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RIC, souveraineté populaire et Constituante

Le RIC, porté par le mouvement des Gilets jaunes, est le principal vecteur du désir de démocratisation des institutions. Mais un ilot de démocratie est-il possible dans un océan anti-démocratique ? Le RIC ne risque t’il pas de devenir une caisse de résonance de la frustration face à cette impuissance ? Pour atteindre son objectif, le RIC ne doit-il pas s’ancrer dans des institutions qui le partage ?

La proposition de grand débat national du gouvernement, avant même son démarrage, a déjà bien du plomb dans l’aile, de la démission de Chantal Jouanneau, à la lettre au Français d’Emmanuel Macron qui, dans une nouvelle manifestation de mépris quasi monarchique, impose des thèmes de débat qui tournent le dos aux revendications des Gilets jaunes, et tente la vieille tactique criminelle de la division raciste à travers les thématiques de l’immigration et de la laïcité, totalement absentes des ronds points. Ce débat quasi avorté se veut ainsi une réponse à la puissance de l’aspiration à la justice sociale, et à une démocratisation radicale des institutions exprimée par le mouvement des Gilets jaunes matérialisé notamment par la proposition phare de Référendum d’Initiative Citoyenne.

C’est l’occasion rêvée pour le mouvement des Gilets jaunes et tout ceux et celles qui sont attaché-e-s à un renouveau démocratique radical, de tourner la situation à leur avantage et de porter haut et fort les propositions susceptibles de répondre à la profonde exigence de reconquête de souveraineté populaire qui s’exprime sur les ronds-points, dans les assemblées générales et les manifestations.

Le RIC, instrument de reconquête de souveraineté et de démocratie directe ?

Car, à travers la revendication de mise en place du RIC, conçue comme instrument de démocratie directe, à la suite des mouvements d’occupation des places, d’Occupy et de Nuit Debout, c’est bien en effet l’exigence d’exercice de la souveraineté populaire qui s’exprime, en mettant en cause frontalement la délégation de pouvoir propre à la démocratie représentative incarnée en France par une 5 ème République, dont la légitimité est plus que jamais à bout de souffle.

La puissance exprimée de cette aspiration est à la mesure de la profondeur de la crise démocratique sans appel depuis de nombreuses années, révélée par la hausse quasi ininterrompu de l’abstention d’élection en élection, et par la poursuite inexorable des politiques néolibérales depuis plusieurs décennies quel que soit le résultat des urnes, théorisé par l’ordo-libéralisme, et sous le poids décisif du Capital et des classes dominantes.

Nombre de voix s’inquiètent bruyamment de ce que la mise en place d’un tel dispositif ne soit le vecteur de l’expression des affects nécessairement réactionnaires des classes populaires, dans une belle manifestation de mépris de classe, en écho à celui qui s’était spectaculairement manifesté dans la plupart des grands médias lors du Référendum constitutionnel de 2005. Ils oublient au passage que les principaux responsables du refus de l’accueil des migrants par exemple, se trouvent au gouvernement ou à la commission européenne et non pas sur les ronds-points de Flixecourt ou ailleurs, même s’il n’est pas question d’ignorer un seul instant que cette réalité préoccupante existe dans le mouvement des Gilets jaunes, comme dans l’opinion.

Et, c’est à travers une procédure référendaire de ce type que les Irlandais ont récemment accordé l’IVG aux femmes, contre la puissance du lobby de l’église catholique dans ce pays.

Ainsi cette profonde aspiration à une refondation démocratique manifestée par les Gilets Jaunes, pourrait constituer une transition du moment populiste diagnostiqué par Chantal Mouffe, vers une nouvelle étape qui pourrait être un moment « démocratique » émancipateur, pour peu que ce dispositif s’articule dans un processus constituant.

Plusieurs contributions soulignent ainsi cette aspiration profondément démocratique et anti-autoritaire du mouvement des Gilets jaunes (notamment Julien Talpin, ou Thomas Coutrot et Yves Sintomer), et s’attachent à montrer que le RIC en soi, là où cette procédure de consultation citoyenne existe déjà, n’est ni progressiste, ni réactionnaire, mais que son caractère dépend de plusieurs facteurs pour garantir qu’il puisse être un réel outil d’expression souveraine et de démocratie directe, comme le nombre de signataires nécessaires pour déclencher le référendum, le périmètre des thèmes visés, la possibilité pour l’Assemblée nationale de reformuler ou non la question, l’intervention du Conseil constitutionnel pour en vérifier la constitutionnalité, dès lors que la Constitution puisse elle-même être modifier par voie du RIC…

Julien Talpin souligne surtout que : « la qualité démocratique des référendums dépend d’abord du processus qui les précède. Couplées à des assemblées citoyennes, les campagnes référendaires peuvent devenir d’intenses moments de délibération collective », comme l’a magnifiquement illustré la campagne référendaire du TCE en 2005.

Un ilot de démocratie dans un océan antidémocratique ?

