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Face au RN, un barrage ou un boulevard ?

Photothèque Rouge /Martin Noda / Hans Lucas.

« Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi, non par conviction pour notre projet, mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Je veux ici les remercier et ce vote m’oblige pour les années à venir ».

Cette phrase est extraite du discours de Macron, au soir de sa réélection, le 24 avril 2022. Force est de se demander, aujourd’hui, à quoi ce vote l’a obligé, et comment la macronie a entendu cette volonté de faire « barrage » aux convictions de l’extrême-droite !

Alors que la première phase de la « bataille des retraites » se termine avec l’emploi de l’article 49-3 et la validation de la loi par le Conseil Constitutionnel, la plupart des commentateurs·trices et éditorialistes, s’appuyant sur une batterie de sondages, nous indiquent dans un unanimisme touchant qu’il n’y a qu’un grand vainqueur, le Rassemblement National, et que celui-ci, et Marine Le Pen, seraient lancés à grande vitesse sur l’autoroute de la victoire en 2027. Comme si la séquence d’un grand mouvement social et populaire, qui met en difficulté l’ensemble du projet politique d’Emmanuel Macron sans pour autant obtenir de victoire franche, mais sans être défait à l’issue de trois mois de batailles, ne pouvait qu’être profitable à la seule force politique qui n’a cessé de cultiver l’ambiguïté tant sur le fond de la réforme que sur le soutien ou parfois la condamnation, on ne saurait dire, de la mobilisation qui s’y oppose.

Ambiguïté du RN

Il y a d’abord le hiatus entre l’affichage de la volonté d’un retour à la retraite à 60 ans avec 40 annuités, présenté à la hâte dans le programme du RN de 2022 et la succession de virages périlleux, de moments de vérité extorqués par des contradicteurs·trices pugnaces lors de débats ou d’interviews qui présentaient un système aussi nébuleux que la réforme gouvernementale et aboutissant au fait qu’une personne ayant commencé à travailler à 25 ans n’aurait pu partir qu’à 67 ans au moins. Exit aussi, comme pour la Macronie et la droite, toutes les questions de pénibilité et d’emploi des seniors. En réalité, comme sur la plupart des sujets sociaux, le RN retourne à ses fondamentaux de parti défendant à sa façon les intérêts bourgeois et qui apparaissent clairement dans ses votes à l’Assemblée nationale : contre une taxe sur les revenus supérieurs à 3 millions d’euros, contre une taxe sur les superprofits des entreprises, contre l’augmentation de la TVA sur les produits de luxe, contre la hausse des moyens de lutte contre la fraude fiscale, contre le rétablissement de l’ISF… mais pour la hausse du plafond de défiscalisation des heures supplémentaires et pour la baisse des impôts de production. Et quand il s’’agit des salaires, là aussi, le RN sort de l’ambiguïté à ses dépens : vote en juillet 2022 contre l’augmentation du SMIC, mais une proposition de loi, en janvier 2023, pour une augmentation de 10% des salaires, reposant uniquement sur une nouvelle exonération de cotisations patronales.

Tout ceci est très clair et les « solutions » à la question du financement des retraites, avancées par le RN après plusieurs semaines de silences et d’hésitations n’ont fait que renvoyer aux obsessions du RN : la lutte contre l’immigration et une politique nataliste. Sébastien Chenu, déclarant, (France Inter, 13 février 2023) : « je préfère que l’on fabrique des travailleurs français, plutôt qu’on les importe ». Tout est dit dans une seule phrase, supprimons les prestations sociales pour les immigré·es, renvoyons les femmes à la maison, tout ça financera les retraites !

Pour que la stratégie du RN, silencieux ou presque sur le fond du projet de loi, opposé à une réelle bataille parlementaire (75 amendements, rappelons-le…), surjouant la respectabilité et la défense des institutions attaquées par la Nupes, soit efficace, il lui fallait un mouvement social puissant, mais pas trop. Assez puissant pour mettre en difficulté la macronie, pour mettre en lumière les thèmes de mobilisation et les colères, mais pas trop, car un tel mouvement social, impulsé par une intersyndicale unie, soutenu par l’ensemble des forces politiques de la Nupes, et qui avait très clairement affirmé que le RN n’y avait pas sa place, ne devait en aucun cas être en mesure de triompher et de représenter un débouché , une alternative politique à la crise multiforme qui ébranle l’ensemble du projet politique de Macron. C’est pourquoi le RN a oscillé entre une condamnation des manifestations et des grèves au début du mouvement « il ne faut pas bloquer la France, il ne faut pas ajouter de désordre, etc…) et un soutien du bout des lèvres au moment des plus grandes mobilisations de mars en regrettant, par la voix de certain·es député·es, que ses élu·es ne soient pas les bienvenus dans les cortèges… Pour se poser enfin en garant de « l’ordre républicain » dès la décision du Conseil Constitutionnel, renouvelant son soutien aux forces de la répression, n’hésitant à envoyer un député poser aux côtés d’une unité de BRAV et retrouvant sans peine ses accents habituels de dénonciation des « milices d’extrême-gauche ».

Et à la fin c’est le RN qui gagne … vraiment ?

