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Le mirage Taubira

L’ancienne garde des sceaux est entrée dans l’arène Présidentielle depuis plus d’un mois sans retour critique sur le bilan du quinquennat Hollande. Son programme n’est pas la hauteur des enjeux politiques, économiques, sociaux et écologiques de l’heure.

Chacun garde en mémoire très positivement la ténacité et la qualité intellectuelle de l’ancienne garde des sceaux de François Hollande, en particulier lorsqu’elle tenait tête aux partisans d’un ordre moral désuet, lors du débat autour de la grande Loi pour le mariage pour tous. Cette réforme historique est aussi la seule note positive du mandat de François Hollande. Mais ça ne suffit pas pour définir une véritable politique de gauche.

Christiane Taubira est entrée dans le jeu électoral de la Présidentielle depuis un mois et elle a eu l’occasion de s’exprimer longuement à plusieurs reprises, lors de son allocution d’annonce de candidature à la Croix-Rousse, lors de ses passages médias notamment face à Delahousse sur le JT de France 2 ou encore lors de son entretien avec Léa Salamé et Nicolas Demorand sur France Inter.

Pas de retour critique sur le quinquennat Hollande

Il serait incongru d’exiger d’elle de remonter à l’époque où elle glissait ses pas dans ceux de Bernard Tapie ou lorsqu’elle votait la confiance à Balladur, mais tout de même à celle, plus récente, ou elle fut la Garde des Sceaux du gouvernement Hollande. Un gouvernement auquel elle a participé jusqu’en 2016, en partie auprès de Macron et Valls, sans jamais faire entendre publiquement sa voix pour critiquer les renoncements, les funestes CICE ou la Loi Travail de Myriam El Khomri, que des millions de salarié.es ont tenté de bloquer en manifestant ou par la grève. Elle ne s’est démarquée qu’au seuil de l’indignité lorsqu’est venue la proposition de Hollande de déchéance de la nationalité. Ce gouvernement a sali la gauche et est en grande partie responsable de l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui et Christiane Taubira n’en dit mot.

On ne l’a pas non plus beaucoup vu plus récemment encore s’opposer aux politiques anti-sociales et liberticides menées par Macron. Où était-elle quand des millions de salarié.es défilaient contre la réforme des retraites d’Edouard Philippe, ou celles de Blanquer sur l’école ? Où était-elle quand des millions de gilets jaunes bloquaient les ronds-points pour exiger une vie digne et une démocratie ressourcée ? Où était l’ancienne Garde des sceaux quand la justice condamnait à tour de bras – le plus souvent sans preuve – des manifestants tout en laissant faire les violences policières ?

Un programme homéopathique

Alors oui, la prescription est possible en politique. Mais le minimum, ce serait qu’elle s’accompagne d’un brin de retour critique ! Et de la promesse d’un changement. Sur ce point aussi, le flou est au rendez-vous. Christiane Taubira fait des phrases, parfois belles, mais souvent creuses.

Lors de ses récentes interventions, elle a certes laissé entendre qu’elle était favorable au blocage des prix des denrées de première nécessité. Elle a parlé de revalorisation du SMIC, d’une allocation pour les jeunes. Et c’est à peu près tout.

Sur le nucléaire, elle a indiqué qu’elle était favorable à en sortir progressivement mais aussitôt pour rajouter qu’il fallait y surseoir le temps que se déploient les énergies renouvelables, car c’était un pis-aller dans la mesure où l’énergie nucléaire est décarbonnée (sic). Elle a indiqué que le temps venu, il faudrait organiser un référendum pour demander aux Français s’ils veulent tourner cette page.

Sur la question centrale des retraites, elle dit qu’il faut prendre en compte la pénibilité et les carrières longues, mais donne satisfecit à la droite et à Macron sur le fait qu’il y a un problème d’équilibre des comptes et d’accroissement de l’espérance de vie et que ceci oblige à réformer. Quand les journalistes lui ont demandé davantage de précision sur son projet de réforme, elle a répondu que «  dans son entourage, il y a des personnes qui savent répondre à cela » et qu’elle « va en discuter avec les partenaires sociaux ». Oui ou non, doit-on partir plus tard à la retraite ? Christiane Taubira ne répond pas.

Floue sur les mesures favorables aux classes populaires et moyennes, elle a en revanche été plus claire sur les mesures de répartition des richesses… mais pour montrer que la finance n’a aucune raison de la vivre comme son ennemie. Si elle a annoncé une taxation des patrimoines au-delà de 10 millions d’euros, elle a « oublié » de demander le rétablissement de l’ISF qui débutait à dix fois moins.

Si l’on cherche à en savoir davantage sur son programme, on ne trouvera pas grande chose sur le site Internet qui affiche son soutien. Quelques mesures parcellaires, mais pas une politique cohérente sur les grands dossiers internationaux, sur la transition écologique, rien ou pas grand chose sur le gel du point d’indice des fonctionnaires, le logement ou la rénovation démocratique, rien sur l’Union européenne dont les traités libéraux contraignent les politiques publiques….

Tout cela ne fait pas très sérieux à moins de 70 jours du premier tour d’une élection Présidentielle cruciale.

Grandes manœuvres et petits effets

On comprend bien que le socle programmatique un peu léger de la primaire populaire lui convienne (voir sur ce point l’article de Emre Öngün publié sur ce site :https://gauche-ecosocialiste.org/une-impasse-nommee-primaire-de-toute-la-gauche/)

« Je suis celle qui se soumet à l’investiture citoyenne. Ma cohérence est totale. La primaire populaire crée les conditions de s’organiser en équipe autour du choix qui a été fait » a t-elle indiqué lors de l’émission de France Inter. Mais malgré leur insistance, les journalistes n’ont pas pu lui faire dire qu’elle en respecterait le verdict si elle ne s’imposait pas lors de ce scrutin.

Christiane Taubira dit être cohérente mais son refus affiché en décembre de n’être qu’une candidature de plus à gauche n’a pas survécu à la trêve des confiseurs.

Elle est en réalité un double mirage, celui d’une quête introuvable de l’union de gauche et celui de « la gagne ». Sa candidature ne peut en effet pas être soutenue par toute la gauche car la gauche est en réalité divisée profondément sur des dossiers importants comme celui des retraites, celui de l’avenir de l’Union européenne, celui de la rupture avec le libéralisme, celui de la bifurcation écologique, celui de l’avenir de la Ve République. Et elle ne peut pas résoudre le problème de l’affaiblissement de la gauche parce qu’elle en est une des responsables, qu’elle n’en tire aucune leçon, qu’elle ne porte en aucun cas un projet politique qui tranche.

Tout au plus, elle ne peut être que la meilleure candidate du centre-gauche ou de la « gauche dite modérée ». Quant à l’effet de « blast sondagier » qu’escomptait la garde rapprochée de Christiane Taubira dès l’annonce faite de sa candidature, il n’est pas au rendez-vous.

Désignée ou non par la « primaire populaire », Christiane Taubira ne peut pas être la candidate d’une gauche digne de ce nom. Nous appelons celles et ceux qui l’espéraient à la lucidité. L’Union populaire reste le seul cadre qui défende un programme clair, détaillé, complet, « l’avenir en commun », le seul programme qui réponde aux graves urgences politiques, écologiques, sociales de l’heure. La candidature de Jean-Luc Mélenchon est la mieux placée pour lui donner l’écho maximal. Il faut la renforcer en élargissant le périmètre de son soutien.

Fred Borras, le 21 janvier 2022.