Comme vous le rappelez dans le document que vous avez bien voulu me faire parvenir, il est un fait que l’Union Européenne devrait jouer un rôle plus important et surtout plus audible dans la recherche d’une paix juste et durable entre le peuple palestinien et le peuple israélien. Nous sommes donc d’accord sur le fait qu’elle devrait aller plus loin dans son engagement pour le respect des droits humains et du droit international dans cette région du monde. Mais cette conviction repose aussi sur le fait que les députés européens ne peuvent pas renvoyer dos à dos les deux parties comme si l’une ne visait pas à la colonisation de l’autre au détriment de ses droits historiques et du droit international si souvent rappelés par de nombreuses résolutions des Nations Unies.
De mon point de vue, l’existence de l’état d’Israël, si elle est incontestable, ne saurait légitimer la poursuite de la colonisation des territoires occupés de Palestine, la mise en détention de 5500 prisonniers-ères palestiniens parmi lesquels des enfants, des femmes, des députés, des journalistes ou des militant-es des droits humains.
De même, il me semble impossible de parler de paix tant que le blocus, terrestre, maritime et aérien imposé par Israël depuis plus de 10 ans aux deux millions d’habitants de la Bande de Gaza ne sera pas levé. Il est impératif que l’UE agisse afin que la Palestine occupée retrouve une continuité territoriale qui lui permette d’exister en tant qu’état.
Enfin, et alors que cette question devait être négociée au plus tard 5 ans après les accords d’Oslo de 1993, la question du droit au retour des réfugiés palestiniens (près de 7 millions de personnes) n’a jamais été résolue. Alors même que l’ONU continue de se référer officiellement à sa résolution 194 votée… en décembre 1948 qui reconnaissait ce droit au retour. Une résolution qui parmi tant d’autres ne sera jamais appliquée. A l’heure même où le président nord-américain a décidé unilatéralement de réduire à la portion congrue les dotations de son pays à l’UNRWA, il est du devoir de l’UE de se saisir non seulement financièrement, mais aussi politiquement de ce dossier.
L’Union Européenne ne doit pas non plus par son silence banaliser le fait que toutes les colonies israéliennes en Palestine occupée, comme la construction du mur de séparation appelé « barrière de sécurité » par les israéliens ont été déclarées illégales par les instances internationales et qu’elles le sont toujours.
Le non respect du droit international par l’état israélien devrait évidemment déterminer la nature des liens économiques et diplomatiques que l’UE doit avoir avec lui.
C’est pourquoi, je considère avec vous que les députés européens ont un rôle essentiel à jouer : en interpellant l’exécutif européen et les gouvernements nationaux, ils doivent faire évoluer la politique européenne vis-à-vis d’Israël en exigeant de sa part le respect du droit international et celui des résolutions des Nations Unies tout en envisageant de prendre des sanctions diplomatiques, politiques et/ou économiques en cas de refus de sa part.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais conclure ce propos préliminaire en rappelant ma conviction que l’établissement d’une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens réclame le plus rapidement possible la reconnaissance officielle par l’UE (sous l’impulsion de la France) de l’État de Palestine, sur la base des frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale.
QUESTIONNAIRE
En tant que parlementaire européenne,
#01 SOUTIENDREZ-VOUS LA MISE EN PLACE DE MESURES EXCLUANT LES COLONIES ET LES ENTREPRISES QUI PARTICIPENT A LA COLONISATION ET À L’OPPRESSION DU PEUPLE PALESTINIEN DE TOUTE RELATION ENTRE L’UE ET ISRAËL ?
La réponse est évidemment OUI. Les exemples que vous donnez d’entreprises françaises ou européennes qui ont fini par se retirer de projets qui les impliquaient directement dans l’extension des colonies israéliennes en Cisjordanie où à Jérusalem montrent que c’est possible. Tout doit être fait pour que les états membres et leurs secteurs n’investissent pas ou plus dans les domaines qui visent à renforcer la colonisation.
De la même façon, les consommateurs européens doivent être clairement informés quand des produits étiquetés « israéliens » proviennent en réalité de territoires palestiniens illégalement colonisés. L’UE devrait également adopter des mesures restrictives pour interdire l’importation de produits issus des colonies comme elle a su geler l’importation de produits d’autres pays non respectueux du droit international.
Enfin, l’UE ne devrait accepter aucune coopération technologique ni aucun échange commercial concernant l’armement ou les matériels de sécurité et de surveillance israéliens dont il est certain qu’ils ont tous été expérimentés contre la population palestinienne (par exemple les drones).
#02 VEILLEREZ-VOUS À CE QUE L’UE APPLIQUE PLEINEMENT LA CLAUSE DE CONDITIONNALITÉ GARANTISSANT LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME ET DU DROIT HUMANITAIRE INTERNATIONAL DANS TOUS LES ACCORDS ENTRE L’UE ET ISRAËL ?
Cela est une évidence compte tenu des violations répétées du droit international par Israël. Toute la politique coloniale de cet état, la répression brutale qu’il fait subir aux palestiniens de Gaza depuis le 30 mars 2018 et le lancement « des grandes marches du retour », l’adoption en juillet 2018 de la loi dite « de l’Etat-nation » pour les seuls juifs, véritable loi d’apartheid, l’annexion du Golan syrien et l’engagement pris par le premier ministre Nétanyahou de l’annexion prochaine des colonies de Cisjordanie sont autant de raisons pour que l’UE révise ses relations bilatérales avec Israël.
