Les listes utilisées pour l’élection municipale ont été établie un an auparavant, sous l’Empire. Ce sont les mêmes listes qui ont servi en Novembre, puis en Février . Par définition ne sont inscrits sur ces listes que les hommes, français et habitant Paris. Il n’y a donc ni femme ni étranger sur ces listes. Le 26 mars, le taux de participation est plus faible que lors de consultations précédentes : 230.000 votants, au lieu des 300.000 qui s’étaient déplacés en Février, sur 480.000 inscrits. Bien sûr, il faut prendre en considération le départ de ceux qui ont quitté Paris, soit pendant la guerre et le siège de Paris, soit du fait de l’insurrection. On évalue à une centaine de milliers de personnes – hommes et femmes donc – celles et ceux qui ont quitté Paris.
40.000 voix se sont portées sur les maires et les députés qui s’opposent au processus. On note sans surprise que c’est dans les quartiers populaires de l’Est de Paris que l’on trouve les scores les plus favorables à la Commune. Sur 92 élus – en fait, 85 car certains ont été élus dans plusieurs circonscriptions – le « parti de maires » recueille une quinzaine d’élus qui vont indiquer immédiatement qu’ils ne siégeront pas dans une institution qu’ils ne reconnaissent pas. Les autres élus se répartissent entre les différentes sensibilités du mouvement favorable à la Commune. Dans son ouvrage, « Paris libre, 1871 », l’historien Jacques Rougerie effectue une tentative de recensement par sensibilité politique : les partisans du comité républicain des vingt arrondissements l’ont emporté dans la moitié des circonscriptions. Le Comité central de la Garde nationale, qui n’a pas présenté formellement de candidats ni fait campagne, peut néanmoins revendiquer une quinzaine d’élus, mais qui doivent leurs succès électoral au fait qu’ils appartiennent à d’autres structures et d’autres sensibilités. Les blanquistes ont 9 élus. Les Internationaux – les membres de l’Association internationale des travailleurs – sont 17. Avec des cas particuliers comme Eugène Varlin qui a été élu trois fois ! On dénombre également onze socialistes d’autres sensibilités et quatre républicains radicaux, des « jacobins historiques ». Encore Jacques Rougerie précise-t-il que ces « listes » étaient loin de représenter des orientations politiques homogènes, mais plutôt « l’amalgame multicolore d’hommes très divers ».
En même temps que se produit l’annonce de ces résultats , la Commune de Paris est donc proclamée depuis le balcon de l’Hôtel de ville. Cette proclamation est un évènement important, un grand moment d’enthousiasme collectif. Jules Vallès, écrivain aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli et communard, utilisera des termes quasiment mystiques, puis qu’à propos de cette cérémonie à l’Hôtel de ville, il va parler de « l’épanouissement de la résurrection » ! Dans le journal « Le Cri du peuple », il rend compte de l’évènement en termes assez lyriques : « Quelle journée ! Ce soleil tiède et clair qui dore la gueule des canons, cette odeur de bouquets, le frisson des drapeaux, le murmure de cette révolution qui passe, tranquille et belle comme une rivière bleue, ces tressaillements, ces lueurs, ces fanfares de cuivre, ces reflets de bronze, ces flambées d’espoir, il y a là de quoi griser d’orgueil et de joie l’armée victorieuse des républicains ».
La joie de Jules Vallès n’est cependant pas exempte de pressentiments plus sombres, puisqu’il ajoute : « quoi qu’il arrive, dussions-nous être de nouveau vaincus demain, notre génération est consolée, nous sommes payés de vingt ans de défaites et d’angoisse ». Le Conseil de la Commune tient sa première réunion le 29 mars, séance au cours de laquelle il va prendre ses trois premiers décrets. Ce sont à la fois de mesures immédiates dictées par l’urgence sociale et, en même temps, des décisions d’une portée politique considérable.
Première décision, la Commune décrète que les loyers qui sont dus depuis le moratoire du mois d’août sont purement et simplement annulés. On rappelle que sitôt élue l’Assemblée nationale avait fait exactement le contraire en supprimant le moratoire et en rendant les loyers exigibles. La seconde décision est la suspension de la vente des objets déposés au Mont de piété pour obtenir de prêts (il existe des millions d’objets déposés en gage). Le troisième décret vaut d’être cité intégralement. Il est d’ailleurs très court puisqu’il fait moins de trente mots :
Article 1 : la conscription est abolie.
Article 2 : aucune force militaire autre que la Garde nationale ne pourra être créée ou introduite dans Paris.
Article 3 : tous les citoyens valides font partie de la Garde nationale ».
Ainsi, toutes les tâches qui sont celle de la défense, sont confiées à la Garde nationale qui, on s’en souvient, ne constitue pas un corps séparé de la population mais une sorte de milice organisée sur une base géographique, dans les quartiers et qui revendique d’élire ses chefs. En pratique, cette décision n’est rien de moins que la suppression de l’armée permanente, qu’elle soit de métier ou de conscription et son remplacement parce que l’on appellerait aujourd’hui une armée populaire : tous les citoyens valides font partie de la Garde nationale. L’armée que veut la Commune n’est plus tout à fait une armée, c’est… le Peuple en armes, dans la tradition d’ailleurs de la Révolution française.
