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Patrick Jarry : « Faire Métropole, c’est faire solidaire »

4 mois après la mort de Nahel M., nous sommes retournés à Nanterre, pour interroger Patrick Jarry sur l’état de sa ville et sur les mesures annoncées en octobre par Elisabeth Borne et Gérard Darmanin. Acteur majeur de la « politique de la ville », il nous donne également son analyse sur la direction prise par la Métropole du Grand Paris et sur la nécessité de la mixité sociale. Patrick Jarry a été maire de Nanterre pendant 20 ans. En octobre, à mi-mandat, il a choisi, pour des raisons personnelles, de transmettre cette responsabilité à l’un de ses adjoints, Raphaël Adam. Il reste, évidemment, conseiller municipal engagé au quotidien dans la gestion de Nanterre.

Comment se porte Nanterre 4 mois après la mort de Nahel ?

Nanterre ne s’est pas enflammée toute seule. La question essentielle c’est de ne pas perdre le point de départ, le fait générateur. Et, évidemment, ce sont les conditions dans lesquelles a été tué Nahel, par un policier, quasiment en direct. Une demi-heure après les faits, le monde entier voit un policier tuer quelqu’un, alors qu’il n’est pas en danger. Ça n’a d’équivalent que la mort de Georges Floyd, aux Etats-Unis. Ce qui a produit la sidération et le mouvement de colère. C’est d’autant plus choquant qu’au moment même, la presse diffuse un soi-disant témoignage, une prise de parole policière, qui se réclame de la légitime défense et de l’usage légitime des armes. Si on passe sur ça, alors, évidemment, tout devient complètement incompréhensible. D’abord, donc, on occulte les faits. Mais ces faits ne se produisent pas dans un horizon totalement serein. Ils se produisent dans une succession d’événements divers, mais dans lesquels, déjà, des policiers sont impliqués, dans des violences exercées contre des personnes, sans que les conditions requises pour l’exercice de la force, de la violence, soient réunies. On est dans ce contexte-là, alimenté par les témoignages que donne régulièrement la presse, qui se diffusent dans les familles, auprès des jeunes notamment, d’interventions qui ne sont pas passées normalement, comme devraient se passer des interventions policières.

Ne pas parler du « fait générateur » évite, comme je l’avais dit à l’Elysée lors de la réunion des 300 maires, de se poser la question des conditions d’interventions et de travail des policiers dans nos villes. Cet événement se serait produit dans n’importe quelle autre ville, il aurait eu les mêmes conséquences.

C’est pour ça que quand on me demande comment va Nanterre quatre mois après, j’ai envie de dire comme toutes les autres villes, il y en a eu 900, qui ont été concernées par ces événements. Nanterre a été un peu plus marquée par la mort de Nahel, parce qu’on le connaissait, c’était un enfant de notre ville que des tas de gens, enseignants, animateurs etc. l’avait rencontré et parce que de nombreuses personnes ont été marquées par l’ampleur des « émeutes » même si elles ne se sont pas déroulées dans tous les quartiers de la ville et qu’à Nanterre, elles n’ont duré que quatre jours.

Au-delà du fait générateur comment expliques-tu ce qui s’est passé ?

Si on ne comprend pas que le fait générateur est essentiel, si on glisse là-dessus, on va aller chercher toutes sortes d’explications qui ne sont pas toutes pertinentes. Par exemple, on parle « des maires » des villes concernées, et on donne le sentiment qu’ils sont tous d’accord et qu’à la réunion du 4 juillet à l’Elysée, par exemple, ils ont tous dit la même chose. Mais le Président de la République, à l’issue de cette réunion, m’a bien fait remarquer que nous n’étions pas d’accord entre nous, ce qui n’est guère surprenant. Un certain nombre d’entre nous était concentré sur les faits, souhaitant en parler et mettant en avant, comme première préoccupation, les conditions nécessaires pour que cela ne se reproduise pas. Nous avons fait remarquer qu’après les révoltes, les émeutes, les violences, il faut choisir comment les appeler, car les mots ont un sens, toute une partie de la population a vécu ces événements dans la sidération et l’injustice. Injustice qui s’inscrit dans une réalité dans laquelle toute une masse de gens, et notamment de jeunes ont bien conscience qu’ils n’ont pas tout à fait les mêmes droits que les autres. Des droits à la justice, bien sûr, mais aussi à la réussite scolaire, à l’emploi, au logement, à la citoyenneté. A Nanterre, je suis obligé d’intervenir plus de cent fois par an pour le renouvellement des cartes de séjour pour des personnes qui sont dans la ville depuis la fin des années 60. Quand tous ces jeunes voient que leurs grand-mères n’arrivent pas à avoir le renouvellement de leurs papiers sans tout un « pataquès », ça crée de l’incompréhension, de la tension. Notons au passage qu’une grande partie des associations, qui sont importantes dans ces villes et ces quartiers, qui sont nombreuses à Nanterre et que nous soutenons, par des locaux, des subventions, avec lesquelles nous construisons des partenariats car nous considérons qu’elles font partie de la réponse publique pour l’accompagnement de tous ces jeunes, ces habitants des quartiers, ces associations, donc qui avaient beaucoup de projets sur l’éducation, la culture, le sport, sont amenées à consacrer une part importante de leur temps et de leurs ressources à accompagner les gens pour simplement accéder aux droits.

