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Action parlementaire et luttes sociales au Portugal

Le Bloc de gauche s’est formé il y a une vingtaine d’années au Portugal, par la fusion de forces issues de la gauche anticapitaliste et du mouvement social. Il est aujourd’hui, avec le Parti communiste, la principale formation de la gauche combative du pays. En partant de l’expérience du Bloc, Francisco Louça, dresse ici un bilan des relations toujours problématiques entre travail d’opposition parlementaire et investissement au sein des mouvements et des mobilisations sociales.

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La présence et la référence institutionnelles ont été le point le plus fort de l’intervention du Bloc de gauche. Il n’en a pas toujours été ainsi : le parti est né des efforts de courants politiques qui se sont unis parce que le mouvement social avait été vaincu dans le référendum sur l’avortement en 1998 (et avec cela, ils avaient compris les limites de leur action fragmentée et sans prolongement électoral) et dans le contexte des luttes anti–globalisation et pour l’indépendance de Timor. Ainsi, la pression du mouvement social a été déterminante. Ça a été le point de départ. Mais le succès du Bloc a découlé du dépassement d’une tradition militante sans expression nationale, qui ne faisait pas débat au sein de l’opinion, pour créer un rapport de forces politique. C’est parce qu’il a fait élire des député·e·s que le Bloc a fait un bond en avant, devenant un parti de référence pour la lutte populaire. S’il n’avait pas remporté les premières législatives, il est peu probable que le Bloc existerait aujourd’hui.

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La représentation institutionnelle et électorale est la forme normale de l’action politique aux yeux de la majorité de la population. Quelques secteurs sociaux participent à une autre forme de vie en adhérant à des associations ou à des syndicats. Mais, bien qu’ils se réfèrent à la majorité de la population, les secteurs associatifs sont minoritaires et bien souvent de taille réduite : les syndicats, le principal et le plus stable des mouvements sociaux portugais, ne représentent aujourd’hui que 15 % des travailleurs·euses, avec de grandes différences selon les secteurs (dans le public, en majorité) et les entreprises (30 % de syndicalisation dans un petit nombre d’entreprises de plus de 500 travailleurs·euses, et seulement 1 % dans les entreprises de cinq travailleurs·euses et moins). Il n’y a pas de grandes associations ou d’autres mouvements sociaux organisés avec de larges réseaux de base. Pour cela, il n’y a que peu de canaux aujourd’hui pour l’action dans laquelle se crée le militantisme social.

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L’expérience de lutte contre la troika (Commission européenne, BCE et FMI) résume ces contradictions. La lutte sociale a atteint des niveaux impressionnants: manifestations du 12 mars 2011 et de « Que se Lixe a Troika! » (Que la Troika aille se faire voir!) (2012–2013). Elle exprimait le mécontentement social autour de questions importantes, le rejet de la vie précaire et de la manœuvre de la baisse de la taxe sociale patronale (TSU). Mais elle ne s’est pas donné d’organisation et de continuité. Il n’y a pas eu et il ne pouvait y avoir de forme organisée dans ce processus. À côté de ces manifestations et en dehors d’elles, les syndicats ont été plus forts dans l’organisation de cortèges que dans la pratique syndicale. L’organisation syndicale de la résistance à la troika a été plus politique que syndicale.

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Dans tout cela, le point fort du Bloc a été un avantage. Il a représenté une partie importante de l’indignation antitroika et de la recherche de solutions politiques, précisément parce qu’il pouvait déséquilibrer la politique nationale, et il a été reconnu par des centaines de milliers de personnes comme l’instrument adéquat et nécessaire – dans les élections.

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Un parti populaire doit disputer la représentation électorale. Il n’a pas de succès s’il ne parvient pas à créer un rapport de forces politique et s’il ne l’exprime pas par des confrontations qui débouchent sur des résultats. Une stratégie alternative de lutte sociale sans représentation ne serait guère plus qu’une justification de l’isolement. Un parti de gauche socialiste lutte pour la majorité et ne se laisse gagner ni par le complexe minoritaire ni par la vision anarchiste ou autonomiste d’un monde social présumé extérieur à la confrontation électorale, au sein duquel il faudrait s’exiler. L’idée que l’État bourgeois s’effondrerait si de nombreuses personnes s’abstenaient est inopérante et rend service à la bourgeoisie. Le Bloc a connu des échecs et des victoires, mais il a fait son chemin.

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La représentation et la présence institutionnelles ont créé une réalité à laquelle les membres fondateurs du Bloc étaient mal préparés au début. Il a fallu sélectionner des candidat·e·s qui répondaient à ce niveau de représentation, ce qui a impliqué des décisions, mais aussi des conflits gratuits (n’oublions pas que deux courants du Bloc, les liste B et R, ont rendu public en son temps une lettre contre la présentation de Mariana Mortágua au Parlement). Il a été nécessaire de développer des compétences techniques et des équipes professionnalisées pour accompagner et soutenir notre travail parlementaire national, européen, dans les régions autonomes, qui s’est étendu entretemps aux collectivités locales. De telles compétences sont indispensables pour préparer des propositions, pour prendre des initiatives et les défendre, mais ceci a un coût non négligeable: une partie importante de nos militant·e·s les plus expérimentés sont captés par des investissements institutionnels.

