Instagram RSS

Principes Fondateurs de la Gauche Écosocialiste : tracer un chemin vers l’émancipation

Les principes fondateurs qui suivent n’épuisent pas les questions à mettre en débat pour la refondation d’une gauche de combat sur la base de l’écosocialisme. Par écosocialisme, nous entendons le courant qui s’efforce de réaliser au mieux la synthèse politique des luttes écologiques sociales et émancipatrices. Les bouleversements en cours sont porteurs de questions stratégiques majeures, auxquelles il faut s’atteler pour reconstruire un horizon à gauche.

UNE CRISE GLOBALE DU CAPITALISME. PARTAGER NOS CONSTATS

La reproduction du système capitaliste constitue une menace imminente pour la préservation des conditions de vie sur la planète. Cette crise écologique est sans précédent. Si elle n’est pas jugulée, elle entraînera l’humanité durablement dans la barbarie. Le mode de production en vigueur depuis deux siècles environ – le capitalisme – est incompatible avec les conditions physiques et biologiques de constitution et de reconstitution des ressources et de l’énergie dans le système Terre. Le projet de société que nous portons, en faveur d’une organisation sociale et politique démocratique, ne peut donc qu’être contradictoire avec le capitalisme comme système de production et de pouvoir. Ce projet doit permettre aux êtres humains de se réapproprier leurs vies et de surmonter les multiples crises auxquelles ils et elles sont exposées. Cette perspective est synthétisée par le terme « écosocialisme ».

La possibilité d’un effondrement systémique

Les effets du réchauffement climatique sont déjà présents et affectent dès maintenant la vie de millions d’individus. La réduction de la biodiversité est engagée à un rythme extrêmement inquiétant. La sécheresse de l’été 2022 a souligné de manière évidente les tensions auxquelles nous allons être confronté·e·s, en particulier les concurrences exacerbées au sujet de l’usage de l’eau, ressource vitale. La pollution chimique de l’air, de l’eau et des sols, l’usage massif des pesticides ou des additifs alimentaires et l’invasion de l’écosystème Terre par les déchets plastiques constituent d’ores et déjà un danger pour la santé. Le pillage des pays du Sud global, par un extractivisme exacerbé, contribue à l’épuisement des ressources et permet une surconsommation de matière et d’énergie telle que les limites systémiques à la croissance sont déjà atteintes. Cette croissance est en réalité destructrice pour l’humanité et la vie sur la planète.

La pandémie de Covid-19 a montré que la destruction grandissante des zones de nature vierges au profit de projets extractivistes ou d’expansion des zones agricoles, en forçant le rapprochement des animaux sauvages des zones d’habitat humain et d’exploitations animalières, représente une véritable menace pour l’humanité. Nous savons déjà que cette expansion continue conduira à d’autres épidémies qui s’étendront rapidement au reste de la planète du fait de la circulation mondiale des marchandises et des personnes. Les pays du Sud global et tous les territoires victimes de sous-financement chronique des services publics et des systèmes de santé (comme les Outre-Mer en France) en sont les premières victimes, en raison des logiques de privatisation des systèmes de santé et de la recherche au profit de grands conglomérats capitalistes.

Cette situation marque une rupture dans la trajectoire de la civilisation humaine. La possibilité d’un effondrement systémique à l’échelle planétaire n’est plus à exclure. Elle aggrave les inégalités avec une tendance au séparatisme et à la monopolisation des ressources utiles, voire vitales, par les plus riches. Une classe minoritaire d’individus et un ensemble limité de pays, dont le mode de vie est prédateur et polluant, menacent de plus en plus directement la survie de la majorité, et empêchent la recherche d’une issue pour le bien commun de l’humanité.

Construire une alternative à la militarisation du monde, aux guerres et au fascisme.

