Avec la nomination du pro-macroniste Bertrand Delais à la tête de LCP, le président de la République est-il en train de réinventer un ministère de l’Information ?
La macronie aurait-elle commencé à célébrer, de façon funèbre, le cinquantenaire de Mai 68 ? Le Président laisse en tout cas se dégager un parfum d’ORTF. La décision de nommer Bertrand Delais à la tête de LCP, La chaîne parlementaire, sonne comme une provocation, une marque de profond mépris pour l’indépendance des médias publics comme pour le pluralisme. Bertrand Delais n’a pas seulement des accointances avec la sensibilité politique de LREM : son profil est clairement militant. Avec deux documentaires sur Macron en poche, il affiche un compte Twitter ouvertement favorable au Président et hostile à toutes les oppositions.
Le président de l’Assemblée, François de Rugy, peut se cacher derrière une procédure : c’est bien un choix politique qui a été fait, celui d’une mise au pas, de l’allégeance requise. Imaginez les cris d’orfraie qui auraient été poussés si LFI, majoritaire dans le pays, avait nommé Gilles Perret, réalisateur du film l’Insoumis à la tête de LCP !
Aujourd’hui, c’est bien l’ère Macron qui porte des coups saignants contre le pluralisme des médias et la démocratie. La promenade élyséenne du Président sur France 2, avec les questions les plus courtisanes de l’histoire du journalisme français posées par Laurent Delahousse, a imprimé sa marque. Macron réinvente le ministère de l’Information et pourquoi pas celui des bonnes nouvelles. Il souhaite au fond que l’Etat décide de ce qui est ou non une vérité. Avec son combat contre les «fausses nouvelles», Macron vise les contre-pouvoirs et l’horizontalité des réseaux sociaux. Et quand il reproche sa question à une journaliste lors d’une conférence de presse en Inde, son dédain pour la liberté des médias est officiel.
Le secret des sources menacé
Au mépris de nos principes constitutionnels, le président de la République entend limiter tous les espaces de contestation et de vitalité démocratique, et bien sûr parmi les médias. Il insulte le service public audiovisuel. Il laisse s’enfoncer le système de distribution de la presse. Il reste silencieux après la décision américaine qui remet en cause la neutralité du Net. Il menace le secret des sources dans le domaine économique et fait nommer ses affidés aux postes clés de la télévision.
Face à cette attaque contre ce qui devrait constituer un pilier de la démocratie, nous devons affirmer le besoin d’une pluralité de médias, dont la liberté est une condition sine qua non de la démocratie. Le combat pour l’émancipation suppose l’existence, le déploiement d’un journalisme de qualité, divers et indépendant. Aujourd’hui, la défiance à l’égard des médias se nourrit de l’homogénéité idéologique étouffante qui s’enracine dans le souvenir de l’unanimisme de traitement lors du débat sur le traité constitutionnel en 2005. L’union des «partis de gouvernement» et des médias dominants contre la majorité du peuple a marqué les esprits. Le «cercle de la raison» faisait la leçon au «peuple ignorant», ce qui laisse un goût amer et injuste.
Cette campagne sans retenue et sans nuance a décrédibilisé aux yeux du grand nombre une profession et un secteur. La démocratie a été touchée au cœur et un rejet immense s’en est suivi. Cet évènement pour notre pays n’est pas resté sans effet sur les journalistes et les médias : des journalistes se sont dotés de société de rédacteurs pour peser dans leurs rédactions, des décodeurs se sont développés, de nouvelles émissions donnant davantage la parole aux citoyens sont apparues, des groupements de journaux ont révélé l’ampleur de faits délétères comme l’évasion fiscale… Ces efforts, qui sont ceux des journalistes et de la société, constituent autant de brèches dans une production qui a besoin d’air, de renouveau, de soutien public.
Nous sommes pour autant bien loin du compte : les grands médias, qui pèsent lourd dans le débat public, diffusent un parfum d’ambiance au service de la pensée et des intérêts dominants. Une révolution industrielle s’est opérée : le passage rapide de la presse papier au numérique, l’éclosion de sites internet qui diversifient les contenus, l’émergence et l’influence de réseaux sociaux qui démultiplient et font caisse de résonance, l’apparition des youtubers qui prennent la parole auprès de milliers, de centaines de milliers de followers, l’influence des chaînes d’info en continu qui impriment un nouveau rythme (infernal !)… L’écosystème des médias s’est métamorphosé en une décennie. Les citoyens ont démultiplié leurs canaux d’information et d’expression.
Précarisation des journalistes
Or, la concentration des médias, la précarisation des journalistes, le coût de cette information massive et gratuite n’ont pas fait l’objet de débats, de propositions et de mobilisations au niveau des enjeux. On a laissé remettre en cause les lois anticoncentration dans la presse, admis que des industriels achètent des titres pour parfaire leur influence et alimenter leurs affaires. La télévision publique a été anémiée par la baisse des ressources. L’aide à la presse, sa diffusion n’ont pas été repensées dans ses fondements depuis la Libération.
Aujourd’hui, les journaux doivent produire des sites coûteux, visités gratuitement sans ressources publiques leur assurant un minimum de pérennité et d’indépendance… Il faut remettre à plat la politique publique pour assurer la vitalité, le haut niveau d’information et l’indépendance des médias, défendre la neutralité du Net et les lanceurs d’alerte, permettre le développement du service public de l’audiovisuel.
L’extrême diversité des émetteurs, des médias, est une chance, un bien précieux face aux tentations autoritaires de notre temps. Pour que la production d’information soit de qualité et diverse, la mainmise des milliardaires et du pouvoir en place doit impérativement cesser. A nous de porter cette exigence haut et fort.
— Publié dans Libération le