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Ces machines institutionnelles absorbent donc de nombreuses capacités militantes. On ne sait jamais à l’avance si cela débouchera ou non sur une adaptation au système, mais cette normalisation institutionnelle génère des pressions dans ce sens. Ces formes d’adaptation sont variées : résignation à des mesures très limitées au nom du maintien des positions acquises ; refus de critiquer les institutions ou leurs directions au nom de futurs accords possibles ; idée que la politique avance à petits pas ; peur de l’opinion publique qui amène à ne pas présenter une alternative socialiste qui conduise à d’autres formes institutionnelles ; volonté d’éviter le risque de conflit par crainte de perdre. Toutes ces formes d’adaptation déforment une politique de gauche fondée sur la représentation populaire.

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Le zapping politique est une autre forme d’adaptation et ce n’est pas la moins importante. Le fait de s’habituer à un mode d’expression politique qui dépend des circonstances et des opportunités, voire de l’agenda des protagonistes institutionnels ou de la presse du jour, comporte un risque, parce qu’il peut dissoudre la stratégie dans le goût du jour. Si le mouvement était tout et que le programme n’était rien, il n’y aurait pas de politique socialiste pour organiser le mouvement des travailleurs·e·s et populaire.

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L’institutionnalisme est aussi très fort au sein des mouvements sociaux, et pas seulement dans les partis de gauche. Observons les mouvements sociaux autour du Bloc, que nous connaissons et respectons, et demandons-nous combien d’entre eux ont les mêmes dirigeant·e·s depuis 30, voire, pour certains, depuis 40 ans. Dans les syndicats, la contradiction est encore plus forte: de nombreux syndicats sont statutairement organisés afin que le contrôle d’un parti ne puisse jamais être mis en cause, et la plus grande centrale syndicale a donné corps à cette stratégie.

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Le Bloc a peu progressé sur le terrain de la représentation sociale, que l’on ne peut pas confondre avec la représentation électorale. Nous devons nous demander, par rapport à la force que nous avions au temps de notre fondation, il y a pratiquement 20 ans, si nous avons maintenant plus ou moins de forces organisées dans le monde syndical, dans les entreprises, parmi les déléguées et délégués syndicaux, les commissions de travailleurs·euses ou les autres formes de représentation. Et de la réponse à cette question doit découler des conclusions. Nous devons nous poser la même question par rapport aux jeunes: comment les étudiant·e·s et les autres jeunes peuvent-ils·elles se rapprocher de notre parti ? Comment peuvent-ils·elles nous rejoindre et trouver des modalités de formation et d’action politique ? C’est dans ces réponses que réside la solution aux tensions que nous ressentons dans les institutions.

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Le capitalisme est un mode de production, de reproduction des conditions de production et de représentation des conditions de production et de reproduction. Cette définition souligne l’essentiel: il n’y a pas de production capitaliste sans que le système ne se reproduise et que pour cela il mobilise sa représentation, qui se fonde sur l’aliénation du travail, des relations sociales, de la vie, des relations avec la nature, mais aussi dans l’aliénation de la représentation électorale et du vote. La séparation du travailleur·euse du produit de son travail, du contrôle de sa vie, de son pouvoir social et même électoral fonde le conformisme sur lequel repose l’hégémonie bourgeoise. C’est pour cela que la politique de gauche est mouvement social et vise à se renforcer dans la perspective que ses idées et propositions impactent aussi les élections ; c’est pour cela qu’elle ne renonce à aucun terrain dans la dispute de l’hégémonie ; c’est précisément pour cela que la stratégie socialiste ne peut triompher que dans la lutte sociale.

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Le point fort du Bloc a été son expression politique, et donc sa participation aux élections. Les stratégies alternatives, comme celle de renoncer à disputer la représentation, et donc la politique comme l’entend le peuple, ont failli et failliront toujours. Mais le succès de cette option électorale ne démontre pas que la représentation est la condition suffisante d’une politique socialiste. Conçue comme un instrument pour accumuler des forces, elle est utile. Conçue comme une forme de conditionnement et de perte de sens critique et d’alternative sociale, elle échoue. La gauche n’existe qu’au travers du protagonisme social, par le conflit ou l’intervention stratégique dans la lutte des classes. Autrement dit, elle a besoin de prendre part au mouvement de classe. C’est toujours ainsi qu’elle mesure ses forces.

Francisco Louça. Article paru dans la revue électronique du Réseau Anticapitaliste, courant interne du Bloc de Gauche portugais, sous le titre « Instituições, institucionalismo e o Bloco ». Traduction: solidaritéS.