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« Nous les peu, nous les gueux et gueuses » : la destruction du lycée des classes populaires

Les lycées professionnels scolarisent un tiers des lycéen·nes. Essentiellement les enfants des classes populaires, mais aussi 85% des lycéen·nes porteur·ses de handicap. Le gouvernement Macron poursuit avec brutalité le démantèlement du Lycée professionnel. Il le fait en plaçant les LP sous la tutelle du Ministère du Travail pour accélérer la « déscolarisation » de cette voie pourtant essentielle du système éducatif.

D’une orientation à l’autre

Mis en place à la fin des années 1980, le baccalauréat professionnel avait pour ambition de contribuer à l’élévation des qualifications dans le cadre de l’objectif d’atteindre les « 80 % au bac ». On le sait, l’égalité entre les trois voies de formation (Générale, Technologique et professionnelle) n’a jamais été une réalité et beaucoup d’élèves subissaient leur orientation en lycée professionnel. Elle demeurait largement le stigmate de l’échec scolaire. Et bien entendu tous·tes les élèves n’accédaient pas au bac. Mais avec la création du bac pro et des Lycées professionnels, on permettait à une fraction significative de la jeunesse populaire d’accéder à une formation qualifiante et polyvalente de niveau bac, autour des métiers, et cela a contribué significativement à l’élévation des qualifications, y compris au travers de possibilités nouvelles de poursuite d’études dans le Supérieur.

Mais cette orientation a été rapidement combattue. Gouvernement après gouvernement, les réformes attaquant le lycée professionnel se sont succédées, réduisant progressivement le nombre d’années d’études, la qualité et la quantité de la formation générale et remettant progressivement l’entreprise au cœur de l’enseignement professionnel.

Dans ce long démantèlement, les réformes se sont accumulées à partir de 2009 et le gouvernement Macron y met une touche finale. Sous prétexte d’égale dignité des trois voies de formation en lycée, on a d’abord enfermé le cycle de bac pro dans le cadre restrictif d’une formation en trois ans. Alors qu’auparavant les lycéen·nes accédant au bac professionnel bénéficiaient de quatre années de formation (2 années de BEP et 2 années de Bac). Les lycées d’enseignement professionnel sont devenus des Lycées des Métiers, pour se spécialiser sur des filières professionnelles et mutualiser leur moyen avec l’apprentissage. Le ministère de Najat Valaud-Belkacem, en sortant les lycées et LP de l’éducation prioritaire, a fait sortir les lycées professionnels d’une politique d’équité qui donnait plus de moyens à celles et ceux qui en avaient socialement le plus besoin. Le ministère Blanquer, quant à lui, a réduit drastiquement les moyens consacrés à l’enseignement des disciplines, en particulier les enseignements généraux (3,5 heures/hebdo pour le bloc Français-Histoire-Géo-EMC ou 3 heures/hebdo pour le bloc Mathématiques-Sciences).

Parallèlement, les gouvernements Sarkozy, Hollande et Macron ont valorisé et développé l’apprentissage, pierre philosophale qui devait solutionner tous les problèmes de formation et d’emploi des jeunes. Si les objectifs fixés en termes de croissance du nombre d’apprenti·es n’ont pas tous été tenus pour les jeunes en formation dans le secondaire, si la croissance s’est largement effectuée dans le Supérieur où le statut d’apprenti·e joue le rôle d’un Smic-jeune, l’apprentissage a joué le rôle d’un véritable cheval de Troie dans la déréglementation et la casse de la formation professionnelle secondaire sous statut scolaire.

Politique de la main d’œuvre

Ce que fait Macron aujourd’hui avec la transformation de l’Enseignement professionnel scolaire, c’est de placer les lycées professionnels sous la double-tutelle de l’Education nationale et du Ministère du Travail (et finalement du Ministère du Travail avant tout…). L’orientation est claire, faire des Lycées professionnels des auxiliaires de la politique de main d’œuvre du gouvernement : pourvoir les bassins d’emploi locaux en main d’œuvre directement adaptée aux besoins à court terme des entreprises. Et voila les lycées des classes populaires devenus des agents essentiels d’orientation de la main d’œuvre plutôt que des lieux de formation générale et professionnelle. Des LP livrés aux finalités « adéquationistes » du privé. Par exemple, il nous faut ,dans la Région PACA, quinze spécialistes sur trois ans pour réparer des moteurs de yachts, on ouvre une formation, on forme quinze jeunes et après on la ferme. Mais pour cela, on demande à l’Etat et aux collectivités de financer à grand frais un plateau technique. On interroge le patronat et on lui demande ce dont il rêve et l’argent public ira là où les entreprises l’ont demandé. C’est la nouvelle formule du financement public de la réponse aux besoins du privé.

Dans ce contexte, la logique de financement et de déploiement de l’offre de formation qui se met en place est très claire : l’adéquation aux besoins des entreprises locales est impérative, le partenariat avec elles pour engager le financement public des plateaux techniques est une condition. La carte des formations proposées enferme les jeunes dans leur bassin d’emploi (des « réseaux ») et leur ferme un peu plus l’accès à la polyvalence et à la mobilité professionnelle choisie. Alors qu’on nous explique que les nouveaux salarié·es du XXI° siècle doivent savoir s’adapter, monter en qualification, être mobiles et « agiles », on met en place une formation aux finalités limitées à des besoins à court terme du bassin d’emploi local. L’agilité en réalité réside dans le rythme auquel désormais on adapte l’offre de formation aux besoins du patronat.

