail ou contre les Gilets jaunes. Les droites hurlent contre les dégradations. A Toulouse par exemple, Moudenc, flanc garde de Macron, en a profité pour tenter de discréditer « l’extrême-gauche » (entendez la gauche), en lui attribuant les dégradations de la façade du Capitole. Mais c’est le gouvernement qui sème la colère et lui seul est le responsable de tout ce qui peut se passer. Les dirigeant-es de la France insoumise appellent à exprimer cette colère de façon pacifique, avec calme et détermination.
4/ Pour chercher l’efficacité maximale contre le coup de force autoritaire de Macron et Borne, il faut articuler l’action dans la rue et celle dans le cadre institutionnel. L’une ne s’oppose pas à l’autre. Mieux, l’une ne marche pas sans l’autre. Sur le plan institutionnel, il y aura d’abord le vote de la motion de censure lundi. Il est important de le mettre sous pression de la rue. Quoiqu’il en sorte, c’est une étape importante de la lutte. Si la motion de censure est votée, le projet de Loi est mort et on ne voit pas comment Macron pourrait faire autre chose que dissoudre l’Assemblée Nationale. Dans les 40 jours maximum se dérouleraient alors de nouvelles élections législatives à enjeu majeur.
Si la motion de censure est rejetée, Macron et Borne ne s’en sortiront pas facilement pour autant. Plusieurs scénarios sont possibles (2) :
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Le Conseil constitutionnel doit valider la loi et ce n’est pas joué. Dans les quinze jours qui suivent l’adoption définitive d’une loi, le Conseil constitutionnel peut être saisi par au moins 60 parlementaires. La NUPES saisira cette possibilité. Si l’on en croit Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, il y a de « forts risques d’inconstitutionnalité de cette loi, non pas tellement sur le fond, mais sur la forme car ll n’y a pas vraiment eu un débat clair et sincère ; or, c’est une exigence constitutionnelle. ». La pression exercée par le gouvernement sur le Parlement, à coup de recours à l’article 47.1, 44.2, 44.3 et le fameux 49.3 peuvent montrer « la clarté et de la sincérité du débat parlementaire », qui est une exigence constitutionnelle.
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La Constitution prévoit aussi la possibilité d’un recours au Référendum d’initiative partagé (RIP), qui est une proposition de loi permettant d’organiser une consultation populaire. Les députés de la Nupes et sénateurs des différents groupes de gauche, ont déposé vendredi une demande de RIP pour que l’âge légal de départ à la retraite ne puisse pas être porté au-delà de 62 ans. Si cette demande de RIP est validée par le Conseil constitutionnel alors le projet de loi retraite sera suspendu et nous aurons 9 mois pour rassembler le soutien de 10 % des électeurs (environ 4,7 millions de personnes) et si tel est le cas, alors soit le gouvernement devra inscrire ce sujet au Parlement, soit le Président devra soumettre le RIP à référendum.
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Enfin, notons que la mobilisation peut aussi se poursuivre après l’adoption de la Loi et imposer son retrait car ce que fait le Parlement, le Parlement peut le défaire. C’est le scénario qui s’est produit en 2006 lorsque le « Contrat première embauche » de Chirac a d’abord été adopté puis annulé.
5/ En tout état de cause, le macronisme est sorti fragilisé de l’élection Présidentielle et des législatives de 2022. Il est aujourd’hui puissamment discrédité. Il s’affaisse. La droite classique, celle des Républicains, est affaiblie et en proie à de mortifères luttes intestines. Le danger, c’est le RN, qui ne fait rien pour mobiliser mais qui peut recueillir in fine les fruits de la colère et du dépit. Il est de plus en plus impératif de faire exister une alternative crédible. La NUPES reste notre meilleur atout. Elle est fragile mais pour le moment elle tient. Il faut la conforter, la développer partout autant que faire se peut, car son éclatement ouvrirait la voie au RN. Un bloc social et politique, qui défend une politique de gauche, la retraite à 60 ans, la bifurcation écologique, la taxation des richesses, le blocage des prix, l’augmentation des salaires, les droits des femmes et de tous les opprimés, doit se consolider, se déployer et se renforcer. La LFI doit en être un fer de lance.
Fred Borras, le 18/03/22