Donc, après l’échec du soulèvement populaire du 31 octobre, le référendum de début novembre a conforté le gouvernement. La période suivante qui va de début novembre à mi-janvier est relativement atone, sans évènement spectaculaire. Paris est assiégé, la situation est bloquée. En réalité le gouvernement dit de « défense nationale » voudrait bien négocier avec les Prussiens. Du moins dans sa majorité car, simultanément, il craint les réactions populaires à Paris. En effet, à chaque fois que l’occasion s’est présentée, les Parisiens ont manifesté leur volonté de continuer la lutte jusqu’au bout.
Donc pas d’évènement spectaculaire, mais dans les quartiers parisiens, l’heure est plutôt à la création de clubs politiques, à l’approfondissement des projets et, notamment, du projet de Commune. C’est une idée qui est de plus en plus fréquemment évoquée, à la fis comme une référence à la « Grande Révolution » et, d’autre part, comme une solution aux problèmes de l’heure. Bien sûr, il existe des opinions extrêmement différentes sur ce que devrait être la Commune, sur sa composition et les mesures qu’elle devrait prendre.
Il est intéressant de regarder ce qui se dit à la base, dans les quartiers parisiens. Prenons quelques exemples. Dans le XV° arrondissement, le comité de vigilance affirme : « comme le gouvernement ne sait pas prendre les mesures énergiques qui doivent sauver la France, il faut lui adjoindre des hommes capables de le faire et, donc, élire la Commune ». Au club du passage Raoul, un autre club politique, un citoyen propose « d’exiger la Commune » ainsi que « l’incarcération de tous les fonctionnaires de l’Empire, la révocation de la Préfecture de police et de l’ancienne magistrature en l’envoi en Province de commissaires chargés de réorganiser l’armée ». A Belleville, le club de la rue de Paris a une autre conception encore : « La Commune sera composée de 200 membres pis parmi les révolutionnaires éminents et les socialistes connus pour leur dévouement à la République et pour les services qu’ils auront rendus à la cause du peuple ». Et il ajoute : « ils devront accepter le programme des réunions publiques et un mandat impératif ; ils seront sans cesse révocables ». Mandat impératif et révocation des élus sont des thèmes qui vont effectivement prospérer pendant la Commune.
Rue Lantier, on évoque aussi la Province à travers cette réflexion : « quand nous aurons la Commune de Paris et un diminutif de cette Commune dans les autres villes et villages, alors nous aurons véritablement la République ». Au club Favier, autre définition : « la Commune, c’est le droit du peuple, le rationnement égal, la levée en masse et la punition des traîtres ». Dans le XV° arrondissement, il y a un comité républicain qui, lui, se penche sur la composition de la Commune et ses élus : « Les élus de la Commune doivent avant tout sortir des entrailles du peuple. Assez d’avocats, de journalistes, assez de poètes et de rêveurs ! Il faut une bonne fois que les travailleurs, ceux qui connaissent la vie toutes les misères et les souffrances arrivent à la Commune ».
Au club de la Reine blanche, on se pose le problème des rapports avec l’armée : « La Commune nous débarrassera de la dictature militaire. Elle divisera le commandement entre plusieurs généraux et derrière chacun d’eux, elle placera un commissaire de la République chargé de lui brûler la cervelle en cas de trahison ». Il existe aussi des réflexions sur l’économie. Par exemple, lors d’une réunion à l’Élysée-Montmartre, il y a cette réflexion : « La Commune comme tous les gouvernements du monde aura besoin d’argent. Mais il lui en faudra moins qu’aux autres parce qu’elle aura soin de décréter l’égalité des appointements et des salaires. Mais encore lui en faudra-t-il. Où le prendra-t-elle ? D’abord dans les églises où abondent les ornements d’or et d’argent dont elle fera de la monnaie. Elle confisquera les biens du clergé, des congrégations religieuses, des bonapartistes et des fuyards. Avec le fruit de ces différentes confiscations, elle nourrira le peuple, elle commanditera des associations ouvrières qui remplaceront les patrons, les grandes compagnies et, en particulier, les compagnies de chemin de fer dont elle congédiera les actionnaires, les administrateurs et les autres parasites ».
Donc, on le voit : dans ce calme relatif qui s’est imposé à la fin de l’année 1870, il y a bien une véritable ébullition idéologique et politique. Et bien des idées qui vont ensuite nourrir l’action de la Commune sont en train d’émerger en écho à ce bouillonnement politique. L’Internationale – en fait, l’Association internationale des travailleurs, qui regroupe le courant socialiste, communiste, révolutionnaire du mouvement – publie une longue déclaration dans laquelle elle développe l’ensemble des revendications et propositions notamment en matière de contenu social de mesures à prendre. Cette déclaration se conclut ainsi : « l’avènement de la République est un leurre s’il n’est pas aussi celui de la justice. Nous voulons enfin la terre aux paysans qui la cultivent, la mine aux mineurs qui l’exploitent, l’usine à l’ouvrier qui la fait prospérer. Vive la République universelle, démocratique et sociale ».
