Il est une tradition, voire une coutume, qui est bien ancrée dans l’Education nationale : les mois de janvier et février sont des mois de luttes et de grèves. En cause : l’annonce des cartes scolaires et des suppressions de postes… Au fond, le choix de l’intersyndicale FSU-CGT-SUD-FO d’appeler dès la mi-décembre 2023 à la grève le 1er février 2024 s’appuyait sur ce terreau de luttes (même si, nous y reviendrons, d’autres aspects sont mis en avant). Et puis, une fois n’est pas coutume ni tradition, un simple changement de casquette dans le gouvernement et tout changea. La nomination d’Amélie Oudéa-Castéra comme ministre de l’Education nationale (mais également de la jeunesse, des sports et… des Jeux Olympiques et paralympiques) ouvrit une nouvelle ère dans ce qu’Emmanuel Macron annonce depuis 2017 comme « le combat de notre siècle » : l’Education nationale. Une ministère exprimant dans aucun tabou, mais avec beaucoup de maladresses de communication, les non-dits de la politique macroniste en matière éducative : creusement des inégalités, ségrégation scolaire et séparatisme social, mépris de classe, généralisation de la concurrence (entre autre en favorisant l’enseignement privé), casse des qualifications… le tout enrobé d’un discours technocratique fait de « synergie » pour justifier la dégradation des conditions de travail des personnels et « d’émulation » pour justifier la dégradation des conditions d’apprentissage des élèves.
Première conséquence : Amélie Oudéa-Castéra a cristallisé contre elle l’opposition à la politique macroniste depuis 2017 dans l’Education. La pièce de théâtre autour de son remplacement ou pas par François Bayrou ne servant qu’à détourner l’attention : si la personne d’Amélie Oudéa-Castéra a été mise en avant, c’est simplement qu’elle incarne la Macronie et sa politique à la perfection. Son remplacement par François Bayrou n’y changerait rien sur le fond, lui qui a, par exemple, réussi à mettre 1 million de personnels dans la rue le 16 janvier 1994 pour défendre… l’école publique qu’il entendait remettre en cause en favorisant encore plus l’enseignement privé… Amélie Oudéa-Castéra n’est donc qu’un catalyseur : c’est bien, sur le fond, la politique éducative de Macron qui est massivement contestée. A tel point que des organisations syndicales telles que l’UNSA et la CFDT ont finalement appelé à la grève le 1er février, à tel point que cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu un tel mouvement (1 enseignant·e sur deux en grève dans le 2nd degré, 40 % dans le 1er degré, en moyenne 25 % chez les personnels territoriaux) qui s’est continué dans la semaine du 5 février (avec un point d’orgue le 6 février avec 40 % de grévistes dans les collèges). A tel point, pour reprendre les termes de l’intersyndicale, qu’un « rebond » est prévu après les vacances scolaires en mars, avec l’annonce d’une possible reconduction à partir du 19 mars.
Un moment de bascule, donc, qui met en avant une politique éducative qui depuis 6 ans et demi, a installé une logique libérale inspirée par l’Institut Montaigne et mise en musique par Jean-Michel Blanquer. Entre autonomie des établissements généralisée en concurrence les uns contre les autres, établissements dirigés par des chef·fes « managers », entre concurrence entre les personnels (le PACTE) et entre concurrence entre les élèves (Parcoursup par exemple). Sans parler du fond, les apprentissages, réduits à des « fondamentaux » dictés par des manuels scolaires labélisés et des évaluations nationales ne servant qu’à organiser le tri social.