La question de l’accès aux droits paraît complètement irréelle. Ça fait 30 ans que je m’occupe de la politique de la ville, comme conseiller municipal puis comme maire et je trouve qu’on a reculé. On a les mêmes associations, mais leur temps est accaparé et, en réalité, elles font une partie du travail des administrations.

Dans ce cadre, de violence et d’injustices, il est indéniable qu’il y ait des gens qui en aient profité pour commettre des actes de pur vandalisme. D’ailleurs, j’ai toujours été très clair. Pour moi, ces violences font reculer le mouvement. Les violences qui se sont produites n’ont pas permis que ce mouvement de sympathie, de sentiment d’injustice, qui était partagé bien au-delà des villes et des banlieues populaires et qui aurait mis le pouvoir politique sur le «reculoir », de persister plus de quelques jours. Je n’ai jamais pensé que, dans les conditions de la France, la violence était une voie efficace, pas plus pour les jeunes que pour le mouvement ouvrier ou pour les luttes écologistes. Ce qui n’est pas du tout la même chose que la désobéissance civique.

Dans quel sens vont les mesures présentées cet automne ?

Dans la réunion à l’Elysée, les maires de droite ont évidemment exprimé au Président de la République leur exigence d’avoir de nouvelles mesures et de nouveaux moyens répressifs. Darmanin a eu cette formule : « on est passé du maintien de l’ordre au rétablissement de l’ordre », pour justifier le recours à des forces de police comme le RAID. D’une manière délibérée, le CIV (comité interministériel des villes) ne s’est pas réuni pour examiner l’ensemble de la politique de la ville mais il y a eu la volonté de mettre en scène le fait que la première réponse du pouvoir politique à ce mouvement était des moyens nouveaux pour rétablir l’ordre et, pense-t ’on, donner des gages, des moyens pour éviter que cela se reproduise. Dans ce cadre, il y a un sujet qui se met en place et dont on ne parle pas. C’est la question de ce qu’on demande aux villes de faire et notamment de s’équiper de polices municipales armées, et des réponses que les gouvernements ont fait aux maires qui demandent toujours plus de pouvoirs pour leurs polices municipales. Ça pose un problème. Des observateurs ont fait remarquer que dans plusieurs villes, les mairies elles-mêmes ont été attaquées pendant ces journées. Et ça, c’est une première, parce que, jusqu’à maintenant, l’hôtel de ville c’était le lieu où on déclarait les naissances, on se mariait, on allait chercher de l’aide pour le logement, pour une place en crèche, pour l’inscription des enfants à l’école. Mais avec cette volonté de faire jouer un rôle toujours plus grand aux mairies dans la sécurité, voire le maintien de l’ordre, est-ce qu’on ne brouille pas cette image des élus locaux et des maires ? On nous répond d’abord que c’est pour avoir une police de contact, de proximité, qui sera mieux à même de faire les actes de petite verbalisation contre les incivilités etc. En réalité, certains maires demandent que leurs polices municipales aient les mêmes droits que la police nationale… Notons que pour que ces polices aient les mêmes droits de police judiciaire, il faudrait changer la Constitution, ce qui gêne tout de même un peu Darmanin. Si on veut aller vers une responsabilité accrue du maintien de l’ordre transféré aux villes, il faut en parler, car les conséquences ne sont pas neutres, pour l’image et le rôle des élus, mais aussi pour les questions financières que ça pose. On essaie de couvrir la réduction des effectifs de la police nationale sous Sarkozy par le renforcement des polices municipales. En réalité, je suis assez inquiet pour l’avenir des communes en France. Je pense, au contraire, qu’on a besoin de caler les choses. On ne peut pas rester dans ce flou entrer le rôle du maire et celui de l’Etat sur les questions de sécurité, avec toutes les démagogies qui laissent croire que c’est le maire qui doit assurer la sécurité de l’ensemble de la population, avec toutes les responsabilités qui vont avec. Cela ne permet pas aux populations de comprendre vers qui il faut se tourner, cela permet de masquer le fait qu’on a baissé le nombre de policiers nationaux, que les conditions d’intervention et de travail des policiers se sont dégradées sans cesse depuis 15 ou 20 ans… On voit bien que la question de l’usage des armes est importante et qu’elle nécessite une formation et un encadrement extrêmement rigoureux pour éviter les drames que nous avons connu. Clairement, je ne voudrais pas que demain, le drame de Nahel soit provoqué par un policier municipal.

