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L’affaire Adrien Quatennens et ses leçons

Nous nous sommes exprimé.es dans notre communiqué du 25 novembre à propos de faits de violence de la part du député Adrien Quatennens contre son ex-épouse Céline. Ces derniers jours, le jugement est tombé, 4 mois de prison avec sursis (pas une petite peine) et une prise de position du groupe des député.es FI suspendant l’élu du groupe et une possibilité de retour après un stage sur les violences sexistes et sexuelles.

Mais le lendemain même, le député prenait la parole pour « donner son point de vue. » A notre sens il eut été préférable qu’Adrien Quatennens comme tant d’autres suive un stage avant tant il apparaît évident qu’il n’a pas compris où était le problème. Voilà ce qu’il aurait pu entendre s’il avait daigné suivre un stage (voire plusieurs) sur les violences sexistes et sexuelles.

Sans doute aurions nous commencé par une mise au point. En effet une des sources d’incompréhension dans le débat en cours tient nous semble-t-il à la confusion entre le champ judiciaire et les règles qui s’y appliquent, et le champ politique qui est celui sur lequel nous nous situons. Du côté de la justice s’appliquent normalement l’égalité des droits et notamment les droits de la défense, la présomption d’innocence, le refus de la double peine, la gradation des sanctions. Rappelons que la justice est cependant près peu fiable s’agissant des violences sexistes et sexuelles dès lors que la grande majorité des affaires sont classées sans suite, quand les femmes n’ont pas été découragées de porter plainte dès l’étape du commissariat. Rappelons surtout que le terrain sur lequel nous nous plaçons est différent. Une organisation politique ne rend pas la justice, elle n’en a ni les compétences ni les moyens. Elle se pose la question du respect de ses principes, de la protection des militantes et des femmes victimes de militants. Dans le cas d’espèce, seule la première question se posait, en deux temps :

  • Le poids du patriarcat est tel qu’il faut en matière de violences sexistes et sexuelles lui opposer un réflexe systématique : prendre d’abord en compte la parole des femmes, les croire a priori. Ce qui s’avère contradictoire avec le principe de la présomption d’innocence. En la matière, les faits reconnus par Adrien Quatennens relevaient déjà des violences conjugales. Le fait que son ex-femme ait déposé deux mains courantes et une plainte constituaient une circonstance aggravante.

  • La justice a rendu sa décision et qualifié les faits de violences conjugales. Est-ce qu’un homme condamné à 4 mois de prison avec sursis pour violences conjugales peut prétendre représenter un mouvement politique attaché aux principes féministes ? Non, un délai est indispensable pour le sanctionner et acter la prise au sérieux de la gravité de la situation.

Le deuxième élément qui figurerait en introduction serait un signal d’alarme, qui signalerait l’écart grandissant entre d’une part des militantes féministes et des jeunes militant.es, qui ont intégré dans leur réflexion et leur pratique politique la question de l’oppression spécifique des femmes et d’autre part tout une série de militant.es, de cadres, de représentant.es, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes, qui ont ajouté la revendication féministe à leur catalogue, sans en comprendre les fondements, faute de s’y être suffisamment intéressé.es. L’affaire Quatennens a fait voler en éclats ce qui n’était pour certain.es qu’une vitrine et interroge nécessairement sur la place accordée au féminisme dans nos « formations politiques », au double sens du terme, dans nos organisations et dans nos stages de formation. L’importance de ces derniers et de la prise en charge des violences sexistes et sexuelles relève d’une responsabilité collective notamment au sein de la FI, où la question ne peut être renvoyée à la décision des seul.es député.es.

Ces points liminaires faits, voyons le contenu du stage.

Le privé est politique.

« Ce n’est pas une histoire faite de violences conjugales. C’est d’abord l’histoire d’un couple qui ne parvient plus à se comprendre. », avance Adrien Quatennens pour se défendre. Dans le stage nous aurions débuté par cela. En quoi ce qui se passe dans la sphère privée est une affaire politique. Eh bien parce que les femmes subissent une double oppression, dont l’oppression patriarcale qui s’exerce fortement dans le couple. La sphère privée est un des lieux principaux de l’oppression et donc des violences. Ce que nous disons par-là, c’est que l’oppression est un système complexe, fort présent dans les relations de couple.

La force du féminisme est de sortir du « L’une de l’autre ignorée » et « de nos sœurs séparées » , comme le dit l’Hymne des femmes. Ce que subit une femme dans le foyer est à la fois totalement unique mais aussi totalement identique. Ce qui a permis aux femmes de s’émanciper, c’est de mesurer ce qui, dans ce qu’elles vivent se répète et donc est systémique. Les disputes et les chagrins d’amour arrivent à tout le monde, cela ne finit pas toujours dans la violence physique. Par contre, lorsque c’est le cas, il est indiscutable que dans l’extrême majorité des cas, ce sont les femmes qui subissent les violences, en particulier lorsqu’elles veulent quitter leur compagnon. Et c’est bien le cas cette fois. Un homme tape une femme. N’en déplaise à beaucoup, c’est un fait simple qui conduit Adrien Quatennens à être condamné à 4 mois de prison avec sursis.