Loin d’améliorer la situation, les fausses solutions du capitalisme ne font que l’aggraver. Les inégalités et les discriminations environnementales redoublent les inégalités raciales, de classe et de genre. Les guerres géopolitiques menées par les impérialismes rivaux sont autant de tragédies pour les peuples qui les subissent comme l’illustre aujourd’hui l’agression de l’impérialisme russe à l’égard du peuple ukrainien. Ces affrontements tendent à se transformer en guerres totales : sociales parce qu’elles visent à réduire à néant les droits sociaux des populations, écologiques tant la nature est devenue un enjeu des « guerres vertes », ethniques en cherchant à exclure les étrangers et étrangères de toute forme de citoyenneté, politique et juridique par la répression et la criminalisation de toute contestation. Dans ce contexte, l’accentuation des tendances à la militarisation du monde et des sociétés et à la radicalisation des politiques néolibérales se manifestent par le renforcement et l’extension de régimes autoritaires, voire dictatoriaux, un peu partout. Cela doit nous alerter sur la résurgence et le risque d’arrivée au pouvoir de régimes néo-fascistes.

Cette situation rend urgente la création d’un front de lutte antifasciste uni et conséquent. Elle implique également une rupture radicale et globale, écosocialiste, avec l’ordre et les désordres du capitalisme.

POUR CHANGER LE MONDE ET CHANGER LA VIE : UNE RÉVOLUTION NÉCESSAIRE. S’ENGAGER POUR L’ÉCO SOCIALISME

Un projet révolutionnaire contemporain est nécessaire

La domination du capitalisme néolibéral est globale et systémique. Bifurquer de ce système signifie porter un projet de rupture globale avec l’ordre existant et les oppressions multiples sur lesquelles il prospère. Cette perspective radicale anticapitaliste et antiproductiviste nous confronte à la question de la construction d’un projet révolutionnaire contemporain. Une telle rupture est impossible sans une réflexion sur le bilan des révolutions passées, mais également sur les conditions actuelles dans lesquelles les processus révolutionnaires de notre temps peuvent être pensés, engagés et accomplis, dans toutes leurs dimensions. Nous estimons que les idées et réflexions portées par l’écosocialisme anticapitaliste occupent une place centrale dans notre programme. Pour concevoir et construire l’avenir de l’humanité il convient de les approfondir et de les discuter. C’est par ce processus que nous nous accorderons le mieux avec le nouvel horizon et un nouvel imaginaire émancipateur dont nous avons besoin.

Pour une révolution sociale

Changer la trajectoire tracée par le « capitalocène » impose une rupture sociale et culturelle radicale. Cette rupture est indispensable pour supprimer les inégalités et satisfaire les besoins fondamentaux de l’humanité. En même temps, les luttes séculaires des exploité·e·s sont au cœur des processus de transformation radicale de la société : non seulement pour résister immédiatement à l’exploitation, à toutes les oppressions sur le terrain du travail, et conquérir des salaires et des revenus décents et des conditions dignes de vie et de travail, mais aussi, ces luttes s’enrichissent de l’aspiration à trouver un sens à son travail et à décider collectivement quoi produire, pourquoi et comment le produire, sans causer des dégâts sociaux et environnementaux destructeurs et irréversibles.

Au sein de nos économies contemporaines, nous devons substituer à la propriété privée des moyens de production, d’échange et de communication, orientée par la logique du profit maximal pour la minorité dominante, l’extension du « commun », et la priorité accordée à la valeur d’usage, à la satisfaction des besoins de tous et toutes, à la jouissance d’un maximum de temps pour de libres activités individuelles et collectives.

Ainsi, la lutte pour reprendre la main sur le travail et se réapproprier nos vies doit être menée dès aujourd’hui dans une perspective de généralisation des pratiques autogestionnaires et des multiples foyers d’expérimentation qui se réfèrent au « commun ».

À court terme, rompre avec le productivisme

L’ampleur des remises en cause nécessaires exclut le replâtrage « écologique » du système. Il n’y a pas de solution qui puisse faire l’économie d’une rupture globale avec le productivisme et d’un changement en profondeur du travail, de la consommation, de la circulation des marchandises et de nos manières de nous déplacer. Il convient de repenser la relation à l’objet fabriqué, sa genèse écotechnologique, ses usages et possibilités de réparations, et comme déchet, sa décomposition et recomposition dans un ensemble plus vaste de cycles de vie d’objets techniques ou de matières. La révolution écologique n’est pas seulement un projet de décroissance économique choisie, elle est aussi une transformation des modes de vie rompant avec l’aliénation aux machines, le consumérisme, la marchandisation et l’accélération permanente des rythmes de nos sociétés. La bifurcation devra s’articuler autour d’un certain nombre d’exigences immédiates :

— sortir des énergies fossiles et du nucléaire en s’appuyant sur le projet « Négawatt »,

— repenser en profondeur l’aménagement et l’organisation du territoire,

— relocaliser les productions en sortant du libre-échange et du « grand déménagement du monde »,

— changer de modèle agricole et alimentaire,

sortir des logiques de privatisation des systèmes de santé et de recherche médicale pour faire de la santé un bien commun,

— réduire significativement le temps de travail,

— établir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes,

—  accueillir avec dignité et solidarité les réfugié·e·s.