Enfin, on a le droit de s’interroger sur les mesures d’accompagnement, de responsabilisation des parents, par exemple. Est-ce qu’on met suffisamment de moyens, est-ce que les processus sont adaptés. On ne peut pas écarter cette question, dans le monde dans lequel on est. Depuis 20 ans la cellule familiale a évolué, il faut tenir compte de l’évolution de la société, des modifications des cultures, des coutumes. L’ensemble du travail social doit être repensé. Ça doit aussi concerner la question de la justice pour les mineurs. Mais tout ça n’est pas automatique, les mesures annoncées doivent être absorbées, transformées par la réalité du corps social.

Cette mise en scène portait le message : « c’étaient des violences inacceptables ». Sans plus jamais parler du fait générateur ni du contexte d’injustice qui a pu motiver la réponse des gens dans les villes

Et le deuxième volet, la « politique de la ville » ?

On revient toujours à cette question de la politique de la ville. Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. Ce qui est embêtant, c’est qu’on donne le sentiment qu’on fait plus pour ces quartiers. Alors qu’en réalité, la politique de la ville n’arrive pas à combler ce que ces quartiers, ces populations n’ont pas à travers le droit commun. A chaque étude, on voit par exemple que c’est là que les enseignants sont les moins remplacés, ce n’est pas là que sont nommés les plus expérimentés. Pour être un proviseur reconnu par ses pairs, il faut être nommé à Louis le Grand ou Henri IV, mais pas à Joliot-Curie à Nanterre ou Paul Eluard à Saint Denis…mais on pourrait faire la démonstration dans d’autres domaines

Il y a un énorme mensonge, par rapport à la politique de la ville. L’Etat a décidé, juste titre, que dans les quartiers « politique de la ville », les bailleurs sociaux seraient exonérés, en grande partie, de la taxe sur le foncier bâti que les autres propriétaires paient aux communes. Mais ce que l’Etat ne dit pas, c’est qu’il ne compense ce manque à gagner pour les communes concernées qu’à hauteur de 40%. Prenons un autre exemple. Si on peut accueillir les enfants de ces familles les plus populaires dans de bonnes conditions, avant 3 ans, en maternelle, les expériences qui ont lieu à Nanterre montrent que c’est profitable et que ces enfants rentrent au CP avec de bien meilleures capacités. Ces expériences devraient être étendues à Nanterre, où il y a 11 classes de tout-petits. Il faut donc créer, pour ces classes, des postes d’ATSEM. L’Etat va-t-il cofinancer avec les communes ? Pas du tout ! De la même manière quand on a dit qu’on allait dédoubler les CP ou les CE1, ou les grandes sections de maternelle, personne n’est allé voir toutes ces villes, Nanterre, Gennevilliers, Bagneux, La Courneuve, Saint-Denis, Aubervilliers, pour leur dire « comment résolvez-vous cette question en termes de locaux, de chauffage, de personnels ? ». On présente une réalité selon laquelle on ferait plus pour ces villes, alors que les villes les plus populaires doivent des dépenses supplémentaires considérables pour des choses qui se font simplement ailleurs.

Alors, il y a quelques mesures utiles, comme l’extension des cités éducatives à tous les quartiers concernés, à condition que dans ce mouvement de généralisation, on ne perde pas la qualité de ce qui est fait, qu’on en évalue la complexité, dans la relation entre tous les acteurs, équipes enseignantes, éducateurs, associations, parents…

Autre exemple : la santé. A Neuilly, pas besoin d’avoir un centre de santé municipal. A Nanterre, il y a 26 000 personnes qui sont soignées par le centre de santé municipal. Mais les dépenses de ce centre de santé ne sont pas couvertes par les remboursements de la Sécu et des mutuelles. Chaque année, la ville de Nanterre doit subventionner à hauteur de plusieurs millions d’euros, sans compter la mise à disposition des locaux et sans même parler des actions de prévention. C’est pour ça que cette présentation de la politique de la ville n’est pas juste et même source, pour les habitants des autres villes, des zones rurales, du sentiment que pour les banlieues « on fait tout ». Mais je leur dis « venez voir, on n’est absolument pas dans cette situation de privilégiés » !

