Avançant sa candidature à la présidentielle, Emmanuel Macron a choisi la brutalité. Avec un terme de langage particulièrement familier, “emmerder”, le Président espère peut-être se rapprocher d’un peuple qu’il se représente comme vulgaire. Ce qui est sûr, c’est qu’il creuse le sillon de son mépris chaque jour plus décomplexé vis-à-vis des catégories populaires. D’une certaine manière, Macron a tombé le masque.
Les mots d’une vision du monde
S’il a franchi un nouveau cap, ce n’est pas la première fois qu’il insulte et bannit. Dès 2014, on se souvient que, ministre de l’économie, Macron avait déclaré au sujet d’ouvrières travaillant dans des abattoirs bretons en liquidation: “Il y a dans cette société une majorité de femmes et il y en a qui sont pour beaucoup illettrées”. Deux ans plus tard à Lunel, alors qu’il était pris à partie par des grévistes critiquant le recours au 49.3 pour la loi travail, il ironisait: “La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler”.
À peine devenu Président de la République, il opposait, dans l’un de ses discours en juillet, “ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien”. L’année suivante, depuis le Danemark, il affirmait que les Français sont des “Gaulois réfractaires au changement”. En 2018 encore, il répliquait à un jeune chômeur: “Je traverse la rue et je vous trouve un travail”. Mis bout à bout, ces prétendues sorties de route finissent par révéler le fond de sa pensée. Macron n’a pas simplement distillé quelques “petites phrases” malheureuses: ces expressions répétées humiliant des ouvriers, des chômeurs, des démunis, constituent le fil conducteur de sa vision du monde.
Son arrogance de classe se donne à voir de façon décomplexée. Macron porte la suffisance d’une haute bourgeoisie sûre d’elle-même. Il méprise les 14% de Français qui font leur course à un euro près, les millions de chômeurs longue durée, d’abord des femmes, qui basculent dans la pauvreté, les ouvriers et les employés aux métiers pénibles qui vivent avec un salaire de misère. Dans le monde de Macron, ce ne sont pas des victimes d’un système social et économique injuste, ce sont des “loosers”. Il ne reconnait ni la dureté d’une société fondée sur la concurrence généralisée, ni les mécanismes de la reproduction sociale.Si les chômeurs sont chômeurs, si les pauvres sont pauvres, c’est leur faute. Aussi Macron souhaite-t-il les culpabiliser et leur compliquer la vie.
Un contre-feu pour évacuer ses responsabilités
Maintenant, Macron veut “emmerder” une partie des Français, les non-vaccinés. Qu’importe que 40% d’entre eux rencontrent des difficultés d’accès au vaccin. Qu’importe que le problème soit mondial et que la non-levée des brevets empêche les pays pauvres d’avoir accès au vaccin, source majeure de nos difficultés à enrayer la pandémie. Le Président sortant ne cherche pas à protéger tous les Français et à fédérer pour nous sortir des crises terribles que nous traversons. Après la déchéance de nationalité proposée par François Hollande, Macron invente la déchéance de citoyenneté en voulant bannir les non-vaccinés. Rompant avec le sens de sa fonction, il n’est pas le Président de tous les Français. Il semble oublier ou méconnaître qu’être citoyen, c’est jouir de droits avant même d’avoir des devoirs.
En prenant les non-vaccinés comme bouc-émissaires et en créant une polémique masquant le débat de fond sur les solutions face au Covid, Macron crée un subterfuge. Pendant que nous commentons sa volonté “d’emmerder”, nous n’interrogeons pas sa politique sanitaire. Depuis le début, c’est pourtant un fiasco. La macronie a été et reste incapable d’organiser et d’anticiper la réplique. Non seulement depuis le début de son mandat, Macron aura supprimer plus de 17.000 lits d’hôpitaux mais il a continué à “restructurer” les établissements en fermant même plus de 500 lits dans les services de réanimation depuis mars 2020 !