Pourtant, à ce stade de la crise de la 5 ème République, et à la force de l’aspiration à la reconquête de souveraineté populaire qu’expriment les Gilets jaunes, on peut s’interroger sur la capacité du seul RIC, même assortis des conditions nécessaires visant à en faire un réel outil de démocratie directe, à répondre pleinement à ces enjeux, si cet aménagement constitutionnel laisse globalement intact la machinerie de la 5 ème République. Quid, pour ne citer que ces deux exemples, de l’article 49.3 permettant de se passer du vote du Parlement, avec lequel a été adopté la loi Travail puissamment contestée dans la rue avec le soutient majoritaire de l’opinion, ou de la possibilité de gouverner par ordonnance qui a permit au gouvernement de faire adopter les ordonnances Macron, réformant de fond en comble les relations sociales au sein des entreprises en faveur des patrons ?

On objectera que ces dispositions pourraient être remises en cause par le RIC, et que de proche en proche, de référendum en référendum, le caractère anti-démocratique et présidentielle de la 5 ème République pourrait être transformé vers un régime plus démocratique incluant des éléments de démocratie directe, voire en rêvant un peu, pourrait finir par déboucher sur une 6 ème République démocratique et sociale.

On voit pourtant mal comment ce scénario idyllique pourrait se réaliser dans le contexte de la pratique actuel du pouvoir…

Autrement dit, comment une procédure institutionnelle dont l’objectif est d’être un instrument de démocratie directe et de reconquête de souveraineté populaire pourrait s’épanouir dans des institutions dont la logique et la fonctionnalité politique sont exactement inverses ?

A supposer que l’on parviendrait à mettre en place le RIC dans le cadre des institutions actuelles, on peut faire l’hypothèse qu’il constituerait une sorte de soupape d’expression d’une volonté populaire sur des questions qui resteront ponctuels. Même si sa mise en oeuvre permettrait d’aménager, à la marge, l’architecture de la cinquième république, dont il faudrait évidemment se saisir, il reste qu’en laissant intact sa machinerie institutionnelle, le RIC se heurtera à la réalité antidémocratique du bloc institutionnel et pourrait devenir l’instrument de la frustration et de la rancœur populaire contre l’impuissance à être un réel instrument de reconquête de la souveraineté  populaire.

Comme on le sait, les affects de la frustration et du ressentiment s’expriment rarement dans un sens progressiste/émancipateur, mais plutôt dans des directions rétrogrades au profit des ennemis de la démocratie que sont l’extrême droite et ses satellites.

RIC et Constituante !

Pour éviter cet écueil risqué, et permettre que le RIC devienne un réel outil d’expression souveraine et de démocratie directe, il faut l’inscrire dans un dispositif institutionnel global dont l’objectif poursuivi y fait écho, à savoir garantir pleinement la reconquête de cette souveraineté.

Pour basculer vers ces nouvelles institutions, vers une 6 ème République démocratique et sociale, afin de garantir que celle-ci répondent bien à cette exigence démocratique radicale, il n’y’a pas d’autres issues que celle-ci soit le fruit d’un processus constituant matérialisé par une assemblée constituante, seule à même d’enclencher une authentique refondation démocratique.

Dans cette course de vitesse avec Marine Le Pen, dans laquelle le mouvement social et la gauche émancipatrice sont engagées, bien trop faiblement, dans le mouvement des Gilets jaunes, il n’est pas anodin de remarquer que s’il y a bien une revendication que l’opportunisme congénital de l’extrême droite ne réclame jamais, c’est bien celle-là !

Plusieurs raisons à cela :

  • la logique politique des forces conservatrices et de l’extrême droite en particulier, s’oppose en tout point à la délibération véritablement démocratique : la nature de gauche du non au TCE de 2005, après la campagne référendaire citoyenne qui a vu une bataille d’hégémonie entre la gauche « du non » et l’extrême droite, l’a bien montré.
  • De même, plus généralement, toutes les mobilisations sociales et démocratiques, qui constituent autant de médiations démocratiques de masse, au sens de rupture de l’ordre institutionnel délégataire normal, pour laisser place à une appropriation populaire, citoyenne, du débat politique, voient systématiquement l’extrême droite se murer dans le silence, et la mobilisation des Gilets jaunes ne fait pas exception, et attendre les périodes de retour à la « normalité politique » pour espérer capitaliser sur les échecs de ces mobilisations sur lesquels elle parie, afin de recueillir les dividendes politiques de la frustration engendrée par la défaite.

En d’autres termes, porter haut et fort la revendication d’assemblée constituante est aussi l’occasion de démasquer l’opportunisme de l’extrême droite et de mener une bataille d’hégémonie d’ampleur sur le terrain démocratique, offrant l’opportunité de répondre positivement aux demandes démocratiques de reconquête de souveraineté populaire, en asséchant les marais du ressentiment et de la rancœur politique.

Bien évidemment, il ne s’agit nullement de renoncer en quoi que ce soit aux revendications d’urgences sociales, qui constitue le terreau de cette aspiration démocratique : la hausse du SMIC, du point d’indice, des salaires, des pensions et des minima sociaux, retour de l’ISF…

La profonde aspiration démocratique et d’exigence de justice sociale, qu’exprime les Gilets jaunes sur les ronds point, dans les manifestations et les affrontements impressionnants avec les forces de maintien de l’ordre, renouant avec l’insubordination des plus belles pages de l’histoire sociale, pourrait trouver dans la revendication clairement mise en avant d’assemblée constituante, en l’insérant dans un ensemble cohérent allant du RIC aux revendications d’urgence sociale, un mot d’ordre lui donnant un nouveau souffle, nourrissant des affects d’espérance vers un horizon progressiste.

Alain Mathieu