1800 agent·es des forces de l’ordre déployées dans l’île, avec un objectif initial d’au moins 1000 destructions de « bangas » (des habitations précaires en tôles) et de 300 personnes renvoyées aux Comores chaque jour, soit près de 20.000 personnes en deux mois sur une population de 310 000 personnes, l’opération « Wuambushu » est une véritable opération militaro-policière qui fait froid dans le dos.
Darmanin, le ministre de l’intérieur, avec le soutien d’une partie des dirigeants locaux, veut faire de Mayotte un laboratoire et un produit d’appel pour expérimenter et vendre sa politique ultra autoritaire et anti-migrant·es Et tous les moyens sont bons quitte à alimenter un climat de guerre civile à Mayotte et à porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères.
Sauf que tout à son empressement de faire une démonstration politique, Darmanin semble avoir oublié qu’il ne peut pas encore tout faire au mépris du droit français et de la souveraineté des Comores.
Le juge des référés de Mamoudzou, a « ordonné au préfet de Mayotte de cesser toute opération d’évacuation et de démolition des habitats » du bidonville « Talus 2 » du quartier de Majicavo, à Koungou, deuxième commune la plus peuplée.
Et le gouvernement des Comores a indiqué qu’il refuserait « l’entrée sur son territoire des personnes expulsées de Mayotte à la suite de l’opération Wuambushu ».
Pour toutes ces raisons, le gouvernement français a dû réviser à la baisse ses objectifs. Il parle maintenant plutôt de 10 000 expulsions au lieu de 20 000 en 2 mois, ce qui est énorme mais moitié moins par rapport à l’objectif initial. Cela correspondrait à 150 expulsions par jour au lieu des 70 expulsions en moyenne en temps normal.
Mais, l’opération « Wuambushu » aussi terrible soit elle , plus qu’une rupture avec les politiques menées jusqu’ici vient d’abord aggraver une politique migratoire et sécuritaire déjà particulièrement brutale.
Misère, précarité, chômage et…expulsions massives
48 % de la population est étrangère, un quart de la population est en situation irrégulière. Depuis plus d’une dizaine d’années, ce sont 15 000 à 20 000 personnes, 25 380 en 2022, qui sont annuellement expulsées essentiellement à destination d’Anjouan, l’ile des Comores la plus proche. Et chaque année, il y a autour de 1000 Comorien·nes qui se noient en tentant de rallier Mayotte. Depuis la fermeture des frontières en 1995, plus de 20 000 Comorien·nes seraient mort·es en tentant la traversée, un véritable crime de masse.
Mais Mayotte, c’est aussi le règne de la misère, de la précarité et du chômage. 84 % des habitant·es vivent sous le seuil de pauvreté, 42 % de la population vit avec moins de 160 euros par mois, 35 % est au chômage.
Evidemment, cette crise sociale alimente des tensions et l’augmentation des vols et des agressions. L’extrême pauvreté, l’exclusion, les inégalités et l’absence d’espoir pour toute une partie de la population condamnée à rester aux marges de la société ne peut que créer des tensions sociales.
Dans ce contexte inflammable, Darmanin, comme les notables locaux, font croire aux Mahorais·es que l’opération « Wuambushu » réglera les problèmes d’insécurité. Ils cherchent à se faire passer pour les pompiers qui veulent rétablir « la paix républicaine », alors qu’ils sont avant tout des pyromanes qui aggravent les fractures de la société mahoraise en faisant des Comorien·nes immigré·es les boucs émissaires de cette crise.
Dans ce contexte comment s’étonner que la parole se libère ?
Estelle Youssoupha, une députée de Mayotte, n’hésite pas à dire que « les bidonvilles sont des zones de non-droit, dangereuses au niveau social, des bombes sociales et environnementales qu’il faut détruire ».
Salime Mdéré, premier vice-président du conseil départemental, se déchaine en traitant les jeunes qui se sont opposés à la police de « délinquants, voyous, terroristes » et en disant « qu’il faut peut-être en tuer ».
Et si ce n’étaient que des mots. Malheureusement, certains dirigeants locaux encouragent le développement de véritables milices citoyennes pour faire des ratonnades contre les Comorien·nes soupçonné·es d’agressions et de vols.
Mayotte le « paradis » de l’arbitraire, des lois d’exception et de la répression policière
Aujourd’hui, la priorité ça devrait être plus de moyens pour les services publics, un plan d’investissement massif pour répondre aux besoins économiques et sociaux de la population et le retour de l’Etat de droit et d’un véritable débat démocratique sur l’avenir de Mayotte. Au lieu de ça, Mayotte aujourd’hui, c’est le règne de l’arbitraire, des lois d’exception, des discours de haine et de la répression policière brutale.
