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RN : un nouveau président pour un parti toujours xénophobe

Le 18e congrès du Rassemblement national qui se tient le 5 novembre à Paris est un événement à double titre. Devant illustrer une nouvelle étape de la normalisation du parti voulue par Marine Le Pen, ce rendez-vous politique majeur intervient un mois à peine après le cinquantième anniversaire du FN créé en 1972 par les néo-fascistes d’Ordre nouveau et rassemblant alors des pétainistes, poujadistes, néonazis et autres partisans de l’Algérie française dans une « concrétisation de l’unité du nationalisme français ». Il va par ailleurs marquer la fin symbolique d’une époque puisque pour la première fois, ce ne sera pas un/une Le Pen qui dirigera le RN/FN. Mais si l’attention médiatique se porte sur le duel opposant Jordan Bardella à Louis Aliot, ce qui demeure avant tout un enjeu d’image pour le parti ne doit faire oublier que le pouvoir réel restera entre les mains de celle qui a décidé de se consacrer depuis juin dernier à la présidence du groupe parlementaire RN à l’Assemblée nationale.

On l’aurait presque oublier tant son emploi par la presse généraliste est massif depuis l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti en 2011, mais le néologisme « dédiabolisation » a été forgé à la fin des années 1980 par les responsables du FN. Ce terme n’est pas neutre et consacre une vision du monde s’ancrant au plus profond de l’orthodoxie frontiste. Raison pour laquelle la stratégie de même nom a été poussée très loin durant la décennie suivante par Bruno Mégret. La fille Le Pen n’a fait que reprendre cette tradition à son compte en l’accentuant et en l’accompagnant d’un nouveau champ sémantique, arme essentielle dans la bataille politique. Mais si le ripolinage de façade est indéniable, les fondamentaux du parti restent inchangés comme le rappelle très justement l’historienne Valérie Igounet : « immigration, insécurité, priorité nationale ». Le RN demeure un parti national-populiste fait pour être le réceptacle des mécontentements plus que pour présenter une offre idéologique institutionnellement crédible.

Depuis la scission de 1999, il n’y a plus de courants au FN/RN, et Marine Le Pen a progressivement imposé la ligne unitaire après avoir succédé à son père lors du congrès de Tours où l’adversaire d’alors, Bruno Gollnisch, faisait office de faire valoir. Tous les clans ont été éliminés et l’allégeance à la « présidente » est totale. D’ailleurs les adhérent.e.s de la formation frontiste ne vont ils pas devoir choisir entre deux candidats qui se revendiquent du « marinisme » ? Mais au-delà du conflit générationnel, il ne faut guère chercher de divergences politiques majeures entre le président par intérim (depuis septembre 2021) et l’ancien dir’cab’ de Jean-Marie Le Pen. Tout au plus des sensibilités et une appréciation différente quant à l’importance à accorder aux élus locaux.

Jordan Bardella, visage de l’extrême-droite nouvelle génération.

L’eurodéputé Jordan Bardella fait figure de grand favori. Il a reçu ces dernières semaines le soutien de la majorité des cadres du parti. Qu’il s’agisse des jeunes députés de la « génération Marine » (le trésorier Kevin Pfeffer, la membre du BP Edwige Diaz, le raciste médiatique Julien Odoul), des ex-transfuges de chez Dupont Aignan regroupés dans l’association « gaulliste » l’Avenir Français et désormais très proches de Marine Le Pen (les députés Jean-Philippe Tanguy, Thomas Ménagé ou encore Alexandre Loubet) sans parler de ces figures télégéniques à la trajectoire peu rectiligne au regard de leur positionnement passé. Ainsi la parlementaire du Var Laure Lavalette qui en 2014 se déclarait « marioniste » en référence à Marion Maréchal et affichait des positions très anti IVG. Ou encore la députée du Nord, Caroline Parmentier, ex rédactrice en chef du quotidien d’extrême droite Présent.

Car si l’ambitieux Bardella, rentré au FN à 17 ans, aime à rappeler son origine d’enfant de Drancy en Seine-Saint-Denis pour mieux valoriser la prétendue réussite de la stratégie de normalisation de Marine Le Pen, son ascension rapide dans l’appareil tient autant à sa capacité de se choisir les bon parrains dans l’appareil qu’à ses messages adressés à l’ensemble du spectre de l’extrême-droite, y compris les plus radicaux.

