Il ne devait pas y avoir de Loi Blanquer, puis quelques mesures sans importance. Finalement, les cavaliers législatifs s’enchaînent et donnent à la Loi de l’école de la confiance étudiée actuellement à l’Assemblée nationale une grande cohérence. Ses dispositions entraîneront de profondes transformations du système éducatif. Malgré le quasi-consensus qu’il suscite chez les organisations syndicales, lycéennes, étudiantes et de parents, Jean-Michel Blanquer avance à marche forcée.
Pourquoi une loi ?
Rappelons que Jean-Michel Blanquer a été deux fois recteur et numéro deux de la rue de Grenelle sous Nicolas Sarkozy. Ainsi, il veille à mettre en œuvre un projet auquel il travaille depuis des années :
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Attaque de la liberté d’expression
Pour mettre efficacement en œuvre des mesures largement contestées, le gouvernement choisit de bâillonner toute velléité de résistance. Les images des lycéen-nes de Mantes-la-Jolie maintenu-es agenouillé-es au sol par les policiers ont montré comment ce gouvernement prenait en compte les désaccords des jeunes. Comment un gouvernement qui tire à bout portant sur les manifestants traite-t-il ses fonctionnaires ? Il leur dit : « Sois fonctionnaire et tais-toi ! » C’est toute l’hypocrisie de cette loi de la « confiance » dont le premier article vise à imposer le devoir de réserve aux personnels, remettant en cause leur liberté d’expression. Museler toute possibilité de critiquer l’institution, c’est contraire à la conception du fonctionnaire citoyen qui prévalait jusqu’à présent. Ce tour de vis autoritaire se déroule dans un contexte de renforcement des pressions hiérarchiques, le néo-management public colportant toutes ses funestes méthodes de presse-citron.
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L’école de la Réaction…
La majorité a adopté l’amendement d’Eric Ciotti imposant d’accrocher un drapeau bleu-blanc-rouge, l’hymne national et une carte de France dans chaque salle de classe. De quoi chanter un peu plus le roman national. Par ailleurs, les nouveaux programmes scolaires de lycée ont eux aussi été ficelés à la va-vite et imposés malgré les critiques des associations de spécialistes qui étaient nombreuses à en dénoncer l’instrumentalisation.
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… qui favoriserait l’école privée ?
Cette loi entérine l’abaissement de l’âge de scolarisation obligatoire à 3 ans. Étant donné que 98,9% des enfants de 3 à 5 ans sont déjà scolarisés, cette mesure passe surtout pour un nouveau cadeau de financement aux écoles privées. En effet, leur financement par les communes devient obligatoire et elle doivent bénéficier des mêmes avantages que les maternelles du public. Par ailleurs, la loi n’impose pas aux maires la scolarisation des élèves étrangers et ne garantit donc pas la scolarité pour des enfants déjà exclus de l’école…
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Affaiblissement du service public…
La loi devrait permettre de procéder à la fusion des académies par ordonnance, afin de faire coïncider le nombre de rectorats au nombre des nouvelles régions administratives. Jean-Michel Blanquer a annoncé le 31 janvier qu’il renonçait à fusionner les académies, mais il donnera malgré tout davantage de pouvoirs aux recteurs académiques, eux qui chapeautent les différentes académies d’une région. Et la fusion sera effective pour les académies de Caen et de Rouen. Ces restructurations seront un moyen de remplir les objectifs du ministre de supprimer 400 postes administratifs l’an prochain.
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… en contournant le statut de fonctionnaire
Ce sont également 2 650 postes de professeur-es qui doivent être supprimés dans le 2nd degré l’an prochain. Pour cela, le ministre aura davantage recours au recrutement de contractuel-les et ouvrira la possibilité aux chefs d’établissements d’imposer jusqu’à deux heures supplémentaires aux enseignant-es. De plus, la loi Blanquer favorise les expérimentations servant à déréguler les conditions de travail des agents, notamment en annualisant leur temps de travail. Autre disposition de la loi, la création de pôles inclusifs d’accompagnement localisé qui seront un nouveau moyen de mutualisation des personnels AESH qui accompagnent les élèves en situation de handicap.
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L’école du tri social…
Sans aucune concertation, la loi crée les écoles du socle chères à Jean-Michel Blanquer : les « établissements publics des savoirs fondamentaux ». Ces établissements sont des regroupements administratifs d’écoles et de collèges, une aubaine pour mutualiser les services des enseignant-es du 1er et du 2nd degré. Et surtout pour mettre en place le projet d’école à deux vitesses : bac -3 et les fondamentaux pour les élèves des milieux sociaux défavorisés / bac +3 et poursuites d’études pour les plus chanceux-ses.
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… à l’image de la réforme du lycée
Les professeur-es de lycée sont mobilisé-es actuellement car la préparation de la prochaine rentrée dans le cadre de la réforme s’accompagne de nombreuses suppressions de postes. En effet, les dédoublements de certains cours ne sont plus prévus dans les nouvelles grilles horaires. Les lycées professionnels, déjà parents pauvres de l’éducation, payent le plus lourd tribut. Parcoursup a restreint l’accès des élèves aux filières universitaires en fonction de leur parcours scolaire. La réforme impose aux élèves de choisir des spécialités qui conditionneront leur orientation dans le supérieur sans en connaître ses critères de sélection. Il avantagera les familles qui connaissent les codes du système et savent se diriger dans le labyrinthe qui leur permettra de valider le bon CV ouvrant les portes des filières universitaires. Le nouveau diplôme du bac, qui multiplie les évaluations en cours d’année, n’aura plus de national que le nom. Chaque élève construira son CV sur la réputation de son lycée, de sa ville, de sa région.
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Revoir la formation des enseignant-es pour mieux les mettre au pas
Utiliser les étudiant-es comme main d’œuvre est un autre moyen de supprimer des postes. Ainsi, les Assistants d’éducation (les surveillants) pourront assurer des missions de remplacement d’enseignant à partir de leur première année de Master. Les nouveaux instituts de formation des professeur-es seront très orientés vers la transmission des pratiques professionnelles réputées efficaces, laissant peu de place à la réflexion théorique. Le néo-management vise à faire des personnels des exécutant-es ne remettant pas en cause les consignes. Dans ce cadre, plus besoin d’organes de représentation démocratique non plus : les directeurs des instituts seront nommés par une commission à la botte du recteur.
Toutes ces mesures préparent déjà le terrain à la réforme de la Fonction publique qui a été présentée par Olivier Dussopt le 13 février. Elle prévoit de nouvelles sanctions contre les fonctionnaires, la rémunération au mérite, le développement du recrutement par contrat, la fusion des CT et des CHSCT, l’affaiblissement des instances paritaires (CAP) qui ne serait plus que des instances d’appel pour les cas les plus litigieux. En bref, le règne de l’arbitraire dans la gestion des personnels et une épée de Damoclès au dessus de la Fonction publique.
Cette ambiance suffocante a fait réagir la communauté éducative. Les parents d’élèves, les lycéen-nes et les personnels se mobilisent dans de nombreux établissements. Les dernières journées nationales d’action n’ont pas entraîné de déferlement à même d’imposer ce débat médiatique. Mais les grèves, les occupations de lycées, les démissions collectives de missions comme celle de professeur principal, les pétitions, se répandent comme des traînées de poudre sur le territoire, construisant un mouvement en vue de faire échouer les sinistres projets du gouvernement.
Marion Nentreg