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La Commune. Épisode 4 : le soulèvement du 31 octobre 1870

Donc, fin octobre, deux évènements vont provoquer le soulèvement. Et là, il s’agit d’un soulèvement : ce n’est plus seulement une manifestation ou une démonstration de force, le début d’une insurrection qui mettre en cause l’existence même du gouvernement.

Le 28 octobre, des francs-tireurs parisiens ont fait une sortie et ont réussi temporairement à s’emparer du Bourget, une commune à quelques kilomètres de Paris. Face à la contre-attaque allemande, ils espèrent que le gouvernement de défense nationale va organiser une sortie massive pour leur permettre de tenir le Bourget. En fait, ce ne sera absolument pas le cas. Et le résultat sera la reprise du Bourget par les Allemands et la mort d’un millier de combattants parisiens. Donc, l’accusation qui monte contre le gouvernement est d’être responsable de la défaite, cette défaite-là. Au même moment, le gouvernement dément les rumeurs selon lesquelles l’armée française dirigée par le Maréchal Bazaine aurait capitulé à Metz, une place forte encore tenue par l’armée française. De fait, ce n’est pas une rumeur… mais un fait que le gouvernement va être obligé de reconnaître le lendemain. Au même moment, le gouvernement envoie Thiers à Versailles, vraisemblablement pour négocier un armistice avec Bismarck. De quoi nourrir encore les accusations populaires de trahison…

C’est tout cela qui est à l’origine de la manifestation, puis du soulèvement, du 31 octobre. Ce jour-là, petit à petit, la foule parisienne mécontente – cette foule comprend des éléments de la garde nationale – se rassemble devant l’Hôtel de ville. Selon les historiens de l’époque, beaucoup viennent des quartiers populaires de l’Est parisien. Comme on va le voir, il s’agit d’une réaction spontanée sans véritable préparation ni objectif décidé à l’avance. Progressivement, plusieurs vagues de manifestants vont envahir l’Hôtel de ville, qui est alors le siège du gouvernement, l’occuper et, au passage, séquestrer des membres du gouvernement qui sont présents, comme Jules Ferry, Jules Favre ou encore le général Trochu, responsable de l’armement militaire.

Les insurgés se réunissent alors dans la plus grande pagaille, dans les différentes salles où ils vont exprimer des revendications différentes et proposer des listes de noms, des listes variées pour différentes fonctions possibles, sans qu’il y ait accord ni sur les listes de noms, ni sur ce que doivent être les responsabilités de ces personnalités que l’on désigne. Pour les uns , il s’agit d’organiser été de mettre en place une commission qui devra organiser rapidement des élections municipales à Paris. Pour d’autres, c’est de la formation d’un gouvernement dont il s’agit. Un gouvernement qui devrait remplacer le gouvernement actuel, dont une partie des manifestants proclame la déchéance. Et enfin, d’autres encore – c’est une référence à la Révolution française – parlent de la mise en place d’un comité de Salut public.

Dans l’Hôtel de ville en ébullition, il y a à la fois une très grande énergie révolutionnaire – c’est donc très différent du 8 octobre – il y a beaucoup de monde qui participe à l’action et, en même temps, une énorme désorganisation, une absence complète de direction du processus. Pendant ce temps, les partisans du gouvernement ne restent pas inertes et, en pratique, organisent la contre-offensive pour rétablir son pouvoir.

Pour décrire la fin de cette journée, laissons la parole à Lissagaray, le grand historien de la Commune qui décrit ainsi l’ébullition : « On se perd dans un dédale d’imbroglios. Chaque salle a son gouvernement, ses orateurs. Si noire est la tourmente que, vers 8 heures, des gardes nationaux réactionnaires peuvent sous le nez d’une foule monstre enlever Trochu et Ferry (pour les libérer). D’autres, à côté, emportent Blanqui que des francs-tireurs libèrent immédiatement ». Dans le cabinet du Maire, Arago et ses adjoints convoquent pour le lendemain les électeurs, vers 10 heures. Leur affiche – qui annoncent les élections – est placardée dans Paris. La plupart des bataillons pour la Commune, c’est-à-dire ceux qui sont favorable à la Commune, croyant les élections gagnées, regagnent leurs quartiers.

