Plus de mille personnes ont répondu à l’invitation de François Ruffin, et de Frédéric Lordon, à débattre à la Bourse du Travail de Paris le mercredi 4 avril. Sur le thème : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? », notamment pour aider les mouvements sociaux en cours.
Ambiance festive, musicale, poétique, et ambiance de lutte : tout était mélangé ce mercredi soir 4 avril à la Bourse du travail de Paris. L’initiative a circulé en quelques jours sur les réseaux sociaux : la grève des cheminots a commencé fort, il y a eu le 22 mars avec la fonction publique, et plein d’autres luttes récentes. Donc « Qu’est-ce qu’on peut faire » : c’était la question posée par François Ruffin, député France insoumise, co-animateur de Nuit Debout 2016 et du journal Fakir. La réunion devait débuter à 19h mais dès 18h30 il n’était plus possible d’entrer à la Bourse du travail. La rue du Château d’eau était bloquée. 500 personnes au moins était à l’intérieur et au moins autant devant le bâtiment. A 19h, François Ruffin, Loïc Canitrot (Jolie Môme, CGT spectacle), un représentant de SUD Rail et un autre de la CGT cheminots (il y avait aussi Emmanuel Vire, secrétaire du SNJ CGT), sortaient avec une sono pour expliquer l’enjeu de la soirée aux personnes restées à l’extérieur. Dès le départ donc, la cadre était posé : l’idée d’une initiative nationale début mai, bien ancrée dans les luttes en cours, et avec les syndicats.
La soirée a débuté dans la salle Ambroise Croizat par les interventions des luttes en cours ou récentes. Ambiance extraordinairement chaleureuse, unitaire, combative. Parmi les premiers à parler, SUD Rail et CGT cheminots (gare de Lyon) : « …ce sont nos impôts qui ont payé la SNCF. Donc elle appartient à tout le monde. Elle n’a pas vocation à être rentable. Elle doit être accessible à tous et toutes, et non pas servir engraisser des actionnaires futurs. Le statut cheminot est un gage de sécurité pour les usagers. Il faut prendre le temps de s’occuper de nous tous dans les services publics ». François Ruffin ajoutera aussitôt : « Pour tout le monde, pour les femmes de ménage, pour tous, il faut un statut du travail ! ».
Intervient ensuite Mireille Nsang, du groupe hôtelier Holliday Inn, militante CNT Solidarité ourvrière, qui raconte la formidable grève (avec la CGT Hôtels de prestige) de l’automne 2017 (plusieurs mois de lutte, avec un impact européen en Suisse, en Belgique, en Grande Bretagne) qui a gagné sur l’uniformité des statuts et des acquis sociaux. Elle ajoute : « C’était notre première lutte mais on les a fait plier. Les cheminots sont plus nombreux et plus structurés que nous. Nous participerons à toutes les réunions pour aider les cheminots ».
C’est le tour de Catherine, infirmière CGT à Lyon, qui décrit la difficulté des luttes dans les hôpitaux et les EHPAD, qui rend compte du rapport parlementaire sur le soutien aux EHPAD co-réalisé par la députée aide- soignante Caroline Fiat. « Quand nous sommes en grève, nous travaillons en réalité deux fois plus », parce que nous ne pouvons pas arrêter les soins », explique-t-elle, avant d’enchaîner sur la lutte d’hôpitaux en hôpitaux, qui s’est propagée à Lyon récemment.
Zora de Carrefour Sevran décrit la journée de grève historique dans les magasins Carrefour samedi 31 mars, pour les salaires et contre les 2400 suppressions d’emplois. Elle lance un vibrant appel à l’unité syndicale « voulue par les salarié-es ». Bien sûr il y a des divergences, dit-elle, mais quand chacun lutte de son côté, on n’obtient rien. « Nous avons donc fait une intersyndicale CGT, FO, CFDT, et on y va ».
La porte-parole de Green Peace intervient ensuite, pour alerter sur le projet de loi « agriculture et alimentation » actuellement sur la table de l’Assemblée nationale, suite aux Etats-généraux de l’alimentation où « il a fallu se battre » pour être admis : « 21 fermes par jour passent au bio en 2017» mais elles ne sont pas aidées.
Preuve qu’il n’y avait pas que les travailleurs à statut qui étaient sollicités : un représentant des chauffeurs UBER a pris la parole, comme « chef d’entreprise » a-t-il dit ( !) pour dénoncer le système des plates-formes numériques. Au tout début, les chauffeurs, peu nombreux, pouvaient gagner 3000 ou 4000 euros. Mais UBER en capte des milliers d’autres sur son algorithme et maintenant il faut « travailler 70 heures par semaine pour toucher 1000 euros ». Il est très difficile de s’organiser entre chauffeurs, explique-t-il. Aussi il appelle à « une semaine noire de tous les travailleurs », avec les cheminots, pour dénoncer tout ce système.
Gael Quirante, de SUD activités postales (92) dénonce son licenciement scandaleux par la ministre du travail, Murielle Pénicaud, qui s’est rendue coupable de plus de 700 infractions au Code du travail lorsqu’elle était Directrice des ressources humaines. Il galvanise l’assemblée par un appel à la « grève générale » repris en chœur.
Vient le tour de Frédéric Lordon, économiste, qui appelle à écrire « un livre noir mondial des méfaits du néo-libéralisme ». « Ce sont des démolisseurs » dénoncent-ils. Mais « tous le secteurs su salariat sont en train de se reconnaitre dans un lien invisible tissé entre eux : une chimie du malheur général s’opére peu à peu». « Ce que nous voulons ? C’est un mouvement de masse. Contre l’offensive générale, nous appelons à un débordement général ».