2015 est l’année du premier coup d’accélérateur dans la carrière de cet homme pressé qui a fréquenté très tôt l’ex dirigeant du GUD, Frédéric Chatillon, conseiller occulte de Marine Le Pen et homme d’affaires multi-condamné. Élu conseiller régional en Ile-de-France sur la liste conduite par le trésorier, Wallerand de Saint-Just, Bardella devient dans le même temps assistant parlementaire à Strasbourg. Il a été recruté par Jean-François Jalkh, un  “historique” du FN/RN qui va occuper nombre de mandats électifs et postes à responsabilité dans le mouvement, au point de devenir l’un des rares proches du père Le Pen à réussir la transition mariniste. La nostalgie de Jalkh pour Pétain ne l’empêchera nullement d’occuper la présidence du parti durant l’entre-deux tours de la présidentielle en 2017. Jusqu’à son retrait public pour des propos négationnistes quelques mois plus tard.

Le FN/RN étant avant tout une histoire de famille, rien de tel que de rentrer dans le cercle intime du clan pour progresser rapidement dans le parti.

Jordan Bardella est le conjoint de Nolwenn Olivier, la nièce de Marine Le Pen. Sa belle-mère, Marie-Caroline Le Pen, aurait dû succéder au fondateur du parti si elle n’avait été écartée des instances dirigeantes du FN suite à l’aventure Mégret en 1999. Revenue finalement en grâce après 2016 et la mise au placard de Jean-Marie Le Pen, elle est par ailleurs l’épouse de Philippe Olivier. Cet ancien mégrétiste, passé par De Villiers et Dupont Aignan est désormais un très proche conseiller de Marine Le Pen. Et par ailleurs membre influent de la stratégique commission nationale d’investiture au sein de laquelle il cohabite avec un certain… Jean-François Jalkh, mais aussi avec son gendre, Jordan Bardella.

Si depuis son retour dans le giron frontiste, il s’est fait un ardent défenseur de la stratégie de normalisation, Philippe Olivier, par ailleurs bien introduit dans les réseaux nationalistes du Kremlin, n’en défend pas moins une ligne identitaire.

Une ligne que Jordan Bardella incarne d’une certaine manière sans pour autant en assumer le terme. Car, celui qui se vit comme le meilleur soldat de Marine Le Pen, n’a cessé durant la campagne présidentielle d’adresser des messages à l’électorat de Zemmour en multipliant les allusions à la théorie raciste et complotiste du « grand remplacement ».

Son ascension rapide lui vaut déjà nombre d’inimitiés dans l’appareil. Ce ressenti de la part de cadres locaux ne devrait cependant pas lui être préjudiciable tant Jordan Bardella a démontré un art certain à manier les paradoxes internes et à incarner la plus pure tradition d’extrême-droite au sein du RN.

Louis Aliot n’est plus le gendre idéal.

L’ancien compagnon de Marine Le Pen n’est qu’un candidat de témoignage, bien qu’il soit membre du FN/RN depuis 1990, qu’il y ait exercé différentes fonctions de premier plan comme secrétaire général de 2005 à 2010, vice-président de 2011 à 2018 ou membre du bureau national depuis 2018.

Il a largement œuvré dans l’exercice de dédiabolisation et du processus de normalisation du parti sous l’ère Marine Le Pen. D’une part en nettoyant des résidus d’antisémitisme et de racialisme, de l’autre en polissant un discours « socialement de gauche, économiquement de droite ».

Il a réussi à conquérir en 2020 la mairie de Perpignan au terme d’une campagne de droite traditionnelle, sans convoquer ni le logo du RN ni Marine Le Pen, et tout en veillant à se tenir éloigné des affaires du parti. Une stratégie à la Robert Ménard – maire de Béziers -, en somme.

