On a vu comment s’était déployée l’œuvre de la Commune dans le domaine social au cours du mois d’avril 1871 et l’on indiquait en conclusion de l’épisode précédent que la mobilisation des femmes y avait joué un rôle essentiel. Le 11 avril paraît un premier « appel aux femmes », rédigé par l’Union des femmes, qui se caractérise par son contenu radical, notamment sur le plan social alors que de nombreux Communards se situent souvent, pour l’essentiel, sur le terrain des libertés publiques, de la démocratie et de la République. L’appel aux femmes affirme sans ambiguïté : « nos ennemis sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de nos misères ». L’appel identifie l’un des obstacles majeurs à l’émancipation ouvrière d’une manière qui anticipe des dizaines d’années de débats pour articuler féminisme et lutte des classes : « toute inégalité et tout antagonisme entre les sexes constitue une des bases du pouvoir des classes dominantes ».
Dès le lendemain, le 12 avril, sont publiés les statuts de cette nouvelle organisation : « l’Union des femmes » ou, pour prendre son titre exact, le « Comité central de l’union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés ». En fait, c’est dès le début des mobilisations qui ont débouché sur la Commune que les femmes ont participé activement au mouvement. En janvier et février 1871, lors de la floraison de clubs politiques et de comités qui se créent à Paris, on note la création d’organisations de femmes : des comités de citoyennes, des comités de vigilance comme celui du XVIII° arrondissement qui compte Louise Michel dans ses rangs, ou encore l’association civique des citoyennes du VI° arrondissement.
Et puis, bien sûr, il y a eu l’évènement fondateur de la Commune : l’insurrection du 18 mars. Lorsqu’au petit matin l’armée a voulu s’emparer des canons aux Buttes-Chaumont, c’est une foule essentiellement composée de femmes qui a entouré la troupe, qui l’a immobilisée, a désagrégé son obéissance aux ordres et, en provoquant les scènes de fraternisation, a finalement donné l’impulsion à l’insurrection. Début Avril, lorsque les Communards commencent à discuter sur la reprise de l’offensive, une manifestation de femmes se rassemble Place de la Concorde, puis au Pont de Grenelle et veut marcher sur Versailles.
Le 12 avril, se crée officiellement le Comité central de l’union des femmes pour la défense de Paris et des soins aux blessés : c’est une organisation très structurée, plus structurée que bien des clubs politiques. Ce Comité central est composé de déléguées d’arrondissements. Il est animé par une Commission exécutive qui comprend notamment : Nathalie Lemel, ouvrière relieuse ; Élisabeth Dmitriev, intellectuelle russe qui sera fait citoyenne de Paris ; Marceline Lexous, couturière ; Blanche Lefevre, modiste qui sera tuée sur les barricades, fin mai ; Aline Jacquier, brocheuse ; Thérèse Collin et Aglaé Jarry.
Cette Union des femmes développe une activité considérable en termes de réunions publiques dans les différents arrondissements, d’administration des soins aux blessés, de permanence pour la collecte et la distribution de la nourriture pour les veuves et les orphelins. Mais, justement, l’Union des femmes ne veut pas être confinée aux tâches de soins, d’entraide et de solidarité, tâches souvent dévolues aux femmes, à cette époque… comme après. L’Union des femmes s’intéresse en priorité au travail salarié. Elle considère que « dans l’ordre social du passé , le travail de la femme était le plus exploité et sa réorganisation immédiate est de toute urgence ». C’est pourquoi très rapidement l’Union des femmes revendique auprès de la Commission du Travail et de l’Échange de la Commune « d’être chargée de la réorganisation du travail des femmes en commençant par leur accorder l’équipement militaire ». Cette revendication sera satisfaite, en accord avec la Commune et, sous l’impulsion de l’Union des femmes, des associations productives de travailleuses se constituent.