La Fanfare invisible déboule alors sur l’avant-scène de la salle Croizat dans une musique joyeuse. Puis François Ruffin synthétise les propositions. Nous reproduisons ici son propos, qui se terminera par un vote à main levée sur la perspective de la Marche du 5 mai, « pour faire la fête à Macron ». Plusieurs personnalités syndicales et politiques étaient dans la salle, mais n’ont pas pris la parole : Eric Beynel (Porte-parole de Solidaires), Eric Cocquerel (député FI), Gérard Filoche (GDS), des militants du NPA, d’Ensemble…
Intervention de François Ruffin :
« Faut-il dresser la liste?
Elle est longue.
Trop longue.
Ordonnances travail et « nouveau pacte ferroviaire », hausse de la CSG pour les retraités, pour les étudiants, la sélection à l’université, pour les futurs licenciés, ceux de Carrefour, Pimkie et tant d’autres, plafonnement des indemnités, « maltraitance institutionnelle » dans les Ehpad, sans que la ministre de la Santé trouve autre chose à y répliquer que : « La France n’a pas les moyens budgétaires. »
Cette même France du président Macron qui a supprimé l’Impôt sur la fortune pour les actionnaires et plafonné l’impôt sur le capital : les « moyens budgétaires », elle les a trouvés, en milliards et en urgence. Cette même France où les firmes du CAC40 accumulent près de cent milliards de profits, du jamais vu depuis 2007. Cette même France qui vient d’offrir aux multinationales opacité et impunité grâce au «secret des affaires».
En résumé : tout pour ceux qui ont déjà tout ; rien pour ceux « qui ne sont rien ».
Mais tout ne se passe pas aussi tranquillement. Partout ça résiste : les cheminots évidemment, les facs également, Air France, les hôpitaux, les éboueurs, les caissières, les électriciens… Mais en ordre dispersé, sans leur trait d’union. Si ces ruisseaux de colère convergeaient, quel fleuve puissant ne formeraient-ils pas.
Il y a autre chose aussi, moins visible, plus souterrain, mais plus massif, plus explosif : quelque chose qui ressemble à un vaste désir d’autre chose. Quoi? On ne sait pas, ou pas encore. Mais autre chose que cet économisme étroit, cette bureaucratie patronale qui contrôle, qui « manage », qui évalue sans relâche, qui maltraite aussi. Et ne connaît rien d’autre que ses ratios.
Le texte du projet de loi sur la SNCF contient 84 fois le mot « concurrence ». Mais 0 fois « climat », « réchauffement », « biodiversité ». Leur projet de société ? Un dogme sans autre finalité que produire et vendre. Sans bonheur commun, sans solidarité, sans avenir ensemble. Les sans-statut dressés contre ceux qui en ont un afin de protéger ceux qui ont tout.
Il est probable que Macron ne se rende pas compte que, sous son règne, tout devient très clair, trop clair. Le moment est peut-être venu de lui faire savoir, pour notre part, où nous en sommes. Dans les ordonnances SNCF, se trouvent repliés tous les éléments d’un monde dont nous ne voulons pas. Si ce qui est clair pour nous ne l’est pas pour lui, rassemblons-nous donc pour le lui expliquer un peu plus nettement. Premier anniversaire à l’Elysée ? Qu’il sente non pas la bougie mais le vent du boulet.
La conscience grandit que cette affaire des cheminots nous concerne tous. Et par conséquent que la dispersion des luttes nous fera tous perdre. Nous pensons qu’il n’y a pas d’autre moyen de le dire qu’une grande manifestation nationale à Paris.
Que ce samedi 5 mai signale aux puissances d’argent qu’elles n’ont pas gagné,
et que le plus grand nombre ne veut pas de leur monde.
Et que le 5 mai, ce grand nombre… se met en marche !
Cette stratégie est complétée par une série de recommandations, incluant par exemple la journée d’action du 19 avril appelée par la CGT et toutes les initiatives qui auront lieu d’ici le mois de mai :
1 – que tous les syndicats, associations, partis, mettent ce rassemblement du samedi 5 mai en débat en leur sein, tant au niveau local que national;
2 – que se montent localement, dans les villes, dans les facs, des « comités 5 mai » ;
3 – que la jonction, la discussion soient recherchées à tout moment et en tout endroit : 14 avril, 1er mai, etc. Et notamment que le jeudi 19 avril, au soir, devant leur gare, les citoyens organisent des AG communes aux cheminots, étudiants, hôpitaux, etc.
4 – que chacune, chacun, témoigne en une vidéo d’une minute du pourquoi il viendra le samedi 5 mai et le partage sur les réseaux, que cette manif ait mille visages, mille raisons ;
5 – que les artistes, chanteurs, musiciens, peintres, acteurs, metteurs en scène, nous rejoignent et rendent cette manif encore plus vivante, inédite, surprenante.
Un court débat avec la salle clôture la soirée, avec notamment l’intervention de Malika Zédiri au nom de l’APEIS (organisation de chômeurs). Le Collectif unitaire Unedic envisage une journée de lutte lors du débat au conseil des ministres de la loi « chômage, formation professionnelle, apprentissage », le 25 avril prochain.
Jean-Claude Mamet
Pour participer à#LaFeteaMacron, écrire à : contact@lafeteamacron.org