Aux États-Unis, ce sont les États qui sont responsables des élections même de la présidentielle. Il y a donc des différences dans cette gestion, d’un État à l’autre. Parfois importantes, parfois négligeables. Chaque élection est précédée de « primaires » et/ou caucus dont les Partis politiques sont responsables. Là aussi il y a des différences d’un État à l’autre parce que ce sont les instances des Partis dans les États qui établissent les règles. Les primaires sont, grosso modo comme nos assemblées d’investitures mais ouvertes plus largement soit à tous et toutes les membres du Parti dans l’État soit même à l’électorat de l’État où se tient la primaire. Donc, des Démocrates peuvent, en théorie, voter chez les Républicains.es et vice-versa dans certains cas. Le vote est secret. Les caucus sont de petites assemblées où les candidats.es font leur présentation et où les votes sont pris à main levée. Il faut donc se présenter en personne pour que son vote soit compté. On leur donne moins de crédit qu’aux primaires et ils sont moins nombreux.
À chaque élection, on vote pour les représentants.es à la Chambre des représentants (435 sièges), une partie du Sénat (35 sièges sur 100 cette année), pour des gouverneurs des États, pour toute ou une partie des membres des parlements des États et pour toute une série de postes à attribuer : shérifs, juges de diverses instances, procureurs.es en chef de certains tribunaux, etc.
Depuis le début de l’été, des primaires et caucus se tiennent chaque mardi. Le lendemain, les médias sont inondés d’analyses qui soupèsent les victoires et les défaites, sortent une masse de statistiques en regard de ce que cela annonce pour les résultats globaux pour chaque parti en novembre. Cette année, les Démocrates espèrent regagner le contrôle de la Chambre et du Sénat. La bataille est chaude pour la Chambre et les paris sont encore ouverts pour le Sénat. Pour en regagner le contrôle, les Démocrates doivent conserver les 26 sièges qui leur appartiennent en ce moment et en gagner 2 de plus. Pour les directions des Partis, ces enjeux sont majeurs dans la conjoncture actuelle.
3 particularités notoires de cette élection 2018 :
1- Un nombre sans précédent de candidates
2- Un nombre important de candidates et candidats qui se réclament du socialisme et/ou du progressisme avec succès, sous l’étiquette démocrate et qui mettent à mal les positions démocrates traditionnelles
3- La montée en force du Parti démocrate après quelques années de domination du Parti républicain et l’effet Trump
Un nombre de candidates sans précédent
En ce moment, on compte 309 femmes candidates à la Chambre (Mother Jones, S. Mencimer 19-08) ; c’est du jamais vu. En 2012, année de la dernière élection de B. Obama, elles étaient 298. Les Démocrates sont plus nombreuses que les Républicaines. En plus les sondages montrent aussi qu’un plus grand pourcentage de femmes démocrates voterait préférablement pour des candidates : 42% contre 15% du côté républicain. Elles ne gagnent pas toutes leur investiture mais beaucoup la gagne. Alexandria Ocasio-Cortez, à 28 ans, est devenue la vedette de la campagne. Elle a réussi à gagner l’investiture au poste de candidate démocrate à la Chambre des représentants pour l’État de New-York en défaisant un vieux routier bien installé qui visait après sa victoire, le poste de président du groupe démocrate majoritaire espérait-il. En Arizona, deux femmes se feront face à un poste au Sénat : une démocrate modérée et une républicaine modérée également. Cette dernière a défait une candidate se réclamant de D. Trump. Un nombre record de femmes retraitées des armées sont aussi candidates pour l’un ou l’autre des Partis.
Si le Parti démocrate regagne le contrôle de la Chambre en novembre, il devra dire merci aux femmes.
Des candidats.es qui se réclament du socialisme
Il faut toujours se souvenir qu’aux États-Unis, la règle et la réalité de deux partis politiques sur la scène est aussi une loi d’airain. Le système n’admet pas de troisième parti. Parlez-en à Ralph Nader qui a goûté à cette médecine.
Pourtant on assiste cette année, dans la foulée des victoires des équipes Sanders en 2016, à une quantité sans précédent de candidats.es qui se présentent sous l’étiquette démocrate mais en s’affichant et faisant campagne au nom du socialisme et/ou du progressisme, toujours au nom de la classe ouvrière et de valeurs de gauche parfois audacieuses. Ces candidatures sont toujours soutenues par des groupes organisés comme le Working Family Party, les Democratic Socialists of America, Justice Democrats, Brand New Congress et Our Revolution de B. Sanders, parmi d’autres. Des organisations locales sont aussi dans le coup.
Il faut bien avoir en tête, qu’aux États-Unis, prononcer le mot socialisme revenait à signer son acte de décès politique jusqu’à peu. Même si historiquement, ce n’était pas le cas. Or, les positions de B. Sanders d’abord au Vermont où il a été maire de Burlington, et ensuite durant sa campagne à la candidature démocrate à la présidence en 2016, ont fini par changer le tableau et insuffler de la vigueur aux autres organisations de gauche.
