« L’enterrement » par le gouvernement d’un rapport de l’Inspection Générale des Finances sur les péages autoroutiers et les surprofits dont bénéficient les grands groupes a été récemment révélé par le Canard Enchaîné. Cela a rappelé qu’entre 2002 et 2005, le gouvernement Balladur a procédé à l’un des plus invraisemblables appauvrissements de l’Etat français. Cette affaire est une illustration de l’autodépouillement spectaculaire, et pour le moins scandaleux, de la puissance publique au profit des intérêts capitalistes, particulièrement la finance.
Le schéma en a été la vente au secteur privé des sociétés ayant les contrats de concession pour l’exploitation des portions du réseau autoroutier français (environ 8.770 km). Avec ce modèle, il existe pour chaque concession une date limite donc de l’exploitation par le privé du réseau autoroutier français. Cette date constitue un enjeu essentiel pour les grands groupes de BTP qui ont obtenu ces concessions, nous y reviendrons. Les concessionnaires « portent » le risque client dans la mesure où un forfait n’est pas prévu et que la rémunération dépend du trafic, toutefois ce risque est quasi inexistant sauf cas exceptionnel… tel que la pandémie du Covid-19 et le gel partiel de la circulation en 2020. Les concessionnaires doivent également assurer un certain nombre de travaux de maintenance et d’amélioration (qui ne peuvent pas être confiées pour plus de moitié aux autres filiales du groupe détenant la concession).
4 sociétés d’autoroutes disposant d’un réseau supérieur à 1.000 kilomètres représentent 80% de l’ensemble du réseau français. Il s’agit Autoroutes du sud de la France ASF (y compris Escota, Autoroutes Esterel-Côte d’Azur) et Cofiroutes, toutes deux filiales de Vinci, APRR, filiale d’Eiffage et Sanef, filiale d’Abertis (elle-même détenue par deux géants européens Atlantia détenue par la famille Benetton, Italie et ACS, Espagne).
En cumulé, ces 4 sociétés représentent un chiffre d’affaires (hors travaux) de 9,7 milliards d’€, un résultat net de 3,6 milliards d’€ (soit un taux de résultat net colossal de près de 35%, en d’autres termes c’est extrêmement rentable) pour le seul exercice 2021 et 4,1 milliards d’€ de dividendes distribués à leur actionnaires respectifs pour ce seul exercice.
En 2022, Vinci Autoroutes a généré 3,1 milliards d’euros de résultat opérationnel sur les 6,8 du groupe.
Notons que l’actuelle première ministre, E.Borne connaît bien ce dossier puisqu’elle a été directrice des concessions au sein du groupe Eiffage de 2007 à 2008, peu de temps après la privatisation de la concession d’APRR.
Ces chiffres impressionnants ne résument pourtant pas à quel point les bonnes fées de la politique bourgeoise (de droite ou se prétendant de « gauche ») se sont penchées sur les berceaux des concessions autoroutières.
Les concessions autoroutières bénéficient d’un mode de calcul des péages particulièrement avantageux et, en complément, de plans d’investissements publics. Ainsi, les tarifs des péages autoroutiers sont revus chaque année au mois de février en fonction d’une formule automatique liée au taux d’inflation dont les effets sont mécaniques. Le gel des tarifs annoncé à grands bruits par Ségolène Royal en 2015… n’a eu, en réalité, puisque par accord avec l’Etat, ce gel a été compensé par des hausses plus importantes que celles prévues dans la formule les exercices suivants.
En outre, ces concessions sont tellement rentables que les grands groupes de BTP cherchent à repousser la date de leur fin tout en restant dans les clous des principes de la concurrence de l’Union Européenne. L’impécuniosité organisée de l’Etat et des collectivités territoriales a servi de levier pour cela : un « plan de relance autoroutier » est signé par l’État français et les sociétés concessionnaires. Les sociétés concessionnaires s’engagent à réaliser de 3,2 milliards d’euros de travaux sur les autoroutes (pour moitié maximum par leurs propres filiales) en échange d’une extension de la durée des concessions entre 2 et 4 ans environ selon les cas… Or, c’est à peu près ce que génère à l’époque une seule année d’exploitation des 4 principaux réseaux autoroutiers en France. L’opération est tout à fait rentable. Mais cela ne s’arrête pas là puisqu’en 2018, l’Etat procède à un nouveau Plan de Relance Autoroutier (initié sous le mandat de F.Hollande) plus modeste de « seulement » 700 millions d’euros à investir par les concessionnaires en échange, cette fois, non d’un allongement des concessions mais d’une hausse des tarifs oscillant entre 0,1% et 0,4% selon les réseaux. Prochainement, l’hypothèse de l’ouverture du réseau routier des nationales à la concessions procède de la logique de l’extension des concessions autoroutières : l’enjeu n’est pas la mise en place de péages sur les routes nationales mais bien qu’en contrepartie d’investissements sur les routes nationales (de plus en plus difficiles à assumer par les collectivités territoriales qui doivent subir une politique d’austérité) les concessions autoroutières se prolongent.
En d’autres termes, le cercle vicieux est « parfait » : les néo-libéraux organise l’incapacité financière de l’Etat en réduisant le plus qu’ils peuvent la taxation du capital qu’ils abreuvent par ailleurs de fonds public, le pouvoir public se décrète dans l’impossibilité de financer des projets d’investissements (où même de définir une politique d’investissements qui fasse sens écologiquement) et s’en remet à un secteur privé qui est capable de financer ces investissements en échange de la captation de profits faramineux. En termes économiques et écologique, il est grand temps de reprendre le contrôle sur une politique de transport abordée de manière globale.
Nicolas Antejor