Des tournages et des émissions de télévision à l’arrêt ? C’est ce qui se profile en novembre, puisque les producteurs ont refusé l’augmentation des salaires revendiquée par les technicien·ne·s et leurs syndicats.
Depuis des années, la valeur des salaires baisse pour les technicien·nes qui travaillent à la réalisation de téléfilms, de séries et d’émissions de télévision. Entre les prix qui explosent et les salaires qui n’augmentent quasiment pas, il manque aujourd’hui près de 20 % pour retrouver le niveau des salaires de 2007i.
Les syndicats, principalement le SPIAC (affilié à la CGT) et le SNTPCT (autonome), avaient déjà tenté sans succès de mobiliser les salarié·es pour obtenir une revalorisation des salaires minimums de la branche. Mais cette fois, le mépris des employeurs (les sociétés de production) ne passe plus. Les électricien·nes, machinistes, scriptes, travailleurs·ses de l’image, du son, des décors, du costume et du montage semblent prêt·es à mettre le secteur à l’arrêt pour arracher leurs 20 % d’augmentation.
Une grève à l’américaine
Dans ce secteur où l’emploi est précaire (la majorité des salarié·es sont des intermittent·es engagé·es pour quelques semaines ou quelques mois) et où les habitudes de lutte se sont un peu perdues, il a fallu préparer la mobilisation de façon à se donner les meilleures chances de succès. Le SPIAC-CGT, qui est à la pointe dans l’organisation de la grève, s’est inspiré de deux exemples récents.
– D’une part, la mobilisation que la CGT a coordonnée en avril dans l’entreprise de captation audiovisuelle AMP Visual TV. Après des mois de patients efforts pour organiser les salarié·es en collectifs et pour établir des revendications, deux débrayages d’une heure calés au début de la diffusion des matchs sportifs ont forcé l’entreprise à accorder d’importantes augmentations de salaire.
– D’autre part, la grève des scénaristes et des acteurs·trices aux États-Unis. Après avoir défini leurs revendications, les deux syndicats américains ont fait voter leurs adhérent·es sur le recours à la grève si les employeur·euses ne cédaient pas. À l’expiration de l’ultimatum syndical, les salarié·es se sont massivement mis·es en grèveii.
Pour la production audiovisuelle en France, le choix a été fait d’une revendication et d’un ultimatum simples : 20 % d’augmentation pour tous les salaires minimums, ou sinon la grève. Des assemblées générales en présentiel et en visio ainsi qu’une conversation Telegram ont permis de regrouper les salarié·es et de diffuser les informations. Sur les tournages, les salarié·es sont appelé·es à voter le principe de la grève pour les 20 % ; ces votes permettent de souder l’équipe, de donner confiance aux autres salarié·es et de réduire les risques de représailles individuelles en faisant de la grève une affaire collective. Puisque les producteurs·trices ont refusé de négocier, la grève est maintenant certaine. La ou les dates seront annoncées courant novembre, avec un délai suffisamment court pour que les employeur·euses n’aient pas le temps de réorganiser les plannings.
Défis et encouragements
Avant même la grève, plusieurs questions complexes se sont posées au mouvement. Fallait-il ou non étendre la lutte à la production de films de cinéma ? D’un côté, les techniciens·es travaillent souvent à la fois pour l’audiovisuel et pour le cinéma. D’un autre côté, les employeur·euses ne sont pas toujours les mêmes, et négocier en parallèle sur deux branches aurait pu permettre aux producteurs·trices de diviser le mouvement. Il a finalement été décidé de n’appeler le cinéma qu’à des actions symboliques, tout en assumant le fait qu’une victoire côté audiovisuel serait également un avertissement aux patrons côté cinéma.
Le choix de ne mettre en avant que les salaires a aussi fait débat. En effet, les conditions de travail se sont nettement dégradées ces dernières années. Les technicien·nes sont excédé·es par les journées de travail à rallonge (parfois 10 h, 12 h ou plus), la pression à travailler dans l’urgence au mépris de la santé et de la qualité, le non-paiement des heures supplémentaires, le harcèlement moral et/ou sexuel… Là encore, si la revendication retenue se résume aux 20 %, l’objectif est qu’une grève victorieuse fasse basculer le rapport de forces du côté des salarié·es et ouvre la porte à des avancées sur les conditions de travail.
Ce mouvement devra aussi trouver un équilibre entre le rôle central des syndicats et l’implication de nouveaux·elles salarié·es, tant dans la construction de la mobilisation que dans la validation d’un éventuel accord avec les producteurs·trices. Le regain d’adhésion aux syndicats, notamment parmi les jeunes professionnel·les du secteur, doit trouver dans ce mouvement l’occasion de se renforcer et de créer un réseau militant capable de défendre les intérêts des salarié·es tant sur les lieux de travail que lors des négociations nationales.
L’issue de la lutte dépendra du bras de fer à venir entre les salarié·es et les producteurs·trices. Mais déjà la détermination démontrée par l’écrasante majorité des votes pour la grève est très encourageante. Les grèves et débrayages ayant eu lieu en octobre lors de journées d’action interpro ou sur l’assurance-chômage confirment un niveau de mobilisation jamais vu dans le secteur depuis de nombreuses années. Une victoire de cette grève serait une excellente nouvelle pour les salarié·es de l’audiovisuel, du cinéma et au-delà.
Correspondant
iVoir l’évolution des salaires et de l’inflation sur le site de l’AFAR : https://www.afar-fiction.com/spip.php?article2643
iiLes scénaristes ont arrêté la grève après avoir signé un accord avec les producteurs comprenant des avancées significatives. La grève des acteurs·trices est toujours en cours.