Confronté à une colère sociale et une crise politique inédites, le pouvoir en place doit imposer son récit. Pour justifier l’entêtement aveugle du président de la République, deux jeunes Marcheurs de la première heure publient un ouvrage, Le progrès ne tombe pas du ciel, aux allures de manifeste. Ismaël Emelien et David Amiel, anciens conseillers d’Emmanuel Macron, affirment que l’affrontement politique se jouerait désormais entre deux camps, ‘progressistes’ versus ‘populistes’.
Prenant appui sur le contexte international, l’appel à fédérer les autoproclamés ‘progressistes’ viserait à contrer les ‘populistes’ tels que Salvini, Trump ou Bolsonaro. L’emploi du terme au pluriel est si fourre-tout qu’il permet désormais d’y inclure toute force politique qui soutiendrait les révoltes populaires et ne se résoudrait pas à voir dans le cap gouvernemental la marche du progrès. À l’instar de la formule bien connue ‘les extrêmes’, qui met dans un même bloc deux pôles diamétralement opposés, cette vision du champ politique obscurcit plus encore les repères et les véritables alternatives.
Pour les deux jeunes Marcheurs, le clivage droite/gauche n’expliquera plus la politique de demain. Le Cevipof, dans son dernier baromètre, constate pourtant que 76% des Français.es continuent de se placer sur un axe droite-gauche. Qu’importe, l’extrême centre macroniste veut rayer de la carte cette partition. L’heure serait au ‘en même temps’, qui se traduit concrètement par une synthèse des choix des gouvernements précédents qui se réclamaient de la droite ou de la gauche. Mais comment la copie des modèles d’hier, en version accélérée et radicalisée, pourrait-elle constituer la proposition politique de progrès pour demain? Voilà le tour de magie des ‘progressistes’!
Derrière la formule marketing, c’est le bégaiement politique qui s’affirme avec l’alliance de ceux qui prônent et mettent en œuvre des recettes ayant échoué partout en Europe. En prétendant constituer le seul rempart au pire, ces politiques qui se suivent et se ressemblent nourrissent malheureusement l’avènement néofasciste.
Or les propositions politiques ne se résument pas à deux options : le brun, le repli, la haine, le culte du chef, le climatoscepticisme, ou la poursuite de politiques austères, néolibérales, consuméristes, technocratiques et toujours plus autoritaires. Ce ‘progressisme’ n’est rien d’autre qu’un thatchérisme. LREM cherche ainsi à imposer son there is no alternative.
Contestés de toute part, les Marcheurs n’ont pas d’autre choix que de mettre en scène leur orientation comme la seule possible face au pire. Se jouer des mots et des gens a cependant un prix. Lorsque le dire contredit le faire, lorsque les mots sonnent creux ou méprisants, le peuple ne se calme pas. En installant un duel qui réduit le champ des propositions politiques réellement existantes, la Macronie joue avec le feu.
Les remparts qui s’étaient installés contre le Front national ne fonctionnent plus comme hier. Marine Le Pen bénéficie en France d’un incroyable processus de banalisation et d’un levier, le ressentiment qui se propage à la faveur de politiques destructrices des biens communs et des savoir-faire, des droits et des libertés, des conquêtes passées et des possibilités de projection dans un avenir meilleur. Chaque élection s’annonce désormais comme un chantage au ‘eux ou nous’. Mais ce chantage, qui ne date pas d’hier, a perdu de son efficacité. C’est pourquoi Ismaël Emelien et David Amiel tirent un fil extrêmement dangereux.
Dans le climat actuel, les défenseurs du partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps doivent faire dérailler ce scénario malfaisant. C’est une responsabilité historique. Les raisons d’espérer et de construire une issue émancipatrice ne manquent pas. Loin du clash permanent et de l’esprit de revanche, sur la base d’une cohérence assumée des combats émancipateurs, je suis convaincue que nous pouvons imposer un autre récit, un avenir digne de ce nom. »
Clémentine Autain. Tribune publiée dans le JDD du 6 avril.