Le droit du sol y est détricoté progressivement. Un·e enfant né·e de parents étrangers sur cette île de l’Océan Indien ne peut acquérir la nationalité française que si l’un de ses parents réside sur le territoire français de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois avant sa naissance. Et Darmanin veut rallonger les délais à un an.
Autre loi d’exception, celle votée en 2018 qui permet « d’intervenir sur les quartiers informels en Guyane et à Mayotte » en donnant aux préfets le pouvoir « d’expulser des personnes sans jugement, c’est-à-dire sur simple décision administrative ». Selon Jean-Baptiste Eyraud, même cette loi d’exception n’est pas respectée vu qu’elle exige qu’une solution de relogement soit prévue et que l’arrêté soit affiché sur les portes de chaque logement un mois avant la destruction programmée.
Les destructions d’habitats précaires et les expulsions massives, les lois d’exception ne règleront pas sur la durée les tensions sociales. Le débat nécessaire sur l’avenir de Mayotte ne doit pas être préempté par les agendas racistes et autoritaires du gouvernement.
En finir avec la gestion coloniale de Mayotte
L’Etat français qui prétend vouloir trouver une solution à cette crise sociale et politique en est en fait le principal responsable. Il a instrumentalisé les désaccords existant entre l’élite politico-économique de Mayotte et celle de Grande Comore pour arracher Mayotte aux autres îles en l’intégrant à la France et cela en toute illégalité au regard du droit international. La France n’aurait jamais dû prendre en compte séparément les résultats des différentes îles à la consultation pour l’indépendance où seule Mayotte a vu le non l’emporter alors que sur l’ensemble des îles, 96 % des Comorien·nes votent pour l’indépendance. Cette remise en cause de l’intégrité territoriale des Comores est en quelque sorte le péché originel qui a créé par la suite de multiples complications en cascades pour les sociétés comoriennes et mahoraises. La fermeture des frontières à partir de 1995, avec l’instauration d’un visa, puis la départementalisation, ont achevé d’ériger des murs là où il y avait des ponts, des fractures là où il y avait des liens parfois séculaires, des conflits là où il y avait des solidarités familiales. Le débat sur l’avenir statutaire de Mayotte ne peut pas être fermé à coup d’appel à exclure 25 % de la population de Mayotte qui sont renvoyés à leur statut d’étranger·es alors qu’ils et elles sont mille fois plus chez eux que n’importe quel habitant de l’Hexagone, qui ne connait rien de Mayotte et qui pourtant pourrait librement y aller et s’y installer.
Comment peut-on appeler autrement ce rapport entre l’Etat français et Mayotte qu’un rapport colonial même s’il est partiellement consenti par l’élite politico-économique ? Ce système ne pourra pas tenir sur la durée ou alors s’il tient c’est en s’appuyant sur une répression de plus en plus brutale des forces de polices de l’Etat français et sur des lois d’exception.
Il faut rompre avec cette course mortifère à la répression, laisser les Mahorais·es repenser leur avenir en toute autonomie sans les infantiliser et les manipuler. Mais rien ne pourra être fait sur la durée en ignorant que les Comores constituent un même ensemble social et culturel et que toute politique visant à mettre des frontières là où il ne devrait pas y en avoir sera forcément vouée à l’échec à terme.
Se mobiliser massivement ici pour exiger l’abandon de l’opération « Wuambushu »
Au moment où les caméras sont tournées vers Mayotte et où le débat devient national, la responsabilité des associations, collectifs et partis de la gauche française est énorme. Non seulement parce que ce que Darmanin fait là-bas servira d’exemple à ce qu’il veut faire ici, mais aussi parce que nous ne pouvons pas laisser les Mahorais·es et les Comorien·nes seul·es face au rouleau compresseur de l’Etat français. Le Collectif Stop Uwambushu à Mayotte (CSUM), qui regroupe des associations, personnalités de la société civile et partis politiques, a organisé des mobilisations à Lyon, Marseille, Paris, Nantes, Nice, Saint-Denis le 16 avril, mais avec un soutien encore trop faible de la gauche sociale et politique française.
Le collectif Uni-e-s contre une immigration jetable (UCIJ-2023), qui réunit 400 associations et syndicats, appelle à se mobiliser largement le 29 avril contre la politique de Darmanin qui stigmatise les migrant·es et veut durcir les conditions d’accueil et pour « exiger l’abandon de l’opération « Wuambushu » » à Mayotte.
Ce qui se joue sur l’opération « Wuambushu » ne concerne pas que les Mahorais·es et les migrant·s. Laisser faire Darmanin et le gouvernement, c’est affaiblir la capacité du mouvement social à résister aux attaques de Macron. La réussite du 1er mai se joue aussi en partie le 29 avril.
Laurent Sorel