Le principe de la « règle Verte » qui consiste à ne pas prélever plus de ressources et produire plus de déchets que la planète ne peut en supporter doit guider l’action politique. La planification écologique et démocratique est l’outil de la révolution écologique. À partir d’une vision d’ensemble, il s’agit de coordonner au sein de l’État et dans la société, à toutes les échelles et en favorisant l’intervention directe de la population dans les débats, la mise en œuvre d’une action volontariste dans le long terme, en mobilisant des moyens immédiats pour engager les premières ruptures. Cet objectif suppose de prendre au sérieux la question de la confrontation avec l’État et, en son sein, avec les intérêts des classes dominantes. Sur ce terrain de la transition hors du productivisme, notre vision stratégique ne peut se résumer à la conquête électorale du pouvoir à l’intérieur des institutions actuelles. Elle implique une mobilisation populaire et une confrontation politique et sociale massive et de longue durée en vue de transformer radicalement les institutions. Elle suppose l’invention d’une démocratie nouvelle au sein des institutions et dans la société.

Mettre fin au patriarcat

La dimension féministe de notre combat est fondamentale. Il s’agit en effet de lutter contre le patriarcat – c’est-à-dire un système social fondé sur l’oppression des femmes par les hommes, et contre son utilisation par le capitalisme. L’oppression et l’exploitation des femmes constituent les conditions de la survie d’un système économique qui s’appuie sur le travail gratuit des femmes et les exploite dans le champ de la reproduction sociale. Les conditions de la lutte féministe se sont radicalement transformées depuis le mouvement #Metoo. Une nouvelle vague féministe est lancée, plus internationale encore que les précédentes, et dans laquelle la jeunesse joue un rôle de premier plan. Centrée sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles et le droit à disposer de son corps, elle conduit aussi à remettre en question la place dominée des femmes de manière fondamentale et dans tous ses aspects, dans la sphère publique comme dans la sphère privée.

Partout dans le monde, les offensives contre le droit à l’IVG par les courants réactionnaires illustrent que les droits acquis de haute lutte par les mobilisations féministes à l’avortement sont très vite remis en cause dès l’arrivée de ces courants au pouvoir. Ces mêmes courants instrumentalisent le féminisme à des fins transphobes et trans misogynes pour tenter de réaffirmer la division genrée de la société et retirer des droits à toutes les femmes, notamment sur le terrain des droits reproductifs. Face à cela, nous réaffirmons notre engagement féministe et notre solidarité dans les luttes et mobilisations pour les droits des LGBTI+, et considérons qu’il existe une continuité entre ces combats.

Le contexte de crises multiples et imbriquées, notamment la crise climatique et la récente crise sanitaire, conduit également à transformer la manière d’envisager la place des femmes dans la société. Les tâches souvent pénibles qu’elles accomplissent, particulièrement les femmes racisées, et les emplois dévalorisés et sous-payés qu’elles occupent, rendus visibles pendant la pandémie, ont un rôle central et une fonction vitale tant dans la santé et les métiers du soin, que dans l’éducation, le nettoyage ou l’aide à la personne, etc.

Comme courant politique, nous nous inscrivons dans la lignée du « féminisme lutte de classe », issu des pratiques et débats des féministes des années 1970, qui entendait articuler la dimension de classe et la dimension de genre dans l’analyse des oppressions, les formes d’organisation et les mobilisations. Aujourd’hui, nous revendiquons une approche intersectionnelle au sens où elle prend en compte l’articulation et non l’addition ou la juxtaposition des diverses formes d’oppression et de discrimination, qui s’exercent, résultant en particulier du sexisme et des oppressions spécifiques de genre, du capitalisme, du racisme.

