Principales tendances nationales
Dans le collège 1 des exploitant·es agricoles, le nombre d’inscrit·s a reculé depuis 2019. Il était d’un peu plus de 403 000 en 2025. Ce qui renvoie au recul du nombre d’agriculteurs·trices (résultat pourrions-nous ajouter de la politique de cogestion de la FNSEA depuis des années). Recul qui peut être très important : entre 2019 et 2025 le nombre d’inscrit·es dans l’Hérault passe de 6474 à 5958 ; dans l’Aude de 5384 à 4619 ; dans les PO de 2651 à 2436 ; dans le Gard de 4895 à 44201.
En 2025, la participation a été un peu plus forte qu’en 2019 (où elle était de 46%). A contrario de nombre d’analyses, observons que ces élections professionnelles connaissent encore une participation significative.
Sur le plan national, le fait majeur est le net recul de l’alliance FNSEA/JA (en voix et en %) qui obtient un peu moins de 47% (contre plus de 55% en 2019) et perd 11 chambres départementales. Ces syndicats en conservent cependant 66 sur 88, du fait d’une répartition très inégale des sièges qui favorise la liste qui arrive en premier2.
La Coordination rurale connaît une forte progression (plus forte qu’attendu) avec plus de 30% et prend 11 chambres (en particulier dans le Sud-Ouest mais aussi en Lozère, Loir-et-Cher, Ardennes…) en plus des trois qu’elle détenait (Lot-et-Garonne, Vienne, Haute-Vienne). Des départements où les débats autour des retenues d’eau (mégabassines) et du recours aux pesticides sont vifs. Il semble qu’elle progresse surtout au détriment de la FNSEA mais elle mord aussi parfois sur la CP.
Dans un contexte difficile pour elle, alors qu’elle a été peu médiatisée, les résultats de la Confédération paysanne sont stables avec environ 20,30 % des voix sur le plan national. Elle prend les chambres de la Corse (chambre régionale)3, de l’Ardèche, de la Guyane et conserve Mayotte (élections reportées). Ces résultats nationaux cachent des évolutions contrastées : progressions dans divers départements (Pyrénées-Orientales, Vaucluse, Drôme, Isère, Maine-et-Loire, Haute-Vienne) mais aussi des reculs (en Aveyron, dans l’Aude, l’Ariège).
Le MODEF (de tradition communiste) régresse et semble connaître une lente extinction mais conserve la Guadeloupe.
On notera aussi le succès de trois listes indépendantes. En Haute-Garonne (avec un des premiers agriculteurs à organiser les barrages à l’hiver 2024) ; en Ariège (avec la victoire de la liste d’un ancien de la FDSEA avec 79 voix d’avance sur la CP, le bloc FDSEA/JA terminant loin derrière) et en Moselle une liste indépendante conserve la chambre. Ce qui témoigne d’un certain détachement vis-à-vis des syndicats.
Quelques éléments d’analyse sur le plan national :
Ces résultats sont liés à une désaffection vis-à-vis de la FNSEA, qui cogère depuis longtemps alors que le nombre d’agriculteurs·trices diminue. Et probablement à une défiance vis-à-vis des céréalier·ères qui dominent la FNSEA. Par ailleurs la figure de son dirigeant Arnaud Rousseau (très grand exploitant, à la tête d’une firme agro-industrielle) est en décalage par rapport au vécu de beaucoup d’agriculteurs·trices. Enfin, depuis le début des années 2000, les résultats de la FNSEA parmi les éleveurs·euses (Ouest et Massif-central) ont tendance à s’éroder.
La percée de la CR renvoie à son activisme : actions spectaculaires, virilistes, très médiatisées (registre relativement classique cependant dans le monde agricole) menées parfois avec un nombre limité de personnes + ton très virulent + discours avec interpellation des pouvoirs publics + remise en cause de la cogestion par la FNSEA (sur fond de recul important du nombre d’agriculteurs·trices que la FNSEA n’a pas su ni voulu enrayer) + critique des mesures environnementales. Sur nombre de ces points, son discours est proche de celui de la FNSEA. Or médias et pouvoirs publics ont embrayé sur ces thèmes.
La CP conserve son score alors qu’elle a semblé tarder à mener des actions à l’hiver et au printemps dernier, que ses actions ont été moins nombreuses et moins fréquentes, que les médias ont peu relayé les actions de la CP et que les pouvoirs publics les ont plus rapidement fait cesser voire réprimées. Est-ce dû à des hésitations sur l’action à mener ? Sur les thèmes à avancer ? A une faiblesse militante (réelle) ?
En Languedoc-Roussillon méditerranéen
Avant d’analyser ces résultats, il faut rappeler que les votant·es sont peu nombreux·euses, les résultats de ces élections portent sur des nombres limités de personnes (2500 au maximum dans l’Hérault). Comme sur le plan national, en comparant le nombre d’inscrit·es en 2019 et 2025, on lit la baisse du nombre d’agriculteurs·trices.