Avec la règle des deux partis, B. Sanders à fait le pari de transformer le Parti démocrate de l’intérieur. Comme il le disait dans l’entrevue que nous avons diffusé dans un numéro précédent, il faut se défaire de ceux et celles qui, à la direction et dans les instances du Parti sont liés.es aux grandes compagnies qui financent leurs campagnes. Or, toutes les candidatures de gauche actuelles qui risquent de devenir des élus.es changent déjà les choses surtout quand ceux et celles qui se représentent doivent leur faire face et finissent parfois par être battus.es. Un exemple : cet ouvrier de l’acier qui vient de gagner l’investiture au poste de shérif à Milwawki au Wisconsin et dont les chances d’être élu en novembre sont très bonnes semble-t-il.
Il est soutenu par le Working Family Party qui soutient aussi un autre candidat à la Chambre du Wisconsin et qui aurait des chances d’être élu également. Et la gauche vient de récolter une victoire à l’intérieur du Parti. Samedi le 24 août courant, par un vote majoritaire dans une instance supérieure du Parti, le pouvoir des superdéléguées.es à été considérablement diminué au grand dam des bonzes du Parti qui ont voté contre la mesure. Ces superdélégués.es sont choisis.es et nommés.es par les élites et la direction du Parti pour voter en faveur du candidat ou de la candidate choisi.e par le Parti. Ainsi, en 2016, Mme Clinton avait déjà une majorité du vote lors de la convention à venir avant même que la première primaire se soit tenue. Au moment de la convention B. Sanders détenaient plus de votes populaires qu’elle, ce qui ne changeait rien au résultat à cause des superdélégués.es. Ce vote ne change rien pour l’élection de cette année mais le changement se fera sentir lors de la présidentielle de 2020.
Les candidats.es progressistes de gauche, rebelles comme on les appelle, sont aussi d’origine beaucoup plus diverse que les candidats.es traditionnels.les que ce soit par les origines ethniques, le sexe, les orientations sexuelles qui ne sont plus cachées, la religion et par l’âge. Ceci vaut pour les deux Partis mais plus chez les Démocrates. On trouve une candidate transgenre au Vermont, une musulmane voilée au Minesota, une candidate afro américaine au poste de gouverneur en Georgie, un des États les plus discriminatoires du pays et une autre pour un poste à la Chambre au Connecticut qui serait la première de cette appartenance à représenter son État au Congrès. A. O. Cortez est d’origine latino et elle n’est pas la seule de cette origine.
Mardi le 28 août, un afro américain de gauche, soutenu par B. Sanders, à gagné sans ambiguïté la candidature au gouvernorat en Floride. Là aussi il s’agit d’une révolution, Andrew Gillum a ouvertement fait campagne avec ses positions de gauche. Il fera face au républicain Ron DeSantis, actuellement représentant au Congrès et soutenu par D. Trump. La lutte pour le contrôle des armes à feu y sera centrale. A. Gillum est le 3ième afro américain démocrate à gagner la candidature au poste de gouverneur de son État. Les deux autres sont Ben Jealous au Maryland et Stacey Abrams en Georgie. C’est du jamais vu. En ce moment il n’y a absolument aucun gouverneur.e afro américain.e en place.
C’est une véritable révolution même à ce stade mais leurs chances sont bonnes d’être élus.e. Ce sont des gens engagés en politique depuis longtemps malgré leur jeune âge (de 39 à 45 ans), leur base dans la population afro américaine est solide mais les progressistes les soutiennent également, ce qui est une réussite spectaculaire pour le Parti démocrate : réunir la base démocrate et les supporters de B. Sanders. Leur ancrage dans leurs milieux est important. Ce ne sont que quelques exemples, tous dans les rangs démocrates.
Il faut parler ici du traitement des identités dans les instances démocrates. Depuis quelques années et spécialement en 2016, les campagnes démocrates se sont adressées à l’électorat par catégories identitaires : les afro américains.es, les femmes, les jeunes, selon les origines ethniques, les pauvres, les riches, les LGBTQ etc etc. Mme Clinton a été très critiquée pour avoir structuré sa campagne sur de telles bases. Cela aurait contribué à sa défaite.
Les progressistes rebelles de gauche se présentent avec un programme qui comporte des nuances selon les milieux mais leur position est clairement de classe, en faveur de la classe ouvrière et ses alliés.es, concrètement en faveur de la majorité du peuple sans distinction de différences sauf quand il s’agit de corriger des discriminations. Avec B. Sanders, se sont des revendications populaires qui sont défendues avec ardeur : un programme d’assurance maladie universel, Medicare pour tous et toutes, le salaire minimum à 15$ de l’heure partout, la gratuité de la scolarité à tous les niveaux, la réforme du système judiciaire et des politiques d’immigration entre autre. Et il semble bien que ce soit ce programme qui leur donne la victoire avec une position de fond contre le Président Trump et ses politiques.
