La prise de fonction de la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques (sic) fut originale : une vraie sortie de piste ! En 24h, Amélie Oudéa-Castéra a réussi à broyer la promesse républicaine d’égalité et à mettre en lumière l’argent-roi, l’entre-soi de la grande bourgeoisie, le séparatisme social qui font le sel de la macronie.
Dès sa première expression publique, la ministre s’est vautrée dans le mensonge et a insulté les enseignants. Un record pour cette ancienne sportive de haut niveau ! L’affaire a fait le tour des réseaux : questionnée sur la scolarisation de son enfant dans l’enseignement privé, elle a répondu que son choix aurait été contraint par le manque de moyens dans l’enseignement public, à ces « paquets d’heures non remplacées » dans l’école Littré du très chic 6ème arrondissement. Sans doute ne sait-elle pas que les écoles parisiennes sont parmi les mieux dotées de France ? Car si de nombreux parents, partout en France, sont confrontés à cette douloureuse réalité des difficultés de remplacement, Libération a tôt fait de démontrer à quel point ce récit était inventé de toutes pièces concernant cette école [1].
Mépris de l’esprit public
Des enfants de Jean-Pierre Chevènement scolarisés à l’école Alsacienne, comme ceux de Pap Ndiaye, à l’un des fils de Jean-Michel Blanquer qui a alterné entre le public et le privé, ce n’est malheureusement pas la première ministre de l’Éducation nationale à avoir fait le choix de l’enseignement privé. Mais ici, le mépris pour les fonctionnaires et le service public de l’enseignement, comme le choix délibéré d’un établissement particulièrement symbolique du microcosme de la haute société et très éloigné des valeurs de notre République, est de haut vol [2].
Pour la ministre, il serait donc légitime, dès lors que l’on dispose de moyens suffisants, de choisir l’établissement de ses enfants au mépris de la carte scolaire, du principe d’égalité et de la mixité sociale à l’école. L’enseignement privé (comme les multinationales du CAC 40 !) est largement financé par l’argent public : 77% de leurs fonds proviennent de l’État. Cette année encore, la macronie a jugé bon d’octroyer aux écoles privées plus de 9 milliards d’euros, soit une augmentation de 6% du budget alloué à l’enseignement privé. Autant d’argent qui n’ira pas dans le système éducatif public, déjà contraint de jongler avec des économies de bout de chandelle.
En attendant, Amélie Oudéa-Castéra relaie sans fard une idée-reçue sur les enseignants qui seraient plus « absentéistes » que les autres professions. La réalité, c’est que leur taux d’absentéisme est de 2,6% des effectifs par semaine, total inférieur au reste de la fonction publique (3,2%), et bien loin du taux en cours dans le privé (3,9%). Les heures non remplacées sont avant tout dues aux suppressions de postes, près de 9000 depuis 2017, et aux difficultés de recrutement. De la même manière, le procès en fainéantise des profs devrait être combattu : il est injuste de vouloir leur imposer un certain taux de présence par semaine obligatoire dans leurs établissements alors qu’ils travaillent en moyenne 40 heures par semaine, ce qui correspond à la moyenne de l’OCDE.
L’éducation ouverte aux lois du marché
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Nous y sommes avec l’éducation nationale. Les propos d’Amélie Oudéa Castéra ne font que sortir la macronie d’une certaine hypocrisie. La logique du projet présidentiel, c’est d’ouvrir l’éducation aux lois du marché qui ont cours ailleurs, et donc de détruire cette institution socle de notre République. La conviction selon laquelle « le privé fait mieux » et « la concurrence, c’est la performance » doit se traduire dans tous les domaines. Cela revient donc, comme les néolibéraux l’ont fait à de multiples reprises avec d’autres services publics, à délégitimer au maximum l’enseignement public et à décrédibiliser ses résultats aux yeux des citoyens.
La réduction de la dépense publique, comprenant le gel du point d’indice des fonctionnaires, et l’importation des normes du privé, avec le reporting ou les jobs dating pour recruter des profs, produisent ainsi leurs effets. Contrainte à toujours plus de missions bureaucratiques et à des conditions de travail détériorées, la communauté éducative est en état de burn out.
L’enseignement était une profession attractive, garantissant un certain niveau de vie et de revenu. Mais la rémunération des enseignants a baissé drastiquement : 2,1 Smic il y a 30 ans contre 1,2 Smic aujourd’hui ! Les concours de l’enseignement secondaire ne font plus le plein dans de nombreuses disciplines, car de moins en moins de personnes sont prêtes à exercer ce métier dans un contexte aussi dégradé. Cette situation ouvre évidemment la voie au recours élargi à des contractuels peu ou pas formés pour assurer des heures d’enseignement non pourvues, donc à une baisse qualitative des enseignements dispensés… Et donc à l’incitation, pour ceux qui en ont les moyens, à des offres de soutien scolaires complémentaires, à des classes d’été, des stages de remise à niveau… Bref, une aubaine pour les acteurs privés de l’enseignement et un contrat rempli pour la macronie dans sa vaste entreprise de déstabilisation de ce qui fait le coeur de notre République.
Les JO plutôt que l’éducation nationale
En même temps que le service public de l’enseignement dépérit, le choix de soutenir activement les écoles privées est assumé. Or celles-ci n’accueillent pas tous les élèves mais les plus favorisés. Le privé se porte d’autant mieux qu’il est sous perfusion de l’État. Résultat : le séparatisme scolaire est en marche. N’oublions pas que la mise en place de Parcoursup en 2018 a contribué à éloigner une génération entière de jeunes de l’enseignement supérieur, et à ouvrir le marché des classes préparatoires privées.
C’est donc toute la logique de privatisation du secteur de l’éducation qui doit être combattue, en réinvestissant massivement dans l’enseignement public afin de réorganiser et de densifier le réseau scolaire, en cessant de financer massivement l’enseignement privé. Je veux redire ici tout mon soutien à une profession qui mérite bien mieux que ça.
L’annonce de l’« unification » dans un ministère unique, et sans ministre délégué, des sports et de l’éducation nationale donnait d’emblée le ton. Alors que cet été auront lieu les Jeux Olympiques, grand-messe annoncée de la « Marque France », comment imaginer une quelconque ambition pour l’enseignement public ?
Clémentine Autain
[1] Dans Libération : « La défense d’Amélie Oudéa-Castera sur la scolarisation de ses enfants fragilisée par l’ancienne institutrice de son fils »
[2] L’univers sexiste, homophobe et autoritaire de Stanislas, le « meilleur » lycée de France | Mediapart Le collège Stanislas a d’ailleurs fait l’objet d’une enquête administrative dont Gabriel Attal possède les conclusions mais qu’il se refuse à rendre publiques.