Dans cette région, la participation est moindre que sur le plan national (où elle flirte avec les 50%) sauf dans les Pyrénées-Orientales. Elle a toutefois augmenté (+ 4% dans l’Hérault, 2% Aude, 1,3% dans le Gard et plus de 6% dans les PO). Une légère hausse mais parfois le nombre de votant·es n’augmente pas (Gard) du fait de la baisse du nombre d’agriculteurs·trices.
Le bloc FDSEA/JA est en recul en voix et en % mais conserve ces 4 chambres (ce qui peut sembler paradoxal dans une région où le RN est fort. C’est aussi le cas en PACA). Cette alliance a bénéficié de l’appui de la coopération viticole influente en LR. La CR, augmente de manière très importante dans l’Hérault et progresse dans les autres départements devenant le 2° syndicat sauf dans les PO4. La CP, connaît une hausse limitée dans l’Hérault et le Gard (sur fond de recul du Modef), une baisse dans l’Aude et une hausse importante dans les PO où elle devient le 2nd syndicat. Le Modef (tradition communiste vieillissante) présent seulement dans le Gard et l’Hérault est en fort recul mais obtient encore 8% dans le Gard.
Résultats des élections aux chambre dptales d’agriculture, collège 1, (% et voix) En italique, 2019 |
Hérault |
Aude |
Gard |
Pyrénées-Orientales |
Participation |
42,98%.2558votants (38,59%. 2498 v) |
44,1%.Votants,2037 (42,01% ; 2262) |
39,16% 1731 (37,85% 1853) |
52,75% ; 1285 (46,17% 1224) |
FNSEA/JA |
49%. 1224 voix (63%. 1560) |
48,85 % 978voix (56,03% ; 1221) |
47,13 % 805v (53,2 % 963) |
43,94% 551 (57,52% 677) |
CR |
30%. 756 v (11,24 et 278) |
30,47 % 610 (19,37 % ; 422 v) |
25,18 % 430 (17,68% 320) |
21,45 % 269 (16,48% 194 v) |
CP |
17% ; 431 v (15,4% et 381v) |
20,68 % 414 (24,6 % ; 536) |
19,56% 334 (18,9 % 342) |
34,61 % 434 v (26 % 306 v) |
MODEF |
2,9 % avec 72 voix (10,31 % et 255 v) |
8,14% 139 (10,22% 185) |
Si on approfondit un peu pour chacun de ces départements.
Dans l’Hérault, la FDSEA-JA recule, passe sous les 50% mais conserve le contrôle de la chambre. Elle perd des sièges au bénéfice de la CR. La Coordination rurale triple son nombre d’élus et de suffrages et passe de 11 à 30% avec 756 voix. La Confédération paysanne enregistre un léger gain (en voix et en %) avec 17% des suffrages, 431 voix et gagne un siège. Dans un département qui ne semble pas un de ses points forts pourtant. Le Modef quant à lui, avec 2,9 % et 72 voix, s’effondre.
Dans l’Aude, le recul du bloc FDSEA/JA est net. Mais malgré ce, il conserve la chambre. La CR progresse nettement. La CP recule (en % et en voix).
Dans les Pyrénées-Orientales, la FNSEA garde la chambre mais on peut constater de nets progrès de la CP et un peu moins de la CR qui s’est dit déçue de ses résultats.
Dans le Gard, on constate un recul de FNSEA, progrès de la CR, stabilité de la CP, relatif maintien du Modef.
Premiers éléments de bilan sur les résultats de la Confédération paysanne en LR
Il faut tout d’abord rappeler quelques différences entre ces départements. Elles peuvent être économiques et sociales (la viticulture, confrontée à une dure crise, joue un rôle bien plus important dans l’Aude et l’Hérault), culturales (importance de la bio plus forte en % dans les vignes des PO) ou syndicales (présence ou non du Modef, poids encore significatif de proches du Parti socialiste dans les FDSEA du Gard et de l’Hérault semble-t-il soutien actif du RN à la CR dans ce même département). Enfin la CP y connaît des dynamiques différentes.
Dans les PO, à l’hiver 2024, la CP a manifesté avec les autres syndicats mais aussi seule afin de dénoncer les importations à bas prix. Elle semble avoir eu la préoccupation de s’adresser à tous les agriculteurs·trices en centrant son discours sur les problèmes professionnels (revenu, importations…) et a marqué des points alors.
Dans le Gard, confrontée à la crise viticole et à la surproduction de vin, la CP n’a pas fait alliance avec le Modef car elle défend un arrachage partiel des vignes, qu’il refuse. En 2024, elle a mené des actions mais ne s’est pas associée à celles de la FDSEA ou de la CR. Elle a axé sa campagne sur la question du revenu, du refus du libre-échange et affirmé la nécessité d’une diversification des cultures. Son score se maintient et elle attire des jeunes5.
Dans l’Aude, historiquement la CP est née dans la Haute-vallée de l’Aude (chez des « néos ») et est peu présente dans les zones viticoles ou céréalières. Cela reste encore le cas de nos jours. La CR a progressé semble-t-il chez les vigneron·nes, en particulier les coopérateurs·trices. Elle gagne dans les zones où la question de l’irrigation de la vigne se pose. La CP y est peut-être apparue comme trop écologiste6 alors que les vigneron·nes du département font face à une crise majeure.