La montée en force du Parti démocrate après quelques de domination du Parti républicain et l’effet Trump
Les Démocrates ont perdu le contrôle de la Chambre des représentants à la mi-mandat du 2ième mandat du Président Obama. Au Sénat deux ans plus tard. Ce furent de dures défaites. Dans le système politique américain c’est le Congrès (Chambre et Sénat réunis) qui font la loi et les lois malgré l’image que veut donner le Président Trump. Détenir la majorité dans l’une ou l’autre de ces institutions est vital surtout en ces temps où le travail bipartisan est rejeté, principalement par le Parti républicain.
Les analystes ont l’habitude chez nos voisins, de mesurer l’enthousiasme envers un parti ou un autre dans la population et chez les candidats.es. Cette année il semble qu’elle soit surtout présente du côté des Démocrates. Les propositions de gauche sont accueillies très favorablement dans la population : plus de la moitié des Américains.es sont d’accord avec Medicare pour tous et toutes et ce soutient atteint 75% chez ceux et celles qui se disent démocrates. Au Nebraska, Kara Eastman, candidate démocrate est en avance de 16pts avec cette position sur la santé où 63% des Démocrates la soutiennent. Ce sont 40% des rangs républicains qui sont aussi d’accord avec cette proposition.
Le soutient aux Démocrates repose sur des questions de fonds défendues par les candidats.es rebelles mais ancrées localement. En Arizona et en Oklahoma les élus.es qui se représentent sont jugés.es sur leur réponse aux revendications des enseignants.es aux cours des dernières années. Ceux et celles qui ont voté contre leurs demandes d’augmentations de salaires perdent leurs élections en faveur des Démocrates. En Oklahoma où une résolution d’augmentation de diverses taxes pour payer les augmentations consenties aux enseignants.es à été battue, sur 10 élus.es républicains.es qui se représentaient, 2 ont été défaits par un.e autre Républicain.e, 7 ont dû passer par un 2ième tour et 6 ont été défaits.es en faveur des Démocrates.
Mais la vague démocrate annoncée n’est pas certaine. Pour ce qui concerne la Chambre des représentants et le Sénat, les jeux ne sont pas faits. Il est vrai que le nombre de sièges à pourvoir à la Chambre, 86, est le plus élevé depuis 1930 et la majorité, 76, sont tenus en ce moment par des Républicains.es ce qui donne un avantage aux Démocrates. La reprise de contrôle du Sénat sera plus difficile à obtenir. Des 33 sièges en jeu un tiers des détenteurs.trices se représentent et les trois quarts appartiennent aux Démocrates dans des États gagnés par D. Trump en 2016. Mais leur victoire n’est pas impossible. Leur performance dans les élections partielles des deux dernières années a été remarquable.
La participation aux votes des primaires est un autre indice de leur popularité. Elle avait augmenté de 84% chez les Démocrates contre seulement 24% chez les Républicains au début août. Et les Démocrates ont ramassé plus de contributions que leurs adversaires. Cette élection compte un nombre record de candidats.es démocrates dont un nombre record de femmesi.
Et de quoi aurait l’air la représentation démocrate advenant la victoire ? Le Brooking Institute classe les candidats.es (en dehors de ceux et celles qui se représentent), en « progressistes » : 280, ou alignés.es sur l’establishment : plus de 400. Un commentateur de NBC, C. Todd, analyse que sur les 33 candidats.es à la Chambre se réclamant de B.Sanders, 14 on gagné leurs primaires contre 19 qui ont perdu face à des adversaires soutenus.es par l’establishment du Parti. Et ceux et celles qui ont gagné l’ont fait dans des districts déjà acquis aux Démocrates. On doit donc s’attendre à un Congrès où les centristes seront renforcés plutôt qu’à une empreinte importante des socialistes ou de ceux et celles se réclamant de la ligne de B. Sanders.
Car il semble bien que le vote démocrate sera d’abord et avant tout, malgré ce qu’il peut sembler en ce moment, un vote contre l’administration Trump et ceux et celles qui veulent que le Parti soit plus agressif dans son opposition au Président ne sont pas tous et toutes des supporter de B. Sanders. Même s’il se peut qu’une bonne partie conviennent qu’une poussée vers la gauche est nécessaire. Et il ne faudrait pas se faire d’illusion sur la capacité du Parti à se réformer profondément. En 2008, e très large soutient à B. Obama reposait sur l’image progressiste, d’espoir et de changement qu’il projetait au-delà de son engagement envers l’orthodoxie néolibérale.
Finalement, il faut dire que la participation au vote le 6 novembre sera encore plus cruciale que d’habitude. Pour réveiller ses troupes, le Sénateur T. Cruz du Texas, en danger dans son district leur a annoncé que les Démocrates étaient prêts.es à marcher dans les flammes pour aller voter. À voir !
Alexandra Cyr. Publié sur le site de Presse-toi à gauche ! (Québec).