Une révolution égalitaire et démocratique contre les oppressions structurelles

La lutte contre les oppressions structurelles (patriarcat, racisme, hétéronormativité, validisme…) qui sont fondamentales et indissociables du capitalisme, est partie intégrante de la lutte contre l’exploitation du travail salarié et pour des droits sociaux. En effet les oppressions spécifiques liées notamment au genre ou aux origines, réelles ou supposées, sont largement entretenues par les classes dominantes en ce qu’elles accompagnent l’exploitation dans le système capitaliste en divisant les exploité·e·s entre eux et elles. Les luttes LGBT sont vectrices d’émancipation et de libertés individuelles grandies pour l’ensemble de la société. L’auto-organisation de ses membres sur les questions sanitaires (VIH et plus récemment Monkeypox) en sont des bons exemples.

Pour ce qui concerne le racisme, les manifestations et expressions de l’antisémitisme prétendument disqualifiées depuis la seconde guerre mondiale demeurent pourtant un facteur significatif de la violence raciste en verbe et en acte et un puissant agent de division. Au-delà, les cibles et les formes du racisme structurel en France ont évolué et se sont diversifiées. La France revendique l’héritage d’un universalisme politique considérant chaque individu comme partie-prenante d’une humanité universelle égale en droits et en dignité. Mais un usage perverti le retourne en son contraire pour légitimer une forme centrale du racisme en France : l’islamophobie qui s’attaque à des populations issues de l’immigration post-coloniale dont une majorité fait partie du prolétariat. Les discriminations contre les musulman·e·s témoignent d’un racisme contre les groupes dominés en raison de leur origine et de la division des opprimé·e·s et des exploité·e·s en France et plus largement en Europe. La criminalisation des migrants et migrantes et la fermeture des frontières participe aussi à la banalisation du racisme. Face à ces politiques meurtrières, nous militons pour la liberté de circulation et d’installation et pour l’égalité des droits.

De fait, ces oppressions traversent les classes populaires elles-mêmes. Elles s’articulent étroitement au racisme et aux formes d’exploitation qu’il entraîne. Il les superpose et les croise, les utilise, les approfondit et les renouvelle en permanence. La lutte pour l’émancipation et contre toutes les oppressions doit faire l’objet d’une démarche intersectionnelle, attentive à n’en négliger aucune, pour favoriser la convergence entre les opprimé·e·s. La prise en compte de leur combinaison en un système global d’oppressions et d’exploitation doit faire l’objet d’une attention constante et se manifester au cœur de notre projet de rupture.

Une révolution internationaliste contre les impérialismes

À l’âge du capitalisme financiarisé et mondial et de la crise climatique planétaire, le capitalisme est un système international renforcé, même si la mondialisation financière et marchande produit des effets en retour en termes de radicalisation des nationalismes de toute nature. Ces contradictions sont mondiales et traversent aujourd’hui toutes les sociétés.

Dans la lutte contre le capitalisme, nous ne pouvons nous identifier à aucun intérêt particulier, même national, s’il est défini hors de l’intérêt commun et de la solidarité entre tous et toutes les opprimé·e·s. Nos objectifs sont définis en vue d’un renversement du système global d’oppression et d’exploitation. Dans ce cadre, nous nous donnons pour tâche prioritaire de combattre l’impérialisme français sous ses multiples formes.

Réciproquement notre internationalisme ne peut pas nier de manière dogmatique l’existence, et parfois la légitimité, d’intérêts nationaux. En effet, les formes mêmes du capitalisme aujourd’hui mondialisé, donnent une importance plus grande à la défense de la souveraineté démocratique. Face aux dominations impérialistes et capitalistes, des intérêts progressistes peuvent s’exprimer sur cette base dans le but de protéger des populations d’un espace social et politique structuré au niveau national (la protection des services publics ou de la souveraineté alimentaire, par exemple). D’autre part, nous défendons la souveraineté démocratique des peuples face aux différentes agressions impérialistes dont ils peuvent être les victimes.

