Dans l’histoire de Marseille, il y a un avant et un après le 5 novembre 2018. Ce jour-là, à 9h07, deux immeubles du cœur populaire de Marseille, le quartier Noailles, se sont effondrés. Huit habitant.es sont victimes de l’habitat indigne et de l’inaction coupable des pouvoirs publics, en particulier des services de la Ville. La mort de ces cinq hommes et trois femmes, puis les milliers de délogé.es, évacué.es de centaines d’immeubles placés en péril dans l’urgence, mettent en lumière l’étendue du phénomène de l’habitat indigne dans la cité phocéenne. Notamment l’importance d’un parc locatif privé vétuste, rongé par l’insalubrité, livré à la spéculation et aux « marchands de sommeil ». Dans le même temps, le drame souligne l’incurie des responsables politiques, au plan local comme au plan national, face à la question du mal logement.
En 2016, la mairie avait engagé un projet de rénovation du quartier Noailles, à travers ses bras armés : la société publique d’aménagement SOLEAM, responsable du plan d’urbanisme, et Marseille Habitat, société immobilière d’économie mixte et bailleur social de la ville. En janvier 2018, la SOLEAM indiquait que 48 % des immeubles du périmètre de réhabilitation étaient considérés comme du bâti indécent ou dégradé et que seulement 11 % étaient identifiés comme en bon état structurel et d’entretien. Pourtant, malgré l’urgence, tout restait remis à plus tard… Pire, comme l’a montré l’enquête, l’intervention de Marseille Habitat sur l’immeuble du 63 rue d’Aubagne qu’elle avait acquis et vidé, et dont elle avait allégé les structures, porte une responsabilité directe dans les effondrements.
Dans son premier communiqué de presse, le lundi 5 novembre, la municipalité invoque les « fortes pluies » qui se sont abattues sur la ville pour expliquer le drame. L’argument déclenche une colère sans précédent chez les habitants du centre-ville. Trois jours après, jeudi 8 novembre, questionné en conférence de presse sur ses choix et notamment sur les sommes nettement insuffisantes allouées par la municipalité à la lutte contre l’habitat indigne et au logement social, Gaudin déclare : « je ne regrette rien ». Le même jour les premier.es manifestant.es se réunissent devant la mairie de Marseille. Ils scandent “Gaudin assassin ! Gaudin démission !” , slogan qui viendra, dans les semaines et les mois qui suivent, ponctuer des manifestations inédites dans la ville. Parallèlement au mouvement des gilets jaunes qui marque l’actualité à la même époque partout en France, et parfois en convergence avec lui, Marseille devient pendant plusieurs mois le lieu d’un puissant mouvement de colère et de mobilisation pour le droit de vivre dignement dans cette ville. Véritable révolte des habitant.es contre la municipalité Gaudin, ce mouvement donne lieu à une multitude d’initiatives, à la mise sur pied et à l’intervention de nombreux collectifs d’habitant.es, dans une alliance inédite entre populations du centre et des quartiers populaires de la périphérie. Cette dynamique culminera dans la mise sur pied au mois de Juin 2019 des états-généraux de Marseille Vivante et Populaire.
Six ans plus tard, Marseille commémore cette tragédie et ces mobilisations importantes, qui ont marqué profondément la mémoire des luttes locales. Jeudi 7 novembre à la caserne du Muy, dans la salle d’audience dédiée aux affaires hors-norme, le procès des effondrements de la rue d’Aubagne s’est ouvert. Ce procès public, « hors norme » précisément, est là pour apporter des réponses aux questions des familles des victimes et de plus de 80 parties civiles. Seize personnalités physiques et morales sont poursuivies, parmi lesquelles Julien Ruas, ex-adjoint de J-C. Gaudin, des propriétaires privés, dont un élu régional LR, Xavier Cachard, l’agence Marseille Habitat, et l’expert judiciaire Richard Carta.
C’est dans ce contexte que le Collectif du 5 novembre (C5N), cheville ouvrière de la solidarité et des mobilisations – des premières manifestations de novembre 2018 à l’organisation des délogé.es et à la mise sur pied de la charte du relogement, acquis important des luttes locales – a organisé les 2 et 3 novembre un week-end national de lutte contre le mal logement et une marche commémorative pour la justice et le logement digne (Cf ici le rappel du programme : https://collectif5novembre.org/doctobre-a-decembre-2024-lagenda/).
54 organisations marseillaises se sont mobilisées à son initiative et sous son impulsion pour prolonger l’élan de révolte et l’exigence de dignité et de justice qui se sont manifestés en 2018/2019. Le succès de cette initiative doit beaucoup à la nature du C5N, à son originalité comme collectif de militant.es associatifs.ives, de militant.es du droit au logement et des droits humains et d’habitant.es du quartier, dont de nombreu.ses délogé.es et des proches des victimes. Il doit aussi beaucoup à la qualité de ses animateurices issu.es du mouvement social local, qui ont su faire vivre la mémoire des luttes de 2018/19, pour les prolonger et les faire vivre aujourd’hui, et leur donner un avenir. La GES 13 salue fraternellement et sororalement leur engagement.
Pour la GES 13, Emmanuel Arvois