Disons que si « ce n’est pas plus », eh bien ce n’est pas moins.

De la même manière, lorsque Jean-Luc Mélenchon dit « la police tue », il fait le choix de mettre le doigt sur le côté systémique du problème. Son explication est limpide. Oui on pourrait dire que certains policiers tuent, mais quand cela arrive trois fois dans le même mois par trois brigades différentes, alors cela fait système. C’est cela que font les féministes aujourd’hui, elles disent « Un homme a frappé une femme parce qu’il ne comprenait pas pourquoi elle le quittait » et cela arrive très souvent, trop souvent.

A cela s’ajoute, le fait que l’homme en question est député. Et qu’un député a un devoir d’exemplarité. Non parce que nous demandons que les gens soient parfaits mais parce que cet homme doit porter la parole d’hommes mais aussi de femmes. Dans ce sens, il se doit d’être exemplaire. Et tel n’est pas le cas.

Adrien Quatennens se défend en disant qu’il a, à de nombreuses reprises, aidé des femmes victimes : « J’accompagne depuis des années comme député des femmes victimes et leurs familles. » Alors pourquoi à aucun moment le député ne se remet-il en question ? Sans doute parce qu’il n’a pas compris le principe systémique de la violence masculine. Donc pour lui, ce qui lui arrive est individuel et en cela, il remet en question des années de travail pour expliquer que l’utilisation de la violence masculine est un réflexe qui pose un vrai problème.

Parole, silence et lynchage médiatique.

Deuxième problème, Adrien Quatennens accuse son ex-épouse de l’avoir jeté en pâture en exposant sa vie privée. Il y a eu une fuite dans la presse. Céline Quatennens aurait-elle dû s’abstenir de déposer une main courante ? A cette question, il faut répondre par un raisonnement par l’absurde. En effet, que devait faire l’ex-épouse du député ? Si l’on suit jusqu’au bout le raisonnement d’Adrien Quatennens, elle aurait dû se taire et régler cela dans la sphère privée (on y revient) afin d’éviter de le jeter en pâture aux oppositions. Car il n’y a pas plusieurs possibilités, soit on dit que l’on a reçu un coup, soit on ne le dit pas. Dans le deuxième cas, alors on laisse faire, dans le premier cas, on se défend. Ensuite advienne que pourra.

D’ailleurs pour se défendre, le député, qui se dit victime, a dans la même journée, fait un long interview dans « La voix du Nord » et un autre sur « BFM ». Il fait donc le choix de ne pas se taire. Si l’on avait suivi le raisonnement par l’absurde, Adrien Quatennens aurait dû choisir le silence. Ne rien dire et attendre que cela passe, puisque comme il le prétend : « Ce n’est pas une histoire faite de violences conjugales. C’est d’abord l’histoire d’un couple qui ne parvient plus à se comprendre. ».

Ou alors est-ce qu’il faut considérer que le prix politique à payer une fois cette affaire devenue publique était trop élevé ? Que cela n’en valait pas la peine ?

Nous ne sommes pas pour jeter qui que ce soit en pâture à des médias et à un monde politique mal intentionnés, mais ce risque suffit-il à imposer de se taire ?

Incontestablement, il y a, ici, un désaccord.

Quand la victime est méthodiquement dévalorisée

Autre point important du stage. Un autre réflexe classique s’ajoute au fil de l’interview : la parole de la victime est dévalorisée. Adrien Quatennens l’a tant soutenue, elle si fragile, traumatisée. Son attitude est incohérente, vous voyez bien, elle était aimable à l’hôpital, après le tribunal. Elle est dans la toute-puissance. Elle fait preuve de méchanceté et de comportements violents (même si on n’a pas bien compris lesquels). Sa parole est donc disqualifiée. Voilà qui va à l’encontre de la libération de la parole des femmes en matière de violences, voilà qui au contraire tend à les décourager de le faire.

Et voilà qui petit à petit transforme le coupable en victime.

Quand le coupable devient victime.

