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Procès Gisèle Pélicot : des violeurs ordinaires

Qu’y a-t-il de commun entre toutes les personnes présentes sur le banc des accusés dans le procès de Gisèle Pélicot ? La couleur de peau, l’origine, la classe sociale, la religion ? Non, le seul point commun est d’être un homme. Des hommes « ordinaires » dit-on, de toutes classes sociales, de tout âge, de toute origine, des inconnus et le mari de Gisèle Pélicot lui-même. Rarement un procès aura concentré autant de preuves sur l’ampleur de la culture et de la pratique du viol dans notre société.

Le profil des violeurs : des hommes ordinaires

Le procès de Mazan qui s’est ouvert le 2 septembre dernier est historique à de nombreux égards. Et ce grâce d’abord à Gisèle Pélicot qui a voulu ouvrir en grand les portes du tribunal pour que la société entende et regarde droit dans les yeux l’étendue des violences patriarcales. Comme le procès d’Aix en 19781 qui avait permis de faire sortir le viol de la sphère intime et honteuse, celui de Mazan occupe toute la place publique, et transforme, dans le sillage de #MeToo, le cas exceptionnel en fait de société. Comment autant d’hommes ont-il pu participer à ces viols, comment autant d’hommes ont pu être tentés de le faire ? 51 inculpés plus une vingtaine d’autres non identifiés, et combien qui ont été abordés, ou qui ont été témoins de cette proposition et qui n’ont pas réagi ? Mais ce n’est pas tout, les récits des accusés dévoilent des violences sexuelles dans leur enfance, jamais réglées, minimisées ou tues, l’inceste s’invite lui aussi, et ce procès apparaît petit à petit comme la pièce d’un immense puzzle.

Caroline de Haas posait la question en 2018 au moment de la déflagration #MeToo de savoir combien d’hommes étaient agresseurs : « S’il y a une femme sur deux qui est victime de violences sexuelles en France, j’en sais rien, c’est peut-être… pas un sur deux parce qu’il y a peut-être des mecs qui violent plusieurs meufs, mais c’est au moins un sur trois, c’est énorme, c’est énorme. Et en fait c’est trop dur à admettre, ça »2. Cela avait déclenché un tollé. Pourtant, comme nous ne cessons de le dire depuis des décennies de luttes, les violeurs ne sont pas des monstres, des psychopathes à l’esprit tordu, ou des étrangers aux mœurs barbares, ils sont tristement ordinaires et plus nombreux qu’on le croit. Et dangereusement proches de nous, puisque c’est dans la sphère familiale, au sein du foyer, que les femmes et les enfants sont les plus exposés aux violences sexistes et sexuelles.

Le viol au service de la domination masculine

Ce procès est historique car il offre une incroyable radioscopie de la culture et de la pratique du viol. Bien que ceux-ci soient durement réprimés par la loi, encore aujourd’hui, on décompte un viol ou une tentative de viol toutes les 2minutes 303. Les violences sexuelles sont réprimées en théorie, mais en pratique, 86% des plaintes aboutissent à un classement sans suite4 et 3% de celles concernant des viols sur mineurs aboutissent à une condamnation5. Réprimées au regard de la loi, et dans le même temps érotisées et présentées comme un moyen excitant d’obtenir de la jouissance et du pouvoir, que ce soit dans les films, les romans, les BD, les jeux vidéos, les publicités, etc. Un interdit que certains assument d’enfreindre et voudraient bien remettre en cause. On pense à la tribune sur le « droit d’importuner » en 20186 ou aux propos légitimant le viol conjugal dans TMPM7.

La défense des inculpés est révélatrice de ce brouillage constant entre interdiction et autorisation à utiliser le corps des femmes comme un moyen de satisfaction sexuelle. Le consentement du mari vaut pour celui de sa femme, et un corps endormi devient un corps disponible. Certes, le viol conjugal est interdit depuis 1992 et le fait qu’il se déroule au sein du couple est considéré comme un facteur aggravant, mais le corps des femmes continue d’être considéré comme un objet sexuel, une propriété de celui qui partage son lit. On pense aussi au nombre de féminicides par conjoint ou ex-conjoint chaque année.

Verdict : défaire le système patriarcal dans son ensemble

Certains propos de la défense, « il y a viol et viol » par exemple, mais aussi ceux du maire de Mazan, « après tout, personne n’est mort », les tentatives de récupération par l’extrême droite visant à plaquer une lecture raciste, ou encore l’appréciation et l’intérêt médiatique pour le nouvel ouvrage de Caroline Fourest sur les dérives de #MeToo montrent bien que les offensives antiféministes visant à faire taire ou instrumentaliser la parole de femmes n’ont pas disparu, loin de là.