En outre, les sociétés de la planète ne sont pas toutes à égalité au sein du système mondialisé. Les peuples du Sud global subissent des formes de domination et d’exploitation spécifiques, inscrites dans la durée; celles du développement actuel et passé du capitalisme. Les concurrences inter-impérialistes évoluent, la dynamique du capitalisme entraîne aujourd’hui l’émergence de nouvelles puissances, en particulier la Chine et l’Inde. Cependant, dans le cadre d’une géopolitique mondiale, nous considérons que les interactions entre États et blocs d’États ne peuvent pas être indifférentes aux contradictions économiques, politiques et sociales qui les traversent et aux solidarités objectives qui existent entre les peuples – ou aux facteurs qui, au contraire, les opposent contre leur intérêt. Nous sommes toujours guidé·e·s par l’intérêt des exploité·e·s et des opprimé·e·s.

Pour réaliser ces objectifs, une révolution démocratique

Pour transformer en profondeur la société, il faut assurer le passage à une démocratie radicale. C’est l’auto-gouvernement qui doit permettre d’articuler la démocratie représentative avec des formes plus directes d’expression, de délibération et d’administration démocratique. Les formes d’auto-organisation – y compris celles en mixité choisie – accompagnent les luttes et en constituent une préfiguration.

La révolution démocratique vise à articuler la société et l’État au sein d’un espace politique combinant démocratie directe et représentation, dans lequel les citoyennes et citoyens peuvent s’informer, s’exprimer, débattre, élaborer en commun, délibérer et décider, élire et révoquer, mettre en œuvre directement ou contrôler la mise en œuvre de leur mandat.

POUR RENDRE CES RÉVOLUTIONS POSSIBLES. S’ENGAGER DANS LE PROCESSUS RÉVOLUTIONNAIRE

Favoriser l’intervention populaire face au bloc bourgeois.

La radicalisation des politiques néolibérales et l’explosion des inégalités sont le résultat de la domination d’un puissant bloc aux composantes socialement et institutionnellement identifiables. Ce système assure une reproduction systématique des élites entre elles. Mais il a un point faible : son autonomisation, sa coupure avec la vie de la société. C’est donc de l’intervention populaire et de son auto-organisation que peut venir la solution. Au bloc oligarchique et bourgeois nous devons opposer le bloc populaire et démocratique associant toutes les forces politiques de rupture, les syndicats mais aussi les collectifs associatifs, écologistes, culturels prêts à s’engager pour mener ce combat commun.

Combattre l’extrême-droite

Il y a un combat antifasciste spécifique à mener : idéologique, politique, militant. Il faut refuser la banalisation des thèses réactionnaires, contre-argumenter, démasquer les faussaires. Il faut organiser l’autodéfense de nos espaces, de nos luttes, de nos quartiers, face aux agressions fascistes. Pour notre part nous optons pour un antifascisme qui ne se limite pas à s’opposer à l’extrême-droite officielle, mais qui lutte contre toutes les politiques – policières, liberticides et racistes – qui lui ouvrent la voie.

L’unité des exploité·e·s et des opprimé·e·s

Le principal défi contemporain est l’unité des opprimé·e·s et des exploité·e·s et de surmonter nos divisions pour nous organiser et agir ensemble. Cela concerne au premier chef le salariat, aujourd’hui largement majoritaire et fragmenté.

Car si l’unification est difficile, elle n’en est pas moins indispensable. La lutte pour l’égalité et la démocratie devra rassembler et ne laisser personne sur le bord du chemin quel que soit son statut, son genre, son origine ou son lieu de vie. Sur la base de leurs intérêts communs, elle vise à intégrer et solidariser l’ensemble des exploité·e·s et des opprimé·e·s dans un large front commun, social et politique.

Pour autant les luttes se mènent aussi sur divers fronts et selon des temporalités différentes. Il importe que les opprimé·e·s confronté·e·s à des oppressions multiples et spécifiques (sexisme et domination masculine, racisme, etc.) soient les acteurs et actrices de leur propre émancipation et de leur propre lutte. Il importe que celles-ci restent sous leur contrôle et que leurs allié·e·s trouvent une place en renfort des luttes menées.