Point d’orgue de cette période d’agitation : le 6 janvier 1871, est placardée dans Paris une déclaration qui vient des délégués des vingt arrondissements qui, on l’a vu, constituent la partie la plus radicale et le début d’organisation du mouvement. Cette déclaration est connue par les historiens sous le terme de « deuxième affiche rouge ». L’écrivain Jules Vallès a participé à sa rédaction. C’est une dénonciation féroce de la politique menée par le gouvernement. La fin de la déclaration est explicite : « Si les hommes de l’Hôtel de ville ont encore quelque patriotisme, leur devoir est de se retirer, de laisser le peuple de Paris prendre lui-même soin de sa délivrance. Place à la Commune ! Place au peuple ! »
Cette dénonciation est une sorte d’annonce de la Commune, mais elle n’aura pas de conséquence immédiate. Au-delà de tous ces évènements et de ce bouillonnement idéologique, un élément surdétermine toute la situation : le siège entrepris par les Prussiens, qui bombardent Paris. Il y a des soties de troupes et des affrontements sporadiques se produisent mais sans grands résultats sinon, à chaque fois, des morts. Progressivement, les effets du siège se font sentir, notamment en ce qui concerne la nourriture. Lissagaray, l’historien de la Commune déjà cité, décrit la situation en ces termes : « La faim piquait plus dur, d’heure en heure. La viande de cheval devenait une délicatesse. On dévorait les chiens, les chats et les rats. Les ménagères, au froid et dans la boue du dégel, guettaient des heures entières une ration de naufragé ».
Comme la situation quotidienne s’aggrave et qu’elle apparaît sans issue, la demande d’une offensive pour briser le siège commence à monter en puissance parmi la population parisienne, notamment au sein de la Garde nationale qui est une troupe très intégrée à la population. Le gouvernement, lui, est hostile à cette idée d’offensive. Il estime même que « la Garde nationale ne sera satisfaite que lorsqu’il y aura 10.000 gardes nationaux par terre ». Néanmoins, pour calmer les Parisiens, il déclenche une attaque, le 19 janvier. Dans un premier temps, cela contribue effectivement à desserrer l’étau autour de Paris, essentiellement grâce à l’action des membres de la Garde nationale. Et puis, les généraux décident le repli.
Lissagaray raconte comment cela se passe et comment cela est ressenti : « les généraux qui avaient à peine daigné communiquer avec la Garde nationale déclarèrent qu’elle ne supporterait pas une seconde nuit ». Trochu (ndlr : le dirigeant militaire de Paris) fit évacuer Montretout (ndlr : la colline surplombant Saint-Cloud) et toutes les positions conquises. Des bataillons qui revenaient criaient de rage. Tous comprirent qu’on les avait fait sortir pour les sacrifier ».
Après cet échec qui a fait quand même plusieurs milliers de morts, les rumeurs d’armistice et de capitulation se précisent. C’est dans ces circonstances que le 22 janvier se déroule une manifestation, place de l’Hôtel de ville, pour dénoncer le gouvernement et s’opposer à la capitulation. En pratique, la manifestation prend assez vite un tour insurrectionnel : une partie importante des manifestants est constituée de gardes nationaux qui sont venus avec leurs armes. Des échanges de coups de feu se produisent, puis les gendarmes et les bataillons de l’armée régulière dispersent le rassemblement. Une trentaine de manifestants sont tués. Une vingtaine sont arrêtés. Ils échappent de peu à l’exécution sommaire, mais sont destinés à comparaître devant des tribunaux militaires. Le gouvernement procède à une vague d’arrestations dans les milieux républicains et révolutionnaires. Il décide la fermeture des clubs et l’interdiction de certains journaux comme « Le Réveil » et « Le Combat », qui sont des publications de la mouvance républicaine.
Les évènements s’enchaînent alors assez rapidement. Le 26 janvier, les Prussiens arrêtent le bombardement de Paris. Le 28 janvier, un armistice est annoncé et, dès le lendemain, c’est la capitulation. Les conditions de cette capitulation sont absolument draconiennes : les forteresses qui protègent Paris seront désarmées ; toute l’armée – c’est-à-dire l’armée régulière, pas la Garde nationale – est considérée comme prisonnière. Paris doit payer 200 millions sous quinze jours. Une nouvelle Assemblée nationale doit être élue, également sous quinze jours.
Pourquoi cette obligation d’élire une nouvelle Assemblée nationale ? C’est parce que le gouvernement français n’est pas issu d’une élection : il s’est auto-désigné le soir du 4 septembre 1870, au moment de la proclamation de la République. Quant au Parlement, il a été élu sous l’Empire et sa majorité ne correspond plus à la réalité de l’opinion. De plus, l’Empire est un régime qui a désormais été aboli. Il s’agit donc de constituer une autorité politique qui ait une légitimité suffisante afin de pourvoir entériner la capitulation. Les élections législatives sont fixées au 8 février.
Il faut cependant noter que si l’armée est prisonnière, ce n’est pas le cas de la Garde nationale. Celle-ci a même été autorisée à conserver ses armes.
C’est là élément qui va jouer un grand rôle par la suite.
François Coustal