Est-ce suffisant pour que le renforcement du RN et sa victoire en 2027, seule perspective qu’il est aujourd’hui à même de proposer, soient inéluctables ? C’est la petite musique, censée donnée à cette prophétie une force suffisante pour nous faire croire à son caractère inévitable et nous préparer à un nouveau chantage sur le thème du « moi ou l’extrême-droite » que l’on entend seriner matin et soir tant par les éditorialistes que par les tenants de la macronie.

Plusieurs obstacles se dressent malgré tout sur cette route supposée triomphale. D’abord l’unité, la force et la persistance du mouvement social qui s’est étendu jusqu’aux plus petites villes, dans ce qui a été appelé « la révolte des sous-préfectures ». Ces manifestations massives ont eu lieu dans des territoires où le RN ne bénéficie pas de solide implantation locale, malgré parfois des scores avantageux, et sur des thèmes qui lui sont étrangers. Les mobilisations, le plus souvent à l’appel des intersyndicales, ont permis de retisser les liens de solidarité distendus entre générations, équipes militantes, organisations politiques.

Mais aussi la poursuite du mouvement après le passage en force du 49-3, le soutien dont il continue de bénéficier après les interventions présidentielles et son élargissement progressif à d’autres thèmes mobilisateurs, complique encore la tâche du RN et rend son positionnement « attentiste », de recours, de moins en moins crédible et performant.

Impossible pour lui de rebondir sur la dénonciation des violences policières, sur la lutte contre l’ensemble des mesures répressives, arrestations préventives, amendes, menaces de dissolution ou de sanctions contre les Soulèvements de la Terre ou la Ligue des Droits de l’Homme. Impossible pour le RN de s’insérer dans les mobilisations écologistes massives de ces dernières semaines.

Après les rodomontades de Macron sur son programme de 100 jours, le mouvement social en cours a changé de nature. Il n’est plus le simple refus d’une contre-réforme libérale, mais il porte en lui toutes le « colères » populaires qui se sont exprimées de manière dispersées depuis la crise de 2008. La force du FN, puis du RN, jusqu’à présent consistait à donner un sens raciste, souverainiste, à toutes ces colères, à les transformer en ressentiment individuel ne pouvant connaître qu’un seul débouché, l’élection à la Présidence de Marine Le Pen.

Aujourd’hui, la donne a changé et la force du RN tient plus au basculement à droite des méthodes et discours gouvernementaux qu’à sa réelle force de mobilisation et d’implantation. Ce que Marine Le Pen commence à entrevoir quand elle entame une prudente campagne de déplacements locaux, espérant montrer comme elle est bien reçue, loin des casserolades qui vont rythmer quotidiennement les apparitions de Macron et de ses ministres. Le danger vient de la banalisation des propos et des thèmes racistes qui sont maintenant utilisés sans vergogne par les ministres les plus en vue, dans l’espoir de diviser notre camp social et de reconstruire un nouveau bloc réactionnaire allant jusqu’à à inclure de larges franges du RN. A cet égard, on doit tout particulièrement s’Inquiéter du projet de loi Asile et Immigration du gouvernement qui conduit à une négation radicale des droits fondamentaux des migrant·es. Ce projet de loi s’inscrit délibérément dans une vision utilitariste et répressive dont témoigne l’obsession des expulsions et l’inscription des sans-papiers au fichier des personnes recherchées. Les migrant·es sont déshumanisé·es et considéré·es uniquement comme de la main d’œuvre potentielle. Cela est d’autant plus inquiétant dans le contexte international actuel. L’attaque s’inscrit dans l’agenda global du gouvernement : chômage, retraites, logement, santé… Elle accompagne et renforce la libération de la parole d’extrême droite, les discours racistes et serait un outil utile au RN si celui-ci était victorieux en 2027.

Le danger, c’est aussi l’institutionnalisation de toutes les nouvelles mesures répressives qui ont clairement pour but de réduire drastiquement le champ de toutes les expressions d’opposition. Mesures qui peuvent fédérer autour d’elles toutes les forces de droite et d’extrême-droite. Le danger, enfin, réside dans l’augmentation des violences perpétrées par les groupuscules d’extrême-droite contre les expressions et les organisations du mouvement social, les migrants, les associations féministes et les personnes LGBTQI. Violences qui sont banalisées par Darmanin et qui ne donnent que très rarement lieu à des poursuites, malgré les informations quotidiennes et toujours plus inquiétantes sur l’armement et l’entraînement de ces milices, alors que l’on assiste à la stigmatisation continuelle des soi-disant ultra gauchistes et du « terrorisme écologiste ».

On est, un an jour pour jour après le discours d’Emmanuel Macron, fort loin d’un prétendu « barrage » face à l’extrême-droite mais plutôt face à la plus claire des compromissions, sans principes, entamée dès les premiers jours du second quinquennat.

Au sein du mouvement social, c’est la responsabilité de nos organisations politiques de construire l’unité contre le danger de l’extrême-droite sous toutes ses formes, de soutenir les moyens d’expression, d’organisation et de formation qui réduiront son influence et de participer à l’auto-défense de toutes les mobilisations.

Camille Boulègue