Anticipons un peu sur la chronologie : au mois de mai, dans la prolongation de ce mouvement de créations d’associations, paraîtront les statuts généraux des associations productives fédérées de travailleuses. De quoi s’agit-il ? Ces statuts prévoient que les associations productives dépendent des comités d’arrondissement de l’Union des femmes et que leurs membres soient par là-même membres de l’Association internationale des travailleurs qui est le courant le plus influent au sein de l’Union des femmes. A l’article 3 de ces statuts, on détaille la fonction de ces associations productives : « les dites associations par l’intermédiaire du Comité Central se mettront en rapport avec les sociétés productives qui existent en France et à l’étranger pour faciliter l’exportation et l’échange des produits. A cet effet seront employées des placeuses et des commis-voyageuses ». Il s’agit donc d’organiser la production et la distribution dans un cadre associatif et coopératif afin, notamment, de promouvoir le travail féminin et l’emploi des femmes.
Les femmes qui participent à la Commune, notamment l’Union des femmes, revendiquent l’égalité des salaires entre hommes et femmes. Cette revendication connaîtra un début d’application dans un seul secteur, celui qui dépend de la Commune : l’éducation. Les salaires des instituteurs et des institutrices seront identiques. D’autres revendications surgissent comme la fermeture des maisons closes, qui est la forme que prend pour ces femmes la lutte contre la prostitution. Ou encore l’élimination des religieuses des hôpitaux et des prisons.
Dans le cadre de la priorité donnée par la Commune à l’instruction et à l’école gratuite, laïque et obligatoire – qui n’est donc pas une invention de la III° République, mais de la Commune ! – la Commune va déployer des efforts particuliers pour la création d’écoles de filles et d’écoles professionnelles ouvertes aussi bien aux filles qu’aux garçons. Parmi les réalisations de la Commune, il faut aussi noter que la pension aux blessés a été étendue aux veuves et aux orphelins. Une nouvelle étape est franchie le 17 mai 1871 – c’est pratiquement l’une des dernières décisions de la Commune – avec la déclaration de l’égalité des enfants, qu’il s’agisse d’enfants « légitimes » ou « naturels » comme on dit, ainsi que des épouses et des concubines en ce qui concerne le versement des pensions.
Afin d’étudier l’œuvre sociale de la Commune notamment en matière d’égalité entre hommes et femmes, on s’est un peu éloigné de la chronologie. On va y revenir un peu, pour évoquer la fin du mois d’Avril. Après la contre-offensive manquée de début Avril et bien qu’elle ouvre des chantiers sociaux considérables comme on vient de le voir, la Commune est en sursis et tous ses efforts sont tournés vers sa survie, sa défense politique et militaire. Car à l’Ouest de Paris, les Versaillais sont aux portes de la capitale. Ils la bombardent régulièrement, réalisent des incursions dans la ville et procèdent à des exécutions sommaires. A tel point que le 12 avril, l’archevêque de Paris écrit à Thiers, le chef du gouvernement, pour protester ; il propose également d’être échangé contre Blanqui, le vieux révolutionnaire alors emprisonné en Province. Le 21 avril, les francs-maçons tentent une conciliation entre la Commune et e gouvernement Thiers, mais sans succès.
Parmi ceux qui ont quitté Paris et se sont enfuis à Versailles, on compte beaucoup de fonctionnaires fidèles au gouvernement, ce qui a eu pour effet de désorganiser la vie économique et les pouvoirs publics. Outre sa défense militaire, la Commune est donc contrainte d’organiser en urgence certains aspects de la vie quotidienne des Parisiens. Par exemple, le 22 Avril, elle s’intéresse à l’organisation des boucheries municipales et le 25 avril à l’organisation des poids et mesures. A Versailles, le 25 Avril, quatre communards prisonniers sont exécutés sommairement. Le gouvernement Thiers décide de bloquer le ravitaillement de Paris.
C’est une nouvelle phase de la Commune qui s’ouvre avec la création, le 1er mai, du Comité de Salut Public.
François Coustal