Reconstruire une hégémonie sociale et politique

Nous en sommes convaincu·e·s, c’est en transformant les conditions de la lutte que les exploité·e·s et dominé·e·s se transforment. Nous nous engageons sur la voie de la construction sociale et politique d’une contre hégémonie. Un tel combat concerne notamment la production d’un vocabulaire et d’idées, et l’élaboration collective d’un récit qui s’impose à l’adversaire et sédimente toute une conception du monde. L’échec des expériences dites socialistes, et plus de 40 ans d’offensive néolibérale ont affaibli les discours et modes de pensée qui s’étaient construits au 19e et au 20e siècles. C’est un nouvel horizon et un nouvel imaginaire que nous reconstruisons. Cela ne peut s’envisager sans une participation active à la conquête de positions institutionnelles au travers des échéances électorales à tous les niveaux. Pour autant cela ne modifie pas notre conviction fondamentale : nous ne perdons pas de vue que cette activité – parlementaire en particulier – n’a pas de sens prise isolément. Elle ne peut se mener qu’en ayant toujours un pied dedans et un pied dehors. L’intervention populaire irrigue et prolonge une activité qui n’a de sens que dans la mesure où elle peut être en permanence inspirée et contrôlée par le peuple et les électrices et électeurs.

Nous posons en effet la question de la conquête mais aussi de l’exercice du pouvoir. Nous partageons la conception de la révolution citoyenne dans laquelle une victoire électorale de la gauche sur un programme de rupture doit être conçue comme l’amorce d’un processus mobilisant les citoyennes et citoyens pour l’élaboration d’une nouvelle constitution fondatrice d’une sixième république. Mais nous estimons que la nature même de ce processus constituant mérite discussion et confrontation d’hypothèses stratégiques. Ce processus doit, à nos yeux, être engagé dans le cours même des séquences électorales. Et il doit se traduire par la constitution de comités et de réseaux s’octroyant les pouvoirs nécessaires pour commencer à réorganiser la vie économique, sociale et politique sur leurs propres bases. Le processus constituant sera donc étroitement lié au processus instituant qui prolonge et met la victoire électorale sur la voie de la révolution sociale.

Reconstruire l’hégémonie politique et sociale au sein des classes populaires est la condition de leur basculement dans une dynamique révolutionnaire non seulement pour mener un assaut victorieux pour prendre le pouvoir, mais aussi l’exercer de façon démocratique.

Se préparer à l’exercice démocratique du pouvoir

L’exercice démocratique du pouvoir s’appuie sur les expériences d’auto-organisation, qui pourraient être considérées comme une école de l’autogestion. Il s’agit d’une forme d’organisation de l’économie et de la société fondée sur la coopération démocratique, y compris à petite échelle, et durant une période limitée. Ces expériences constituent une façon nouvelle et subversive de faire société. Elles se développent particulièrement dans les situations de crises. Des germes visibles d’autogestion existent aujourd’hui qui ne sont pas sans lien avec les formes d’organisation sociales et politiques des « communs ».

Cela étant, la question du rôle de l’État reste posée. Le bilan global des révolutions du siècle passé laisse en effet entière la question du dépérissement et de l’extinction de l’État en tant que machine bureaucratique et instrument de domination de classe. Mais de façon symétrique le bilan des courants et des expériences visant à réformer et démocratiser de l’intérieur les rouages de l’État est loin d’être évident, en particulier pour tout ce qui concerne les instruments de coercition et de répression. Au sein de la problématique de la transition du capitalisme au socialisme, le problème n’est sans doute pas de trancher sur les voies que prendront les peuples, puisqu’ils les inventeront eux-mêmes. Il s’agit donc moins de proclamer ou décréter l’abolition de l’État, ou d’établir par avance la liste des institutions censées le remplacer, que de contribuer à créer les conditions favorables à la socialisation de ses fonctions. L’auto-gouvernement du peuple aura pour principal fondement l’association volontaire de « celles et ceux d’en bas », avec le souci de se coordonner et de se fédérer sur la base de principes élaborés en commun et soumis à une validation populaire constante et élargie, articulant démocratie directe et démocratie représentative. Les voies pour organiser une telle démocratie à échelle mondiale restent à imaginer. Cela doit permettre de maintenir vivants des outils de contrôle populaire sur le pouvoir central. Ce contrôle demeurera la garantie du pluralisme, et le principe de subsidiarité du point de vue de la prise de décision, dans une perspective autogestionnaire.

Une force politique organisée et démocratique pour l’émancipation

Le rôle des organisations est donc conditionné par l’évolution de la société dans son ensemble. Nous assistons à une stratification sociale extrême, un éclatement des classes populaires sous l’impact de la mondialisation et de l’évolution des processus de travail, et en particulier, du développement de la précarité, de la sous-traitance et de l’uberisation.