Au regard des deux prises de parole d’Adrien Quatennens, il semblerait que son ex-femme lui faisait une vie horrible. Il dit d’ailleurs : « c’est moi qui aurais dû partir ». Oui, mille fois oui !!!! C’était en effet la bonne solution. Adrien Quatennens avait quitté le domicile pendant deux mois au moment du confinement, on ne sait pour quelles raisons, mais, cette fois, il ne l’a pas fait, il est resté et a envoyé des « SMS amoureux »… On peut se questionner sur ces multiples SMS amoureux. Rappelons que quand quelqu’un ne veut pas boire du thé, on arrête de lui en proposer …

Pourquoi cette phrase : « l’envoi de trop nombreux sms amoureux suite à une annonce de divorce incomprise » ? Qu’est ce qui n’est pas compréhensible dans l’envie de se séparer ?

Dans le stage qu’Adrien Quatennens aurait dû suivre avant ces évènements, on lui aurait expliqué que quand une femme demande à se séparer, c’est ainsi … C’est dur, bien sûr, mais si la décision est prise il est malvenu de tenter de l’en empêcher. Peut-être que c’est injuste et que vous êtes mille fois mieux que la personne qui vous quitte mais c’est ainsi et surtout, on ne lui confisque pas son portable, comme on le fait pour une gamine qui ne sait pas ce qu’elle veut.

Donc, en fait, non, ce n’est pas celui qui frappe qui est victime de violence. On peut le tourner dans tous les sens et même si cela convainc nos copains de tablée… Non ce n’est vrai !

Car c’est un bon camarade !

Enfin, ce qui a provoqué la colère des féministes, c’est évidemment le fait en lui-même mais c’est surtout les soutiens (trop nombreux à notre goût) qui ont défendu Adrien Quatennens. L’argument (autre chose que l’on apprend dans les stages) est toujours le même. C’est une histoire de couple, c’est un bon gars qui s’est énervé. Or, quand on commence à s’intéresser aux violences sexistes et sexuelles, on sait qu’elles sont truffées de « bon camarades », joviaux, sympas et qui font ça par amour et qui se sont un peu trop énervés. Sinon, ce ne serait pas si compliqué de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Alors, cette affaire met sur la place publique qu’un « bon gars » peut ne pas l’être et que ceux qui défendent les droits de l’Homme ne sont pas au clair sur les droits de leur femme.

Les divers faits décrits ont été point par point minimisés par certains. Une gifle, ce n’est rien comparé à des femmes battues tous les jours. Or nous savons que les violences contre les femmes sont un continuum. C’est-à-dire plusieurs actes bout à bout qui font un tout qu’on appelle « violences faites aux femmes ». C’est d’ailleurs ce qu’en a conclu la justice.

Le fait qu’un mouvement qui fait du féminisme et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une valeur centrale, soit capable de se doter de représentants qui ignorent à ce point les logiques systémiques de l’inégalité femmes-hommes doit nous interroger. Les mêmes qui ont allègrement tout mélangé dans la plus grande confusion (c’est une histoire d’amour, c’est la vie privée, il n’y a eu qu’une seule gifle, c’est un bon gars, on a besoin de lui car il est brillant, sentiment de toute puissance de la victime…) auraient-ils pu faire preuve de la même ignorance coupable, s’il s’était agi d’un autre domaine politique que celui du féminisme ? Il ne viendrait par exemple à l’esprit d’aucun militant de gauche de parler de « charges patronales » pour désigner les cotisations patronales, comment se fait-il qu’il s’en trouve encore pour parler de violence privée quand un homme gifle une femme qui veut le quitter ? Faire du féminisme une question politique à part entière reste un enjeu et une priorité. La compréhension de ce qu’est le patriarcat doit faire partie du kit de base de tout militant et a fortiori de ses représentants. Il n’y a pas d’émancipation possible sans émancipation des femmes, ce n’est pas qu’un slogan.

« Faute avouée est à moitié pardonnée »

Voire pardonnée tout court pour certains… Là encore, c’est une défense biaisée. Alors qu’Adrien Quatennens nous expliquait que les faits ne le concernaient que lui et sa femme, voilà que l’on se sert des autres pour réhabiliter son acte. On nous a invitées à « admirer le courage et l’honnêteté » de celui qui contrairement à tant d’autres ne nie pas les faits. Curieux ! En quoi dire « j’ai fait ce dont on m’accuse » atténue ce que l’on a fait ? D’autant plus que, comme l’ont relevé beaucoup de féministes, il faut vraiment tendre l’oreille pour entendre le commencement d’un début de remord. On a expliqué à quel point reconnaître une faute peut revenir à la minimiser si elle n’est pas interprétée dans le contexte d’une violence systémique. Et en l’occurrence elle revient surtout à tenter de conserver la maîtrise du récit de bout en bout.

Que ce récit soit perturbé par les féministes, les jeunes, que l’affaire ne passe pas, au sein de la France Insoumise et plus largement, nous semble en fait plutôt positif. C’est le signe d’une remise en cause profonde des règles qui s’imposaient tacitement jusqu’alors.

Emmanuelle Johsua, Ingrid Hayes