Les mobilisations du 8 mars ont été un grand succès dans de nombreux pays, de la Turquie (malgré la répression de la manifestation par la police, au prétexte que les cris et sifflets des manifestantes, à l’heure de la prière, auraient fait la preuve de leur irrespect de l’Islam) aux Etats-Unis, en passant par l’Amérique Larne et l’Espagne, où les manifestations les plus impressionnantes se sont incontestablement produites, en réponse à l’appel à la grève féministe.
Ce mode d’action retrouve des couleurs depuis 2016. Pour le droit à l’avortement, les féministes polonaises avaient appelé à la grève en octobre, contre le gouvernement polonais qui voulait encore durcir la législation. Quelques jours plus tard, les féministes argentines ont appelé à une grève d’une heure en réaction aux violences sexistes, après un féminicide de trop, aux côtés du collectif « Ni Una Menos ». En Espagne, c’est aussi la défense du droit à l’avortement qui a provoqué des mobilisations extrêmement massives. Cette remobilisation féministe s’était traduite par une grève féministe le 8 mars 2018. Cette année, il fallait transformer l’essai. Le premier enseignement en est qu’il ne s’agissait pas d’un feu de paille. En Argentine, où le mouvement syndical est partie prenante, comme en Espagne, le 8 mars a été l’occasion de véritables marées humaines. Le deuxième est que la grève s’étend, avec des appels dans plusieurs dizaines de pays, même si le développement du mouvement est pour l’heure très inégal.
La vague féministe se poursuit donc à l’échelle mondiale, pour le droit à l’avortement, contre les violences, dans un contexte où l’austérité révèle et aggrave les inégalités économiques et sociales.
En France, le 8 mars 2019 se situait en plein mouvement des Gilets jaunes. De ce point de vue, on ne partait pas de rien, dès lors qu’il y avait déjà eu, depuis le mois de janvier, des mobilisations de femmes gilets jaunes.
En effet, les femmes ont massivement participé aux blocages de rond points, aux manifestations le samedi, dénonçant pour nombre d’entre elles les situations de précarité qui les touchent particulièrement : familles monoparentales, retraitées, salariées précarisées.
Par ailleurs ce 8 mars avait aussi la particularité de se produire trois mois après le succès historique (à l’échelle de la France) des manifestations du 24 novembre organisées par « Nous Toutes », cadre unitaire de lutte contre les violences faites aux femmes : manifestations dans plus de 50 villes, 50000 personnes dans toute la France dont environ 30000 à Paris, caractérisées à la fois par leur jeunesse, la jonction avec les anciennes générations de féministes et la dimension radicale de la remise en cause du patriarcat.
La journée du 8 mars a été préparée dans de nombreuses villes selon des formes différentes liées à l’organisation du mouvement des femmes dans chaque territoire, le plus souvent en s’inscrivant dans l’appel unitaire national : 8 mars 15h40.
Ce cadre existe depuis 2017. Il réunit des syndicats (CGT, Solidaires et FSU), une quarantaine d’associations féministes telles que le CNDF, la Marche mondiale, le Planning familial, la Fédération nationale Femmes solidaires, femmes migrantes, lesbiennes féministes, l’association des femmes kurdes… L’objectif’ était dès l’origine de rassembler largement en articulant les revendications concernant les femmes au travail (inégalités professionnelles et salariales mais aussi violence au sein des entreprises, précarité du travail pour les femmes..) et les revendications et mobilisations des associations féministes concernant l’ensemble des aspects de l’oppression des femmes, dans les sphères publique et privée.
15h40 c’est l’heure à laquelle les femmes ne sont plus payées, si l’on se réfère aux écarts de salaire entre femmes et hommes. Le mot d’ordre « 15h40, l’heure des comptes » y fait référence, mais la grève concerne aussi les tâches domestiques.
Cela fait trois ans que les organisations syndicales déposent des préavis de grève pour le 8 mars, soit sur 24h soit à partir de 15h40. Comme les années précédentes il a été difficile de rendre effective une grève des femmes au travail mais le mot d’ordre a été bien plus visible cette fois, avec plus de 200 actions se sont déroulées sur les lieux de travail pour lutter contre les inégalités salariales.
35 villes ont organisé des rassemblements et manifestations le 8 et le 9 mars.
A Paris, le rassemblement place de la République, le 8 mars, s’est déroulé avec une diversité d’associations et une convergence inédite. Beaucoup de groupes féministes se sont approprié la place, avec des apparitions colorées, musicales, ou de petites mises en scène. Ainsi, les femmes de la Maison des femmes de Paris qui ont rendu visibles les 30 femmes mortes depuis le début de l’année sous les coups d’un conjoint ou ex-conjoint, en traçant des silhouettes sur le sol avec le nom des victimes.
D’autres sont plus classiquement intervenues à la tribune, femmes de la Ville de Paris, grévistes du 8 mars, qui ont rappelé l’importance des services publics, femmes ayant mené des grèves emblématiques, comme les femmes de l’hôtel Park Hayat de la place Vendôme, qui après 87 jours de grèves au dernier trimestre 2018 ont vu une bonne partie de leurs revendications satisfaites, sur leurs rémunérations et leurs conditions de travail.
Il y eut aussi des femmes pour incarner la dimension internationale de cette journée.
Femmes de différents pays d’Amérique latine, témoignant des très fortes mobilisations féministes en cours sur ce continent, face notamment à l’extrême droite au Brésil et au poids réactionnaire des différents chapelles religieuses en Argentine.
Femmes algériennes, décrivant le puissant mouvement qui se poursuit, et dans lequel les femmes sont largement partie prenante.
Féministes kurdes appelant au soutien de Leyla Güven qui est en grève de la faim
Que ce soit à Toulouse, Marseille, Bordeaux, Rennes, Lille, Tours etc… de nombreuses initiatives sous forme de rassemblements, manifestations, chaînes humaines ont montré une dénonciation du sexisme et du patriarcat avec des slogans dont l’inventivité rappelle début du mouvement des femmes dans les années 1960 et 1970, et qui fait une large place à la dénonciation des violences ( et notamment de l’augmentation du nombre de féminicides depuis le début de l’année, 30 en un peu plus de 2 mois)
Comme ce fut le cas le 24 novembre, toutes ces manifestations étaient marquées par la présence de nombreuses jeunes femmes mais aussi de jeunes hommes.
Elles n’ont pas échappé à la répression galopante, puisqu’à Bordeaux trois étudiantes qui quittaient la manifestation de nuit ont été scandaleusement arrêtées et mises en examen.
Au vu de l’actualité sociale, cette année le 8 mars a eu des répliques le lendemain dans plusieurs villes, en lien avec le mouvement des femmes Gilets jaunes. Par le biais des réseaux sociaux, On notera qu’en région parisienne, des femmes précaires Gilets jaunes ont fait des appels sur des bases clairement lutte de classe pour se démarquer de celles qui se disaient « féminines, pas féministes ». On notera aussi, à Paris, la convergence de Gilets roses (« Non à la réforme de l’assurance chômage » banderole des assistantes maternelles), des femmes Gilets jaunes (« Femmes précaires, femmes en guerre » et du cadre unitaire « 8 mars 15h40 » («Egalité femmes/hommes, le compte n’y est pas ») qui ont coorganisé une manifestation féministe.
Si on est encore loin des déferlantes féministes observées en Espagne en Amérique latine, les 8 et 9 mars ont bien été des réussites, démontrant que la France n’est décidément plus à l’écart de la remobilisation féministe à l’échelle mondiale.
Ingrid Hayes et Anne Leclerc