La région parisienne est-elle spéciale ?

La région parisienne, et en particulier la Métropole du Grand Paris, c’est une région particulière. On est dans une volonté délibérée de refuser d’avancer dans la direction de villes plus « mixtes ». Où l’ensemble des familles ont la possibilité d’y habiter. Contrairement à ce qu’on laisse croire, le rapport établi en 2020 par l’Institut d’Urbanisme de la Région Ile de France montre que dans la dernière décennie, la mixité sociale a reculé, sauf dans quelques villes dont Nanterre fait partie avec Saint Ouen et Montreuil.

Et ce n’est pas au prix d’une « boboïsation » de la ville. Dans cette période, à Nanterre, on a construit 2000 logements sociaux supplémentaires. La population de Nanterre aujourd’hui, c’est 50% d’ouvriers et d’employés et 50% de techniciens, cadres et professions intermédiaires. L’originalité du projet qu’on porte sur un demi-siècle, et qui est extraordinairement difficile, c’est de maintenir au pied du plus grand quartier d’affaires d’Europe le droit d’y habiter pour tous, d’affirmer notre droit à être là. Parce que c’est nous, nos pères qui ont bâti La Défense. Pas dans une vision d’entre-soi, mais dans une vision d’une ville ouverte, au sein de laquelle on va déjà essayer de se mélanger.

Plus généralement, le projet de départ c’était des construire des Habitations à Logement Modéré, pour l’ensemble du monde du travail, pas des « logements sociaux ». Les choix politiques faits par les gouvernements successifs, et notamment depuis la loi Barre de 1977 ont abouti à ce que progressivement, les HLM, dans lesquelles se retrouvaient l’instit, l’assistante sociale, l’employé de mairie, l’ouvrier de chez Dassault, le technicien de chez Matra, dans la construction desquelles l’Etat investît pour que le prix du loyer pour tout le monde soit plus bas, se transforment en « logement sociaux ». Un modèle différent, dans lequel on va subventionner les gens. C’est plus qu’un changement de vocable.

La deuxième raison de cette absence de mixité, ce sont les crises économiques qui se sont succédé depuis 1973. Il va y avoir du chômage de masse, durablement des gens qui auront du mal à s’insérer dans l’emploi, un appauvrissement durable d’une partie de la population. Et un appauvrissement qui se traduit aussi par la précarisation qui ne produit plus le même rapport social aux autres et qui augmente la difficulté de trouver sa place dans la société. A Nanterre, on a essayé de contrecarrer cette tendance en construisant plus de logements sociaux dans les quartiers un peu plus aisés et un peu moins dans les quartiers historiquement les plus pauvres.

A l’échelle de la Région Parisienne, la mixité sociale a reculé. On est face à un certain nombre de villes arcboutées sur l’idée d’être des villes de l’entre-soi et qui refusent totalement de prendre leur part dans la mixité. Le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté dans le Grand Paris est de 18%. Si on prend les 11 communes de l’Etablissement Public Paris-Ouest -La Défense, une seule, Nanterre, a 20% de sa population sous le seuil de pauvreté et pour les 10 autres, cette part est située entre 8 et 10%, c’est-à dire la moitié de la réalité du Grand Paris. La Première Ministre, et le Ministre du Logement ont fini par voir que Nanterre relogeait des bénéficiaires du DALO (Droit au Logement Opposable) des villes alentour, qui n’ayant pas produit de logements dits « sociaux » nécessaires, les recasaient, via les décisions préfectorales. Alors, Mme Borne a dit qu’elle demanderait aux préfets de ne pas reloger ces personnes dans les quartiers « politique de la ville ».