Mais les réactions d’indignation et de soutien à Gisèle Pélicot sont plus nombreuses, et montrent avec les mobilisations du 14 septembre que la vague féministe est loin d’être retombée. Chaque jour, des dizaines de personnes viennent applaudir et encourager Gisèle Pélicot à son procès. Consciente que son histoire s’inscrit dans un combat collectif, celle-ci a eu le courage de dire tout haut ce que beaucoup de victimes ont rarement pu exprimer à la barre : sur l’humiliation, l’exposition de la vie intime et notamment de ses pratiques sexuelles, qui ne sont nullement des figures imposées pour les avocats de la défense.

Mais combien de moyens, d’énergie, de détermination faudra -t-il encore et toujours déployer pour mettre en lumière ces affaires ? Grâce à combien de personnes ces histoires finissent par être dévoilées ? Un enquêteur, une journaliste, une première puis une deuxième victime qui parlent. Et combien d’autres moyens sont-ils encore nécessaires pour dérouler tout le fil ?

Ce procès est historique parce qu’il met aussi en lumière les dysfonctionnements et les aveuglements de notre société. Si ces viols ont pris fin au bout de 10 ans, de manière presque fortuite8, ils auraient pu s’arrêter, voire être évités bien avant.

Cela fait des années que les mouvements féministes réclament un plan national d’urgence pour la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, de 3 Milliards d’euros. Les moyens sont largement insuffisants, et en proportion du nombre de besoins qui explosent, ils sont même en baisse.

Il faut donc commencer par augmenter les aides financières et humaines aux associations qui accueillent et accompagnent les victimes.

La mise en lumière de la pratique de la soumission chimique qui a échappé aux radars de tout le monde pendant 10 ans nous oblige également à renforcer la formation des professionnels de santé. Le sujet des violences sexistes et sexuelles est un enjeu de santé publique majeur. C’est pourquoi notre système de santé doit prendre en compte cette dimension, tant dans la formation des personnels que dans l’accompagnement des pratiques, de la base au sommet.

Plutôt que de retirer les moyens dédiés à la police judiciaire comme l’a voulu le gouvernement Macron, il faudrait au contraire mettre le paquet pour permettre d’enquêter correctement sur les sites internet susceptibles d’abriter des pratiques illégales, et dérouler toute la chaîne des implications.

Garantir l’effectivité des trois séances annuelles d’éducation sexuelle et affective dans toutes les classes et les renforcer, plutôt que de les supprimer ou de répandre des fake news à leur sujet, comme le fait l’extrême droite. Ce sont pourtant des lieux de parole indispensables et qui sauvent parfois la vie des enfants victimes de violences.

Enfin, on ne naît pas violeur, on le devient. Ces moyens ne seraient rien sans une transformation totale des rapports de genre, fondés sur la domination masculine. C’est pourquoi si nous voulons que le puzzle patriarcal que le procès de Gisèle Pélicot a permis de dévoiler soit mis en pièce, il nous faut soutenir les luttes féministes partout où elles se déploient, au travail, dans l’éducation et contre les discours masculinistes en particulier ceux de l’extrême droite qui bataillent pour maintenir cet ordre du monde inégalitaire et violent.

En 2018, le procès de la Manada (la meute en espganol) dans l’Etat espagnol, avait suscité l’indignation à cause du traitement judiciaire de l’affaire9. Des dizaines de milliers de personnes étaient alors descendues dans la rue, obligeant le gouvernement espagnol à revoir la définition du viol dans le code pénal. Espérons que celui de Gisèle Pélicot continue d’agiter les consciences et suscite une transformation sociale à la hauteur des combats féministes.

Pauline

6 Catherine Deneuve : « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle » (lemonde.fr)

8 Dominique Pélicot a été interpellé dans un supermarché suite à des photos intimes prises à l’insu d’une cliente.

9 Aux fêtes de Pampelune en 2016, cinq hommes (qui s’auto-désignent comme « la manada », « la meute », en castillan) commettent un viol collectif sur une jeune femme. Ils sont jugés en 2018. Pour préparer leur défense, les avocats vont jusqu’à embaucher un détective privé pour suivre la victime et enquêter sur sa vie privée. La justice qualifie les faits d’ « abus sexuels » plutôt que de viol, les magistrats estimant qu’il n’y avait eu ni violence ni intimidation.