Quatre jours plus tard, le 2 avril, la Commune décide de plafonner les salaires des fonctionnaires et des élus pour les aligner sur ceux des ouvriers. Trente-quatre ans avant la fameuse loi de 1905 périodiquement évoquée, la Commune qui considère que « le clergé a été le complice des crimes de la monarchie contre la liberté» décrète la séparation de l’Église et de l’État. On a souvent reproché aux Communards leurs proclamations lyriques et verbeuses. Mais, rien de tel pour ce décret, comme pour le décret que l’on vient de citer sur la conscription. L’essentiel est dit en peu de mots :
Article 1 : L’Église est séparée de l’État.
Article 2 : Le budget des cultes est supprimé.
Article 3 : Les biens dit de mainmorte appartenant aux congrégations religieuses (meubles, immeubles) sont déclarés propriété nationale.
Article 4 : Une enquête sera faite immédiatement sur ces biens pour en constater la nature et les mettre à disposition de la Nation.
Ce n’est pas très long, mais assez explicite ! Le 2 avril toujours, la Commune déclare la mise en accusation du gouvernement Thiers. A Courbevoie, en région parisienne, les troupes gouvernementales (versaillaises) attaquent les Communards qui se replient et se préparent à riposter, ce qu’ils font en direction de Versailles, le 3 avril. Sans doute trop tard et, en tout cas, à contretemps. Encore faut-il dire un mot des faiblesses politiques, réelles ou supposées de la Commune. Dans cette rubrique, les historiens de la Commune – à commencer par Lissagaray, souvent cité ici – rejoignent les théoriciens révolutionnaires comme Marx, Lénine ou Trotski pour s’étonner des hésitations et des scrupules des Communards, essentiellement sur deux points : l’affaire dite de la Banque de France et le retard pris à organiser la riposte contre Versailles. Jamais les Communards ne s’empareront de l’or de la Banque de France.
Pourquoi les Communards n’ont-ils pas profité de l’avantage que leur donnait la victoire de l’insurrection le 18 mars pour, en quelque sorte, achever le travail et marcher sur Versailles dès le 19 Mars, au lieu de laisser à la contre-révolution le temps dont elle avait besoin pour isoler Paris par rapport à la Province et lancer l’offensive ? Ce sont là des questions assez redoutables ; il serait assez présomptueux de prétendre y répondre. Ce que l’on peut dire, avec une certaine prudence, est que ces exemples – la Banque de France, le retard à marcher sur Versailles – illustrent les hésitations et les faiblesses stratégiques sans doute de la Commune. En même temps, on l’a vu, ce n’est que progressivement et très partiellement que les Communards prennent conscience de ce qu’ils sont en train de faire : une révolution politique et sociale. De plus, rien ne permet d’affirmer que l’expropriation de la Banque de France ou une offensive immédiate des Communards sur Versailles auraient pu inverser le cours de l’Histoire.
Toujours est-il que la contre-offensive des Communards les 3 et 4 avril, a été déclenchée sans préparation ni stratégie, sur fond de divergences entre le Comité central de la Garde nationale (qui continue à exister) et e Conseil de la Commune qui est le nouveau pouvoir politique. La contre-offensive est désastreusement dirigée et se traduit par un fiasco. Plusieurs milliers de combattants de la Commune sont fait prisonniers et conduit en captivité à Versailles. Gustave Flourens, l’un des premiers chefs militaires de la Commune, est exécuté sommairement par un gendarme, de même que de nombreux autres prisonniers.
Le même jour, une Commune se crée à Limoges, mais elle est immédiatement écrasée. A Paris, le Conseil de la Commune décide donc le désarmement des gardes nationaux qui ne sont pas favorables à la Commune. L’essentiel des gardes nationaux sont favorables à la Commune, mais certains bataillons ne le sont pas. Deux évènements qui illustrent dramatiquement les contradictions de la Commune se produisent les 5 et 6 avril. Dans le XI° arrondissement, les habitants s’emparent des deux guillotines qu’ils ont trouvées dans la prison de la Roquette. Ils les considèrent, selon leurs termes, comme « des instruments serviles de la domination monarchique » et ils en votent « la destruction pour toujours ». C’est, selon les habitants du XI°, « la consécration de la nouvelle liberté ». Cette destruction de l’instrument de la peine de mort vaut abolition de la peine de mort.
A quelques heures d’intervalle, le Conseil de la Commune prend un décret connu sous l’appellation « décret des otages ». Ce décret prévoit l’arrestation des « agents de Versailles » qui une fois condamnés comme tels par un jury populaire deviendront les « otages du peuple de Paris » et seraient exécutés en rétorsion aux exécutions versaillaises. Soixante-dix otages sont arrêtés, dont des prêtres. On voit bien la contradiction : au moment même où l’on détruit la guillotine, on institue le principe des otages.
Face aux exécutions sommaires commises par les Versaillais et à ce qui s’annonce comme une lutte à mort, la Commune est confrontée au dilemme qui a été celui de nombreuses révolutions, avec l’utilisation de moyens extrêmes et de la violence qui sont à l’exact opposé des aspirations humanistes qui sont à l’origine des révolutions.
François Coustal