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On ne censure pas un peuple

Marc Rees, Creative Commons Attribution 3.0

Un coup de tonnerre. Ce soir, la décision des si mal nommés « sages » est d’une irresponsabilité achevée. Le conseil constitutionnel valide le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans alors que le véhicule législatif utilisé, le 47-1 et ses avatars, est juridiquement inapproprié. Il censure les mesures qui devaient « compenser » ce recul pour les travailleurs – les minuscules carottes ont disparu, il ne reste que le bâton. Il refuse notre demande de Referendum d’Initiative Partagée. C’est la totale.

Descente aux enfers anti-démocratiques

Pas la peine de tortiller, le choix de cette assemblée sociologiquement marquée est éminemment politique. Alors que le pays est vent debout contre la réforme après 12 journées de grèves et de manifestations, que plus de 7 Français sur 10 y sont opposés et même 90% des actifs, que tous les syndicats ont clamé leur opposition, qu’une majorité fut introuvable à l’Assemblée nationale, ceux qui sont censés préserver le socle juridique de notre République ont donc donné leur imprimatur. Ce qu’ils préservent, c’est le pouvoir d’une poignée contre le peuple.

Cette décision acte un précédent dangereux. Demain, quelles grandes lois structurelles liées à la sécurité sociale suivront le même chemin, en étant soumises au Parlement dans un temps contraint et promulguées par ordonnance contre l’avis de la majorité ? Où s’arrêtera la descente aux enfers anti-démocratiques ? Quels nouveaux textes pourront être promulgués alors qu’ils sont rejetés par le peuple censé être souverain ? En ne donnant pas suite à notre demande de référendum d’initiative partagée, le Conseil constitutionnel a écarté toute possibilité de sortie par le haut. C’est un bras d’honneur qui est fait aux oppositions et aux 7 Français sur 10 qui se disent prêts à signer ce RIP. Le signal envoyé est clair : tout dans notre Constitution pourra être utilisé jusqu’à la corde pour empêcher le peuple d’avoir la main, la justice d’être une réalité.

Nous l’avons dit et je le redis, la légalité n’est pas la légitimité. Les rouages institutionnels qui rendent possibles le recul social et le piétinement de la démocratie sont évidemment en cause. La Ve République est issue d’un coup d’État. Elle a été façonnée pour un général et pour des temps de guerre. Son obsolescence n’est pas nouvelle mais elle est aujourd’hui mise à nue. Car ce que donne à voir cette décision, c’est la déconnexion totale entre la mécanique institutionnelle et la majorité des Français. Un seul homme peut donc décider contre la majorité des Français, des syndicats, de l’Assemble nationale ? Poussée à son terme, ce décalage signe la crise de régime.

L’apaisement, c’est le retrait

« Le texte arrive à la fin de son processus démocratique », a osé commenter Elisabeth Borne dans une ultime provocation orwellienne dont la macronie a le secret. Quelle triste plaisanterie. Il arrive en bout de chaîne institutionnelle en ayant piétiné toutes les étapes d’un examen démocratique. Si Macron et les siens cherchaient réellement l’apaisement, ils opteraient pour le retrait. Je rappelle que l’article 10 de la Constitution permet à Emmanuel Macron de soumettre le texte au vote des députés avant promulgation. Il a encore toute latitude pour reculer. Et nous, avec la Nupes, avons encore la possibilité – et nous allons la saisir ! – de déposer une loi revenant sur le report de l’âge à 64 ans. Nous avons aussi déposé une deuxième demande de RIP et pourrions en présenter encore une autre, puisque nous le pouvons jusqu’à la promulgation de la loi. La lutte doit continuer, jusqu’à la victoire. Et ceux qui imposent cette loi et cet autoritarisme ne pourront jamais être crédibles à dénoncer le recours à la violence puisqu’ils ont barré la route à toutes les voies démocratiques pour que la majorité soit entendue et respectée.

L’issue reste dans la contestation sociale qui doit trouver ses formes, ses répliques, ses manières de poursuivre le combat. L’intersyndicale nous appelle à une grande journée de mobilisation le 1er mai. Mais soyons lucides : elle est aussi, et peut-être surtout désormais, dans la construction d’une perspective politique à même d’assurer la justice sociale et de changer de régime.

Clémentine Autain