Mais on est dans une contradiction. A Nanterre, on a à la fois 50% de logements sociaux et un très grand nombre de demandeurs, souvent les enfants des habitants de Nanterre. Mais si on est contraint, par les décisions préfectorales d’accueillir des bénéficiaires de villes qui n’ont pas le taux nécessaire de logements sociaux, on ne peut plus reloger ces jeunes, qui devront attendre six, sept ans ou plus. C’est pourquoi on avait proposé un amendement, soutenu même par la députée macroniste de la dernière législature (elle a été battue en 2022 par Sabrina Sebaihi, une députée Nupes EELV), que les règles d’attributions soient différentes quand les communes avaient 50% et plus de logements sociaux, de 30 à 50% ou moins de 30% et que dans le premier cas, ces communes restent maîtresses des attributions de leurs logements. Mais cet amendement avait été refusé par Julien Denormandy, ministre du logement à l’époque, en disant que la loi n’avait pas besoin d’être modifiée et que les préfets « géreraient ça avec intelligence ». Finalement, c’est la même chose que vient de nous dire la Première Ministre !

Comment sortir de cette situation ?

D’abord, il faut appliquer la loi SRU, qui stipule que les communes doivent avoir un taux d’au moins 25% de logements sociaux. C’est ce que j’appelle une « loi de stock ». Il faut être très vigilant. Arrêtons de raconter qu’il n’y a pas de terrains. Il suffit de prendre les chiffres de construction de logements de toutes ces villes qui ne respectent pas la loi SRU. Combien avez-vous construit de logements entre 2010 et 2020 ? Quelle est la part de logements sociaux ? Et on verra que c’est dérisoire.

Ensuite, il faudrait que pour tout programme de construction de logement qui compte plus de 12 logements, 30% soient des logements sociaux. Les gens des quartiers populaires n’ont pas envie de vivre entre eux. A Nanterre, on construit une partie de logements sociaux dans tous les immeubles qu’on construit sur la ville. On nous a dit « personne ne va vouloir acheter » et pourtant jamais autant de logements n’ont été vendus à Nanterre et jamais les prix n’y ont été aussi chers, malheureusement… Les gens qui habitent dans ces copropriétés et qui ont de petits revenus, ils sont heureux d’habiter dans les mêmes rues, les mêmes immeubles que les autres, dans des logements qui ont exactement les mêmes caractéristiques. Ils ne souhaitent rester dans l’entre-soi…

On est dans une région d’irresponsabilité totale. Tout le monde pense que, parce que l’on est la région capitale, on sera toujours l’endroit où se fera le développement économique etc., ce qui permet de porter toujours cette idée des villes de l’entre-soi. Quand Bertrand Delanoë arrive, il y a 11% de logements sociaux à Paris, avec des arrondissements à 0%. Après deux mandats et deux mandats d’Anne Hidalgo, soit 24 ans après, il y en a 25%. Dans la même période, à Boulogne Billancourt, plus grande ville de la Métropole après Paris, municipalité de droite, il y en avait exactement le même pourcentage, 24 ans après, on en arrive à 14%…Et ce n’est pas une question de terrains, quand on voit tous ceux qui ont été rendus libres par la désindustrialisation des usines Renault, notamment ! On voit bien que ce sont des choix politiques délibérés et si on n’en sort pas, cette Métropole n’a pas d’avenir. Pour moi, faire Métropole, c’est faire solidaire. C’est commencer à penser les interactions extrêmement fortes entre les différentes parties du territoire. Ça n’est pas la vision de la Métropole du capitalisme financier qui en fait le lieu e concentration des pouvoirs et le lieu dynamique de création de valeur. Il y a deux visions de la Métropole qui s’affrontent : un lieu d’exclusion rejetant les plus pauvres parfois le plus loin possible du cœur de la Métropole, ou la vision, au contraire, d’un ensemble solidaire. Ces éléments minimaux de solidarité, de sentiment qu’on est ensemble, qu’on trouve par exemple à Toulouse, ou même, dans une certaine mesure à Lyon, n’existent absolument pas dans en Ile de France. Et c’est entretenu, cultivé par des acteurs politiques, des élus, des maires.

Cette question des mixités sociales dans les Métropoles est centrale. Si on ne veut pas avancer là-dessus, si on veut rester dans ce modèle dans lequel il y a des rues, des quartiers, des villes entières, qui sont réservées à l’entre-soi, ça a des conséquences sur l’habitat, sur l’école, la santé. Et si on refuse de voir cette réalité-là, comme on refuse de voir le fait générateur des émeutes de juillet, la mort de Nahel, alors on ne fera rien contre l’approfondissement des inégalités et des injustices et il ne faudra pas s’étonner de la répétition de ces événements, à Nanterre ou ailleurs.

Propos recueillis par Mathieu Dargel.