Jules Ferry – qui a été libéré par d’autres gardes – a mis sa liberté à profit : il a réuni quelques bataillons, essentiellement un bataillon de bretons qui ne comprennent pas le français. A trois heures du matin, le bataillon breton déboule sur l’Hôtel de ville. En gros, c’est la fin de la journée : les derniers ministres encore retenus sont libérés ; les derniers insurgés présents sont dispersés. Lissagaray conclut ainsi le récit de cette journée : « Ainsi s’évanouir en fumée une journée qui aurait pu revivifier la défense. L’incohérence des hommes d’avant-garde (ndlr : les hommes d’avant-garde sont ceux qui ont été à l’origine de l’occupation de l’Hôtel de ville) refusent au gouvernement sa virginité de Septembre. Il exploita cette nuit même, arracha les affiches (ndlr : les affichent qui convoquaient les aux élections pour le lendemain) et accorda les élections municipales pour le 5 novembre, mais les fît payer d’un plébiscite ».

Alors, malgré les promesses qui avaient été faites à la fin de la journée, le gouvernement fait arrêter une dizaine des animateurs des courants révolutionnaires et radicaux. Auguste Blanqui et Gustave Flourens échappent à l’arrestation, mais sont contraints de passer à la clandestinité. Le résultat de cette mobilisation est quand même l’organisation d’un référendum-plébiscite et d’élections. Cela suggère un constat, dont la portée dépasse cette journée d’octobre 1870 : troquer un rapport de force acquis lors d’un grand moment de mobilisation populaire contre le retour au terrain électoral, en espérant traduire sur ce terrain le rapport de force s’avère un choix extrêmement aléatoire. D’autant que la première échéance est un référendum où c’est le gouvernement qui organise le scrutin et qui choisit la question.

Que va donner ce scrutin ? Venant après la journée du 31 octobre et l’échec de cette journée, il va sanctionner un reflux. Un reflux certes temporaire, mais indéniablement un reflux du mouvement populaire. La question posée a le mérite de la simplicité : « la population de Paris maintient-elle OUI ou NON les voix du gouvernement de défense nationale ? ». C’est la logique à peu près immuable de tous les plébiscites : moi ou le chaos, le statut quo ou l’aventure. Or ce qu’a montré la journée du 31 octobre est que la gauche populaire, celle qui veut pousser le mouvement le plus loin possible, a bénéficié d’une dynamique, qui a des capacités de mobilisation non négligeables. Mais cette journée a aussi mis en valeur la dispersion de cette gauche-là, son haut niveau d’improvisation et de désorganisation, son absence de projet et de stratégie bien définie.

Donc, dans ce contexte, le résultat de la consultation qui a finalement lieu le 3 novembre est sans appel : le « OUI » – donc le « Oui » au gouvernement – recueille 321373 suffrages contre 53.584 pour le « NON ». Le scrutin a donc conforté l’autorité du gouvernement de défense nationale et, parallèlement, mis en évidence un certain isolement des révolutionnaires. Quelques jours après, du 5 au 8 novembre sont organisées les élections municipales parisiennes. Pour les révolutionnaires et le secteur radical du mouvement populaire, les résultats sont meilleurs que ceux du plébiscite. Et pourtant, les deux scrutins se déroulent à quelques jours d’intervalle… Deux arrondissements, le XIX° et le XX° – toujours dans l‘Est parisien – ont élu des municipalités qui sont dirigées par des révolutionnaires. Trois autres arrondissements – les III°, le XI° et le XVIII° ont élu des municipalités dirigées par des républicains radicaux, partisans de la résistance à l’occupation étrangère. Donc beaucoup plus radicaux que le gouvernement central.

Il y a donc globalement le sentiment d’une occasion manquée et une forte déception collective. Mais il y a aussi quelques éléments qui laissent penser qu’un rebond du mouvement populaire est possible…

François Coustal