S’il peut compter sur les fiefs électoraux conquis le long du pourtour languedocien (grand chelem aux législatives dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales), sur l’appui d’une bonne partie des cadres de la région Occitanie, il a aussi récupéré le soutien d’un autre bastion municipal du parti, au nord cette fois-ci – avec le duo Briois/Bilde, à la manœuvre dans le bassin minier d’Hénin-Beaumont et énervé par le « sectarisme » du jeune président par interim. L’ancien directeur de cabinet de Jean Marie Le Pen a cependant été lâché par ses soutiens dont le député européen Jérôme Rivière, passé chez Eric Zemmour, et son ami de vingt-huit ans Jean-Lin Lacapelle qui lui préfère son concurrent.

Parti très tard dans une campagne interne pour le moins atone, bénéficiant d’une notoriété moindre, Louis Aliot a semblé vouloir accélérer ces derniers jours. En ouvrant ce qui s’apparente de prime abord à un débat idéologique face à Jordan Bardella.

C’est au détour d’une tribune remarquée dans le quotidien libéral l’Opinion que le maire de Perpignan ambitionne de parachever la normalisation du RN. Pour cela, il enjoint son parti « d’ouvrir le chemin d’un Bad Godesberg à la française », dénonce la tentation des idées identitaires, dézingue Zemmour et déclare vouloir « couper le cordon d’une histoire tumultueuse et ambiguë qui permettra à notre mouvement d’arriver à sa pleine maturité en parlant aux Français de toutes origines et de toutes religions.»

Des paroles aux actes, celui qui en son temps n’avait jamais sourciller devant les multiples sorties antisémites et négationnistes du père Le Pen décore le jour même de la parution de sa tribune, les époux Klarsfeld de la médaille de la ville de Perpignan.

En se rendant à la cérémonie de remise de cette médaille, Serge et Beate Klarsfeld commettent une grave faute politique. A vouloir jouer aux plus fins avec le RN, en espérant peser d’une manière ou d’une autre sur les enjeux de son Congrès, en croyant favoriser par leur présence à Perpignan une ligne plus républicaine, ils se fourvoient de biens des manières. Ils font, tout d’abord, sauter quelques digues supplémentaires et laissent croire que certains au RN peuvent être politiquement fréquentables. Par leur simple présence et par l’évocation de leur passé de « chasseurs de nazis », ils laissent entendre que l’antisémitisme n’est plus qu’une vieillerie dépassée de l’héritage du RN et de l’extrême-droite, alors qu’il suffit de regarder la propagande de tant de sites et de publications pour savoir qu’il n’en est rien. Ils laissent ainsi la porte grande ouverte à toutes les falsifications et au révisionnisme historique qui s’est répandu d’une manière si impudente à l’occasion de la campagne d’Éric Zemmour. Dédouaner le RN de tout vestige d’antisémitisme sans remettre ouvertement en cause l’ensemble de son discours nativiste et la fumeuse théorie du « Grand Remplacement » , c’est, enfin , donner crédit à ses prétentions d’être un allié de la communauté juive contre on ne sait quel complot islamiste.

Combattre plus que jamais cet ennemi

Avec plus de 13 millions de voix au second tour de la présidentielle, ses 89 députés et ses deux vice-présidences à l’Assemblée nationale, le RN a bel et bien franchi un palier dans sa recherche de notabilisation. Ce changement de stature qui s’accompagne de moyens financiers et humains supplémentaires conséquents à son échelle, doit être pris au sérieux par notre camp social. Plus que jamais au centre du jeu politique, entre une droite LR radicalisée et affaiblie, des partisans de Zemmour caricaturaux dans l’outrance et un pouvoir macroniste – Darmanin en tête – qui ne cesse, par son positionnement idéologique, d’accentuer plus encore sa banalisation, le RN va vouloir faire de son congrès de succession une démonstration de force.

Mais derrière les discours de tribune qui ne manqueront pas d’être consensuels et quelle que soit le nouveau président élu, le RN est et restera un parti d’extrême droite ouvertement raciste et anti social. Un ennemi absolu dont les idées doivent être combattues pied à pied au quotidien en dénonçant la supercherie de son programme « social ». Les votes de ses députés (contre l’augmentation du SMIC, l’indexation des retraites sur l’inflation, le blocage du prix sur le carburant ou encore le retour de l’ISF) sont de ce point de vue révélateurs de la véritable nature du RN.

Camille Boulègue