D’accord avec vous pour dire que « le nouveau Parlement devra veiller à ce que la conditionnalité garantissant le respect des droits de l’Homme et du droit humanitaire international soit pleinement appliquée dans tous les accords bilatéraux entre l’UE et Israël, et que des mesures concrètes soient appliquées si ces conditions ne sont pas respectées. C’est pourquoi, contrairement à ce que la Haute représentante Federica Mogherini a répondu à une question parlementaire, énonçant que « l’UE n’envisage pas de suspension de l’Accord d’Association avec Israël », Il me semble évident que cette suspension devra bel et bien être remise à l’ordre du jour des débats européens.
#03 EXIGEREZ-VOUS LA MISE EN PLACE DE MESURES POUR LA LEVÉE COMPLETE DU BLOCUS DE GAZA ET LA LIBERTÉ DE CIRCULATION POUR RÉTABLIR LA CONTINUITÉ TERRITORIALE ENTRE LA BANDE DE GAZA ET LA CISJORDANIE ?
C’est une évidence dont j’ai déjà dit dans mon propos préliminaire qu’elle était l’une de conditions de la mise en place d’un véritable processus de paix. Il en va de la crédibilité des instances internationales et en particulier de l’UE de contribuer à faire cesser les souffrances endurées depuis bientôt 12 années par les palestiniens de Gaza.
Comme vous le rappelez a juste titre, ce blocus considéré comme une punition collective est illégal au regard du droit international. L’ONU, elle même, affirme « qu’Israël, en tant que puissance occupante, doit lever le blocus qui contrevient à l’article 33 de la IVe Convention de Genève interdisant les punitions collectives et empêchant le respect de nombreux droits fondamentaux ». L’UE ne peut plus rester en deçà d’une telle déclaration et devrait prendre toutes les mesure diplomatiques, politiques et économiques pour contraindre l’état israélien à respecter la libre circulation des personnes et des marchandises entre la bande de Gaza, le reste de la Palestine occupée où les pays de la région.
De même, les zones de pêche attribuées aux pêcheurs de Gaza lors des accords d’Oslo devraient leur être garanties sans que leurs vies ne soient mises en danger.
De la même façon, la libre circulation des personnes et des marchandises en provenance des pays européens en direction de Gaza pour aider à sa reconstruction devrait être obtenue de manière durable auprès d’Israël par l’UE sous peine de mesures de rétorsion.
Il n’est plus possible que l’UE reste incapable de mettre en application ses propres recommandations devant le désastre humanitaire vécu par la population de Gaza depuis 12 ans, désastre humanitaire dont tout le monde s’accorde à dire qu’il sera irréversible d’ici 2020…
Le caractère pacifique «des grandes marches du retour » depuis mars 2018 exprime la détermination d’une grande partie de la population de Gaza à prendre en mains son destin autant que ses capacités de résilience. Mais, il est aussi évident que les centaines de victimes et les milliers de blessé-es du fait des agressions militaires israéliennes, des bombardements, des snipers, amènent la résistance palestinienne à réagir.
Dans un tel contexte, il n’est plus possible que l’UE se contente d’exprimer régulièrement « son inquiétude » sans reconnaître le caractère colonial de ce conflit et de renvoyer dos à dos palestiniens et israéliens comme si la disproportion des moyens militaires engagés de part et d’autre n’existait pas.
Toute la dimension dramatique de l’histoire du peuple palestinien est portée à son paroxysme dans la bande Gaza, le blocus en est l’incarnation la plus évidente. Je considère que tout-e parlementaire européen-ne sincèrement attaché-e à la libre détermination des peuples devra agir pour qu’il soit levé au plus vite…
#04 DÉFENDREZ-VOUS LA LIBERTÉ D’EXPRESSION SUR LA QUESTION PALESTINIENNE ET LE DROIT DE CRITIQUER LES POLITIQUES ISRAÉLIENNES CONTRAIRES AU DROIT INTERNATIONAL ?
La libre expression citoyenne et le droit de critiquer l’action de n’importe quel gouvernement est une liberté démocratique élémentaire que tout-e parlementaire se doit de défendre. Les tentatives menées par le gouvernement israélien et ses soutiens européens de judiciariser les critiques à son égard pour rendre illégitime le soutien aux revendications des palestiniens ne sont donc pas acceptables. Pas plus que les tentatives de criminaliser le mouvement BDS, dont Federica Mogherini, au nom de la Commission européenne, a réaffirmé à plusieurs reprises le caractère tout à fait légal et légitime.
Dans plusieurs pays européens (en Grande Bretagne ou en France notamment) des militant-es du mouvement de solidarité avec le peuple palestinien défendant les appels au boycott des produits israéliens ont été inquiétés, soupçonnés d’antisémitisme ou accusés de compromission avec des mouvements qualifiés de terroristes. A chaque fois, ces accusations ont été repoussées devant les tribunaux, mais ces tentatives d’intimidation ont trouvé un certain écho dans le débat public, notamment en France.
Élue au Parlement européen, je veillerai à ce que mon action et celle de mes collègues soit celle d’une lutte intransigeante contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme tout en refusant aux partisans de la politique israélienne de l’instrumentaliser ou de la dévier pour restreindre la liberté d’expression de celles et de ceux qui s’y opposent. Ainsi, l’éventualité que des textes officiels européens assimilent toute critique de l’état israélien ou de sa politique à de l’antisémitisme ne saurait être envisagée.
En espérant avoir répondu, le plus précisément possible à vos préoccupations militantes dans le domaine particulier qui est le votre, je voudrais vous remercier encore une fois de votre sollicitation et vous assurer qu’une fois élu-es au Parlement européen, les représentant-es de la FI sauront donner de la voix pour y faire entendre les revendications légitimes du peuple palestinien.
Cordialement,
Laurence Lyonnais