Le courant politique bourgeois au pouvoir, le macronisme, c’est à dire le néolibéralisme à tendance répressive, ne peut plus se passer de l’islamophobie. Il s’agit d’une véritable dépendance qui a tout à voir avec l’incapacité du néolibéralisme à proposer un horizon politique mobilisateur, à faire accepter son projet de reformatage de la société comme légitime ou même, tout simplement, à être efficace.
Cela n’est pas étonnant : à chaque gouvernement menant une politique libérale qui se succède, le consentement populaire est plus difficilement acquis et l’islamophobie est un levier encore plus nécessaire afin d’assurer une concorde entre ceux dont les intérêts divergent (les capitalistes et les exploités blancs qui ne sont pas confrontés à une oppression raciste).
Or, aujourd’hui, le discours macroniste tourne de plus en plus à vide et ne convainc plus que les plus convaincus alors que les sources de crises sociales, écologiques et politiques se multiplient. Dès lors, les macronistes ne peuvent que creuser plus en avant le sillon du racisme islamophobe, entamé par les gouvernements précédents. L’objectif reste de rassembler un socle de soutien minimal grâce une politique de la peur envers les musulman-e-s qui oseraient exister comme musulman-e-s et toute force politique ne s’alignant pas sur cette politique de la peur (en particulier la France Insoumise et, par extension, la NUPES)… quitte à renforcer une extrême-droite raciste n’ayant quasiment plus besoin de faire propagande.
Le cas Pape N’Diaye démontre bien que le problème n’est pas celui des personnes. Celui qui était présenté comme le contrepoint du très conservateur et très incompétent Jean-Michel Blanquer lors son arrivée au ministère de l’Education Nationale, si bien que sa désignation était spécifiquement critiquée par Marine Le Pen, pousse encore plus loin la logique islamophobe de JM.Blanquer main dans la main avec Sarah El-Haïry, dont la désignation était, au contraire, saluée par la même Marine Le Pen. Ainsi, l’universitaire à l’aura « antiraciste », auteur de « La condition noire », répond dans le plus grand des calmes à des journalistes extrêmement complaisants du Monde : « C’est pourquoi les chefs d’établissement doivent regarder précisément les signes ostensibles. Est-ce que la jeune fille qui porte telle ou telle robe la met régulièrement ? Est-ce qu’elle refuse de changer de tenue, est-ce que cela s’accompagne d’autres signaux ». C’est la nouvelle notion de « signe religieux par destination » développée par ailleurs par S.El Haïry distillé par les laborantins du Printemps Républicain. Elle s’inscrit dans la polémique montée de toutes pièces autour des 330 « signalements » pour atteinte à la laïcité relevées en France au mois de septembre… non seulement ce chiffre est insignifiant au regard des 56.000 établissements en France, il n’a, non plus, aucune pertinence puisqu’il ne s’agit que de « signalements » pas de faits établis… et surtout résulte de l’attitude « volontariste » du ministère de faire « tout remonter » alors que manifestement ses critères n’ont aucun sens.
Une telle notion est évidemment une aberration à tout point de vue : le dévoiement de la laïcité n’a même plus à s’appuyer sur des faits mais simplement sur des interprétations transformant l’hypothèse même d’une pratique religieuse en un prétexte de l’exclusion de l’espace social. Cette thèse du « signe religieux par destination » constitue une innovation extrêmement périlleuse puisqu’avec cette logique, au fond, quasiment tout ce que dit ou fait un-e musulman-e ou supposé de France pourra servir de son exclusion d’un nombre croissant d’espaces sociaux. Bien évidemment, tout cela est extrêmement brinquebalant d’un point de vue juridique. Or, cela n’est pas la question. Le problème n’est pas un problème de droit mais un problème politique qui peut se résumer ainsi : est-ce que la bourgeoisie a absolument besoin en France de renforcer l’islamophobie pour maintenir l’ordre social ? Oui. Alors les forces politiques au service de la bourgeoisie, dont la macronie, chercheront à le faire quelque soit les arguments de droits qui leur sont opposés.
Ainsi, il ne s’agit pas d’une simple diversion médiatico-politique alors que la France traverse une crise majeure et connaît des grèves qui peuvent s’étendre. Cet épisode n’est que la dernière manifestation du phénomène structurel de l’islamophobie consubstantiel au néolibéralisme en France et qui prend la forme d’une fuite en avant contribuant fortement à la possibilité de transformation fascisante de la société.
La conséquence est qu’il ne s’agit pas seulement de mettre en avant dans l’agenda du pays les questions sociales, écologiques et démocratique, particulièrement les mobilisations contre la vie chère et les salaires ces derniers jours. Cela est évidemment une nécessité absolue mais serait insuffisant contre le poison de la division raciste, si l’islamophobie structurelle et ses innovations ne font pas l’objet d’une confrontation obstinée de la part des forces de la gauche, du mouvement syndical (particulièrement les organisations d’enseignant·es, voué·es à devenir une police d’ordre raciste sous prétexte de vêtements) et démocratique en général.
Emre Öngün