À cette irresponsabilité majeure s’ajoute l’incapacité à produire et distribuer gratuitement des masques FFP2, dont nous avons notamment besoin dans les écoles. La pénurie de tests et leur non-gratuité pour tous est également le signe d’un État défaillant. Lors du débat à l’Assemblée nationale sur le pass vaccinal, les députés LREM ont également voté en masse contre un amendement visant à généraliser l’installation de purificateurs d’air, en particulier dans les établissements scolaires !
Si le vaccin est essentiel pour lutter contre le virus, nous savons désormais qu’il n’est pas suffisant puisque nous pouvons contracter la maladie en étant vacciné. C’est pourquoi un ensemble de mesures est nécessaire afin de nous prémunir de la pandémie. Pour contourner ses responsabilités, Macron a choisi un contre-feu, l’insulte à l’égard d’une partie de nos concitoyens. C’est le comble de l’indignité.
Ni pragmatique, ni moderne
Au lieu de soutenir les personnels en première ligne, le Président et les membres du gouvernement traitent avec le plus grand dédain celles et ceux qui font vivre nos systèmes de soins et éducatifs. C’est dans la presse qu’ils et elles découvriront les nouvelles règles imposées par l’exécutif. Le gouvernement navigue à vue et sème la pagaille sur le terrain, laissant nos hôpitaux à bout de souffle, la communauté éducative au bout du rouleau et la masse des Français se trouve épuisée par deux années bientôt d’angoisse et de privations. Alors que Macron prétend agir avec pragmatisme, c’est en réalité un grand cafouillage qu’il génère. Il ne rassure pas, il inquiète. Il ne rassemble pas, il divise. Il n’agit pas, il laisse faire.
J’espère que chacune, chacun mesure la cohérence entre les paroles et les actes. Le mépris affiché au détour d’une phrase se traduit très concrètement dans des choix politiques. Depuis le début du mandat de Macron, nous avons subi une inflation de mesures qui rendent la vie plus difficile à la majorité des Français. Avec la baisse des APL, la suppression de l’ISF ou la casse du code du travail, les plus riches sont les grands gagnants du quinquennat. Car contrairement à l’image qu’il cherche à incarner, celle d’un homme moderne, Macron nous vend une vieille soupière. En avatar de tout ce qu’il ne faut plus faire, il copie les recettes de Margaret Thatcher. Il n’a pas seulement repris, fut-ce dans un tout autre sens, un mot de Pompidou qui voulait que l’on cesse “d’emmerder” les Français, il prolonge ses partis pris économiques néolibéraux et productivistes. En attendant le ruissellement, comme on attend Godot.
Avec un mode de pensée lié à son passé de banquier dans la finance, le Président Macron incarne l’économie d’avant. Le candidat Macron pour 2022 s’entête. Car il faut lire tout l’entretien donné au journal Le Parisien, sans s’arrêter à quelques phrases abondamment commentées. Par exemple, il assure qu’il n’augmentera pas les impôts. Traduisons-le: les hyper-riches ne contribueront pas davantage à résorber les injustices et à affronter la crise sanitaire.
De la même manière, Macron reste englué dans un logiciel particulièrement obsolète en promettant de “produire” et “exporter” toujours plus. Comme si l’épuisement de nos ressources et de nos désirs n’appelaient pas à réorienter en profondeur le sens de la production et à relocaliser l’économie. Comme si le lien entre le plus et le mieux ne devait pas être rompu. Comme si le réchauffement climatique et le creusement des inégalités n’appelaient pas à refonder sur des nouvelles bases notre économie. Comme s’il n’y avait pas urgence à en finir avec le grand déménagement du monde.
Derrière le mépris affiché des catégories populaires, Macron avance son projet politique au service d’une minorité de la population, la plus favorisée. De la devise républicaine Liberté/Égalité/Fraternité, il fait des confettis. À nous de relever les manches pour lui opposer une vision solidaire et écologiste, authentiquement moderne et démocratique, de l’avenir de la France.
Clémentine Autain. Tribune publiée sur le Huffington Post.