À côté de l’opposition traditionnelle capital/travail ont surgi une série de mouvements sociaux écologistes, féministes, anti-racistes, etc., dont les représentations sont multiples et diversifiées. Surgissent aussi de nouvelles problématiques liées à l’identité, au genre, aux situations de handicap ou à la relation au vivant dans sa globalité. L’alliance dans un même projet reste à construire.

La contre-révolution libérale a très fortement développé un individualisme, faussement émancipateur, qui met à mal l’idée même d’engagement existant nécessairement dans tout cadre collectif.

Le développement des réseaux technologiques dits réseaux sociaux amène bien souvent à une forme de militantisme à distance correspondant aussi aux pratiques de générations habituées à des rythmes accélérés sur des temporalités courtes et centrées sur l’action immédiate. Ces mutations sociales et ces transformations des répertoires d’action collective ne justifient pas pour autant la disparition des formations politiques au profit de regroupements informels, ou entièrement dirigés par en haut sans que les militants et militantes aient la possibilité de définir une orientation et de mettre en œuvre une stratégie. Avancer l’argument de l’efficacité pour justifier la centralité de l’usage de ce type d’outil est illusoire voire possiblement dangereux en l’absence d’approche critique de l’impact de ces technologies.

La nécessité demeure de promouvoir une formation politique conçue comme un « intellectuel collectif » prenant en compte les mutations de la société, renouvelant ses pratiques et se fixant des tâches ambitieuses. Contrairement à ce que beaucoup imaginent — et dont ils et elles-mêmes finissent par douter avec l’expérience, l’existence de structures et de règles est aussi la condition de la démocratie interne. Une formation politique à visée révolutionnaire encouragera toutes les formes de coordination et de solidarité indispensables dans une époque où le libéralisme devient de plus en plus autoritaire et où les affrontements sociaux risquent de devenir de plus en plus violents.

Profondément écologiste, socialiste, féministe, antiraciste et internationaliste, cet « intellectuel collectif » œuvrera à rassembler tous les éléments capables de contribuer à faire converger les diverses luttes dans le cadre d’un projet politique global sans subordination ou minoration d’aucun des mouvements sociaux contre l’exploitation, les oppressions et discriminations.

Ce n’est qu’un début, continuons le débat

Comme nous l’avons indiqué, les principes et les propositions mises ici en avant traduisent l’état actuel de notre réflexion et ne prétendent ni trancher définitivement ni résoudre un ensemble de questions posées à toutes les forces de transformation écologique et sociale.

Parmi tant d’autres à approfondir, prolonger et mettre en débat on peut signaler :

— la nature plus détaillée du (ou des) impérialisme(s) et les tâches incombant aujourd’hui à un nouvel internationalisme,

— la place du prolétariat et des classes populaires de nos jours et les voies possibles de leur unification et de la construction d’une conscience collective tenant compte des divisions qui les traversent,

— les risques que représente la montée de l’extrême-droite pour la perspective d’une rupture émancipatrice avec l’ordre néo-libéral et les moyens de la contrecarrer au sein des catégories populaires,

— la place des différentes oppressions dans le combat pour l’émancipation générale et dans la constitution de nouveaux sujets révolutionnaires,

— la nature de la société démocratique à bâtir (dont les rapports entre les divers niveaux de choix politiques, locaux, nationaux, internationaux, mondiaux),

— la transformation et le dépérissement de l’État dans la perspective d’une transition démocratique à l’éco socialisme,

— le contenu de la « décroissance » différentielle impliquée par les choix écologiques,

— les nouveaux partis et les nouveaux fronts de résistance, de rupture et de transformation sociale à bâtir dans les conditions du 21e siècle, leur démocratie interne, l’égalité en leur sein, la lutte contre la bureaucratisation toujours possible.

Les réponses à ces questions dépendent en premier lieu, nous le savons, des chemins ouverts par les luttes et les mouvements sociaux eux-mêmes. Il s’agit d’y prendre notre part et de favoriser en même temps la mise en discussion des questions majeures du mouvement pour l’émancipation à notre époque. Puissent le constat et des principes exposés ci-dessus favoriser le débat.