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Un 16 mars bouillonnant

Samedi 16 mars 2019 était le rendez-vous fixé dans toute la France pour, d’une part, la mobilisation pour le climat, et, d’autre part, les Gilets Jaunes. A cela s’ajoutait, à Paris, la marche antiraciste pour les solidarités à Paris.

Le premier bilan est celui du succès numérique à commencer par la mobilisation pour le climat : entre 50.000 et 100.000 personnes à Paris (dans tous les cas la plus importante manifestation pour cette cause en France), près de 30.000 à Lyon, 5.000 à Marseille mais aussi dans de très nombreuses localités comme, par exemple, 1.000 à Quimper et Aubenas, 2.000 à Saint-Brieuc ou même 500 à Moret-sur-Loing en Seine-et-Marne…. avec très souvent des cortèges communs entre manifestant-es pour le climat et GJ. Cette journée a fait suite à la grève globale des classes par les lycéens et collégiens qui a été un premier succès en France la veille.

Par la présence de 3 mobilisations, Paris occupait une place particulière. La manifestation climat y a été massive avec une forte présence de la jeunesse (lycéen-ne-s et collégien-ne-s plutôt qu’étudiant-e-s) et dynamique. Le profil faisant le lien entre justice sociale et justice climatique était porté par plusieurs organisations militantes mais gagnerait à avoir plus de visibilité et d’impact dans le futur. Un certain nombre de Gilets Jaunes était présent au départ de la manif climat au Trocadéro et sur tout son trajet vers Opéra. Le public était essentiellement issu du salariat de classe moyenne des centres urbains, avec ce qui semble une grande variété politique de la gauche anti-austérité au social-libéralisme. Ainsi, on peut relever que les réactions à la distribution d’un autocollant  « justice climatique, sociale, fiscale…» dans un gilet jaune stylisé étaient plutôt positives, mais aussi négatives dans une proportion non négligeable …

Cet ensemble est assez indéfini politiquement mais actif et s’adressant à une crise internationale générée par le capitalisme et ouvrant ainsi des perspectives, en particulier dans la jeunesse, dans un sens prometteur… Cela a été illustré par le fait que de nombreuses interventions avant le grand concert à République concluant la Marche ont évoqué explicitement le capitalisme devant une place comble. En outre, le lien y a été fait en un sens unitaire entre les différentes mobilisations de la journée avec la parole tant à des militantes contre les violences policières qu’à des personnalités gilets jaunes. De même lors du passage de la manifestation antiraciste (qui a marché devant), le début de la manifestation climat la fit applaudir.

La manifestation antiraciste, en tant que rendez-vous annuel dans une période de crise/recomposition sur ce front, a rendu hommage aux victimes de l’attentat islamophobe de Christchurch et constitué un succès non négligeable dans un contexte difficile avec près de 5.000 personnes dont un fort contingent de sans-papiers confrontés à une politique de refus systématique de régularisation sous Macron. Elle s’est en grande partie mélangée à la manifestation climat. Un thème qui pourrait être développer dans le futur est le lien entre la crise climatique et migrations.

La manifestation des Gilets Jaunes sur les Champs-Élysées a été plus importante que les précédentes. Les dernières manifestations ont constitué une sorte de « retour » aux premières journées fin 2018. Le caractère émeutier a été à nouveau fortement présent avec une « casse » significative… et, indéniablement, si ils n’y participent pas forcément, les Gilets Jaunes présents n’expriment pas de désapprobation lorsque cela a lieu. Que de grandes enseignes sur les Champs-Elysées aient été pillé ou qu’un établissement symbole du « bling-bling » des riches connaisse une incendie (dont les origines ne sont pas claires) et alors qu’il est vide ne semblent guère émouvoir les Gilets Jaunes mobilisés au regard de leurs mutilés, des conséquences mortifères des politiques d’austérité au profit des plus riches… On ne peut que partager cet ordre de priorité raisonnable quand à ce qu’il convient de déplorer au contraire des éditocrates du macronisme et des belles âmes du libéralisme plus prompts à s’émouvoir de brise de glace que, par exemple, de suicides du personnel hospitalier public.

Il a été d’ailleurs observable que les policiers ont laissé faire pendant plusieurs heures dans le cadre d’une stratégie médiatique du pouvoir après les rapports de l’ONU et de Toubon (« la violence c’est les GJ, pas les forces de l’ordre »). D’ailleurs, quand les « forces de l’ordre » ont décidé d’évacuer les Champs-Elysées, cela a pris 20mn et l’émeute s’est déplacée vers les Grands boulevards.

Le fait est que malgré la poursuite du retour aux sources des premières manifestations de fin 2018 et une participation accrue, cette forme de mobilisation des Gilets Jaunes, même émeutière, connaît une certaine ritualisation tout en maintenant une ambiance de conflictualité dans la société. Son devenir est toujours indéterminé.

Le discours gouvernemental, du social-libéralisme, des médias dominants est la mise en concurrence entre la « bonne » mobilisation climat et le « mauvais » mouvement Gilets Jaunes.

Les enjeux et les tâches sont assez clairs, étendre le mot d’ordre juste « fin du monde, fin du mois, même coupables, même combat » tout en faisant le lien avec l’oppression raciste dont les violences policières constituent la dimension la plus immédiatement flagrante (et permettant de connecter avec ce qui est subi par les mouvements sur les questions sociales). Toutefois, cette intervention pour politiser doit se faire avec subtilité en laissant respirer chacune de ces mobilisations, sans chercher à imposer au forceps une « convergence des luttes » qui, toute nécessaire qu’elle soit, ne pourra se faire qu’au terme de processus propres à chacun de ces mouvements. Une tribune initiée par ATTAC a permis une expression unitaire entre syndicats, associations anti racistes, ONG allant dans ce sens.

Ümit Kalfa