Quant à l’Hérault, ce n’est pas un point fort pour la CP. Celle-ci qui ne s’est pas associée aux manifestations de la CR et de la FDSEA à l’hiver dernier et a semble-t-il mené une campagne a minima voit ses résultats rester stables.
Dans plusieurs départements (ceux cités ici mais aussi en Aveyron), il y a eu un rajeunissement et une féminisation des équipes militantes de la CP, des responsables et des têtes de liste à ces élections (les plus ancien·nes qui ont connu la lutte du Larzac ou le « moment Bové » entre 1999-2003 cèdent la place). C’est bien sûr porteur d’avenir mais a peut-être été un handicap, pour ces élections dans lesquelles l’interconnaissance joue.
Et demain ?
On peut raisonnablement penser que ce recul de la FNSEA va entrainer des débats et des tensions en son sein voire peut-être alimenter des changements dans sa direction et qui sait, des départs vers d’autres horizons.
La CR quant à elle va gérer des chambres départementales d’agriculture. Comment le fera-t-elle alors que la ressource eau tend à se raréfier dans nombre de départements du Sud-Ouest où elle est implantée, que la question du revenu reste posée et que le nombre d’installations ne compense pas le nombre de départs ? On peut douter des capacités de la CR à y parvenir. D’autant plus que ses maladresses et son discours pourraient alimenter des tensions avec des riverains, des écologistes… ce qui par contrecoup peut susciter un réflexe identitaire chez une partie des agriculteurs·trices. Reste qu’elle va bénéficier de financements plus importants et de positions institutionnelles qui vont l’avantager dans certains départements.
La Confédération paysanne a relativement bien résisté. Il n’est pas certain, bien sûr, que ses propositions, plus porteuses d’avenir, soient davantage entendues. Mais elle peut à partir de ce socle et en s’inspirant du travail fait dans certains départements se renforcer sans négliger peut-être de tendre la main à la tradition incarnée par le MODEF.
Jean-Philippe Martin, historien spécialiste de la gauche paysanne, qui vient de publier “Paysannes – Histoire de la cause des femmes dans le monde agricole (des années 1960 à nos jours” (Editions de l’Atelier).
Annexe 1 : deux surprises à proximité :
Dans deux départements où domine le système polyculture-élevage qui correspondrait à ce que défend la CP, celle-ci enregistre un recul. La CR correspond-elle davantage à la tradition conservatrice de ces terres à un moment où la FNSEA est contestée et la CR très médiatisée ?
Lozère :
C’est une des grandes surprises : la CR remporte à 12 voix près la chambre d’agriculture de la Lozère.
2025 Coordination Rurale 40,85 % 790 voix / FNSEA-JA 40,23 % 778
Confédération Paysanne 14,43 % 279 / Modef 4,5 % 87 voix
2019 : FNSEA-JA 52,28 % 1045 Coordination rurale 27,06 % 541
Confédération paysanne 15,46 % 309 Modef 5,2 % 104
Aveyron
Autre surprise : la Confédération paysanne enregistre un net recul en Aveyron. Est-ce du fait qu’elle est concurrencée à gauche par le Modef et à droite par la CR ?
2025 : Participation : 57,44%
FNSEA-JA 41,65 % 2159 / Coordination Rurale 36,88 % 1912
Confédération Paysanne 17,15 % 889 / Modef 4,32 % 224
2019 : FNSEA-JA 56,19 % 2761 / CP 25,54 % 1255 / CR 18,27 % 898
1 Rappelons que ceux qui disposent d’une trop petite superficie agricole ou effectuent un nombre d’heures de travail insuffisamment élevé aux yeux de la Mutualité sociale agricole (MSA) ne peuvent pas voter. Appelés « cotisants solidaires » ils seraient entre 60 000 et 70 000.
2 Le financement des syndicats dépend aussi en partie de ces résultats. La FNSEA, anticipant peut-être un recul, a en 20024 fait pression sur les pouvoirs publics et les élus afin de modifier les règles de financement en sa faveur. Campagne interrompue par la dissolution de l’Assemblée nationale et le changement de gouvernement.
3 Il s’agit d’une liste d’alliance entre Via Campagnola (membre de la CP) et la Mossa paisana, soutenue par la Confédération paysanne et la Coordination rurale. La tête de liste le vigneron Jean-Baptiste Arena, militant de Core in fronte, qui appartient au courant nationaliste, est maire de Patrimoniu. Merci à Julien Servent du Poing pour cette information.
4 Voir pour l’Hérault : https://lepoing.net/revolte-agricole-le-boom-de-la-coordination-rurale-dans-lherault/ et https://lepoing.net/tic-tac-boum-nouveau-coup-de-semonce-des-agriculteurs-trices-de-la-coordination-rurale-34/.
5 Didier Marion, responsable de la CP dans le Gard
6 Yann Vétois tête de liste CP de l’Aude.