Cette politique de tri social étant manifeste concernant la réforme des lycées professionnels (https://gauche-ecosocialiste.org/nous-les-peu-nous-les-gueux-et-gueuses-la-destruction-du-lycee-des-classes-populaires/). Elle est renforcée concernant le collège unique (https://blogs.mediapart.fr/delahaye-jp/blog/040224/avis-de-tempete-sur-le-college-unique). Evidemment, comme il ne s’agit pas de mettre des moyens (puisqu’il n’y a plus d’ambition éducation), tout ceci se fait en prenant des moyens ailleurs. Ainsi, les groupes de niveaux vont consommer 7 700 emplois, pris dans les DHG, avec des suppressions de dédoublements et d’options et toutes idées formidables que pourraient trouver les chef·fes d’établissements. Non seulement ces groupes de niveaux, dont toutes les études ont montré les effets néfastes pour les élèves des « groupes faibles », vont organiser un séparatisme social, mais pour mettre en place celui-ci le gouvernement prélève des moyens ailleurs. Le financement du « choc des savoirs » se fait par un « choc des moyens » particulièrement violent.
La cerise sur le gâteau étant l’Education Morale et Civique (EMC), dont Emmanuel Macron a annoncé le doublement des heures au collège (le fameux « réarmement civique ») : mêmes horaires actuels d’histoire-géographie et EMC en précisant « dont 30 minutes d’enseignement moral et civique ». Cette demi-heure pourra dans certains établissements être gérée à part, ne pas aller au professeur d’histoire-géographie-EMC de la classe et ne fait pas partie des enseignements hebdomadaires des classes de collège puisque l’arrêté de mise en place précise que « s’y ajoutent l’engagement et la participation des élèves aux projets d’éducation à la citoyenneté, aux médias et à l’information, encadrés par les professeurs dans la limite de 18 heures annuelles ». Il ne s’agit donc pas d’EMC mais d’un enseignement à la citoyenneté ou à l’EMI « encadré » par un enseignement et qui peut être confié à une association, à un enseignant pacté ou au professeur documentaliste.
Au bout du compte, les cours de théâtre annoncés dans les établissements et financés en prenant des moyens aux cours d’éducation musicales et d’arts plastiques, relève de la même logique mensongère…
Cette politique de tri se manifeste également en ce qui concerne les élèves en situation de handicap : « l’inclusion » n’a pas été prise en charge sérieusement, avec des moyens très limités, causant souffrances chez les élèves, leurs familles et les personnels. Alors qu’une politique ambitieuse devrait être mise en place de façon urgente, une telle situation a profité à des discours réactionnaires contre « l’inclusion systématique », renvoyant les élèves en situation de handicap en dehors de l’école… Car, comme souvent, l’extrême-droite n’est jamais très loin lorsqu’il s’agit de profiter des souffrances pour imposer ces idées : l’exclusion des élèves en situation de handicap de l’école a été mise en avant par Éric Zemmour à l’élection présidentielle…
Extrême-droite, encore, qui entend soutenir la libéralisation totale de l’école en soutenant l’idée (déjà mise en avant par François Fillon) du chèque-éducation, permettant le « libre choix » financé par l’État. Une telle annonce serait d’ailleurs particulièrement appréciée par le secrétariat général de l’enseignement catholique. Insistons sur l’extrême-droite : lors de son audition à l’Assemblée nationale le 6 février 2024, à la demande d’une députée RN d’interdire l’éducation à la sexualité la ministre a parlé « d’évolutions qui vont poursuivre » alors qu’aucune réécriture du programme n’est prévue, ce qui peut signifier un enterrement comme celui des ABCD de l’égalité, déjà sous pression de l’extrême-droite. Si nous insistons, sur l’extrême-droite, c’est qu’au fond toute cette politique s’inscrit clairement dans la fascisation du pouvoir en place, fascisation qui permet à l’extrême-droite d’exprimer sans tabou ses positions et de préparer son arrivée au pouvoir.
Un printemps de l’Education est donc possible. Il est même nécessaire pour retrouver un ambition éducative, résistance aux politiques néo-libérale et autoritaire et résistance à la possibilité du fascisme.
Matthieu Brabant, pour la commission Education de la Gauche Ecosocialiste