Nouvelle ségrégation scolaire

Ce faisant, on exclut un peu plus les lycéen·nes de la voie professionnelle d’une poursuite d’étude qualifiante dans le supérieur. En effet, la réforme Macron-Grandjean vise, pour une part importante des élèves de LP, le décrochage entre la formation et l’acquisition d’un diplôme sanctionnant une qualification reconnue. Le thème de l’insertion professionnelle, qui est devenu central, cache en réalité la priorité accordée à cette finalité au détriment de la qualification et du diplôme. On voit ainsi fleurir les mentions complémentaires post-bac. Délivrées en un an, elles n’ont, contrairement au BTS, aucun caractère diplômant. Ce sont de simples « colorations » ou « spécifications » du bac pro acquis par les élèves qu’on invite à s’y engager.

De même, à travers la réorganisation du cycle de bac pro, on renonce ouvertement à l’objectif de l’acquisition du diplôme pour l’ensemble d’une cohorte. Comment comprendre autrement le raccourcissement du cycle de formation scolaire en classe de terminale professionnelle, avec des épreuves avancées en mai et 22 semaines en établissement seulement pour préparer la presque totalité des épreuves du baccalauréat ? Comment des élèves qui sont globalement des élèves fragiles scolairement peuvent-ils se préparer convenablement à l’examen du baccalauréat en 22 semaines ? Surtout, quand parallèlement, on réduit l’horaire hebdomadaire des élèves des niveaux de seconde et de première de 2 à 3 heures hebdomadaires… De septembre à mai, les élèves auront déjà fait six semaines de période de formation en milieu professionnel (PFMP). Après les épreuves du bac avancées d’un mois, le parcours sera diversifié : celles et ceux qui se destinent au monde du travail pourront retourner à nouveau six semaines en stage ( mais pour une période non évaluée et non qualifiante) et les autres consolideront leurs savoirs au lycée pour se préparer à une éventuelle poursuite d’étude (s’ils ou elles parviennent à décrocher leur diplôme dans ces conditions encore plus aberrantes…).

Casser l’outil

Chaque établissement se débrouillera pour organiser les six semaines de modules intervenant après les épreuves du bac. En passant, on introduit un peu plus de déréglementation du calendrier scolaire et du cadre d’emploi des enseignant·es, avec un emploi du temps qui s’arrête en mai et une nouvelle organisation du temps scolaire qui début après. Les élèves de terminale qui auront « opté » pour le module « insertion professionnelle » seront tous en stage en même temps sur une même période. S’y ajouteront les élèves de seconde générale, qui vont eux aussi devoir effectuer de nouveaux stages en entreprises (trouvaille de Gabriel Attal). Les élèves qui auront choisi le module “poursuite d’étude” et qui resteront en établissement devront renoncer à la gratification accordée aux autres. A 17/18 ans, qui rechigne à gagner 600 €  (payés par l’Etat bien entendu) ? Les enseignant·es crient haut et fort que cela ne fonctionnera pas, qu’on ne change pas des emplois du temps en fin d’année, que finir une scolarité dans un charivari général n’est pas une bonne chose, que les collègues de lycée général ont testé l’avancement des épreuves du bac et que cela n’a pas fonctionné. Et qu’enfin, on ne passe pas deux épreuves de bac en juillet après 6 semaines sans être allés à l’école (le «Grand Oral » et l’épreuve de PSE). Mais il n’est pas question que cela fonctionne vraiment, en particulier en ce qui concerne l’objectif central de l’acquisition d’un diplôme.

Clairement, en cassant l’outil déjà bien abîmé des Lycées Pro, il s’agit de pousser une part plus conséquente des élèves de terminales de bac pro à aller coûte que coûte vers l’emploi. Et tout le monde d’applaudir à cette idée de génie qui renvoie chaque élève à son choix « d’orientation » qui doit être « raisonné ». La réalité est plus prosaïque : chaque LP accueillera un « Bureau des entreprises », nouvelle structure qui se chargera de faire coïncider au mieux les parcours d’élèves avec les besoins de main d’œuvre du patronat. Derrière chaque annonce de Gabriel Attal et de Carole Grandjean, il faut entendre l’inverse de qu’iels disent. Les élèves de bac professionnel ne vont pas vers l’excellence et non, leurs savoirs ne seront pas consolidés. Bien au contraire ! D’après les calculs des ministères eux-mêmes, les élèves de la voie professionnelle doivent perdre sur leur cursus 170 heures d’enseignement, dont 70 pour la formation au métier assurée en lycée.

Mardi 12 décembre, à l’appel de l’intersyndicale, des milliers d’enseignant·es de lycées professionnels ont défilé pour protester contre ce gâchis général, et essayer de sauver ce qui peut encore l’être de l’enseignement professionnel public sous statut scolaire. Espérons que cette journée en appelle d’autres et que l’avenir du lycée professionnel suscite enfin l’intérêt et le débat qu’il mérite.

Rosa B et Manu A