Les élections législatives de dimanche en Italie ont vu, comme prévu dans les sondages, la nette victoire de la coalition de « centre droit » et, en son sein, du parti néo-fasciste de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia. Le système électoral en Italie donne un avantage substantiel, près de 16% à la coalition arrivée en tête, ce qui explique qu’avec seulement 44% des voix, la coalition des Fratelli d’Italia, de la Lega et de Forza Italia recueille près de 60% des sièges, tant à la Chambre des Députés qu’au Sénat. Il est encore tôt pour tirer toutes les leçons de ces élections, mais quelques points peuvent en être retenus.
Comme dans la plupart des autres pays européens, la très forte abstention, au sein principalement des classes populaires et de la jeunesse pose un grave problème de démocratie et a favorisé, quasi automatiquement l’extrême-droite. Le trouble jeu du M5S, au cours de toute la législature précédente a eu pour conséquence la division par deux de son score électoral, sa scission et sa conversion tardive à des thèmes de campagne ancrés « à gauche », lui permettant d’apparaître aux yeux de certains comme un « vote utile » contre l’extrême-droite. De son côté, le Parti Démocratique a lourdement payé ces années d’accompagnement du néo-libéralisme en Italie et la coupure qui en est résulté avec les milieux populaires dans les zones traditionnelles d’implantation du mouvement ouvrier. En réalisant un score de 1.5%, la gauche radicale, regroupée dans l’Union Populaire, n’atteint pas le seuil de 3%, nécessaire pour obtenir des élus.
Confrontées à la nouvelle majorité de droite, dont la stabilité n’est absolument pas garantie, toutes les forces politiques à la gauche du PD ( voire certains courants en son sein), de larges fractions du syndicalisme institutionnel ou du syndicalisme « de base » et les mouvements sociaux, antiracistes écologiques LGBTQI et féministes doivent maintenant se poser les questions essentielles de la reconquête politique, culturelle, idéologique, face à l’extrême-droite et à la recomposition des cadres militants permettant le développement des luttes sociales. De ce point de vue, également des bilans devront être tirés.
Nous publions ici les premières réactions de Potere al Popolo, au lendemain des élections (traduction par nos soins).
Mathieu Dargel
Ce n’est certainement pas un réveil agréable, mais il est également vrai que nous ne pouvons pas dire que nous sommes surpris.
Le scénario qui émerge de ces élections n’était pas seulement annoncé depuis longtemps dans les sondages, mais il est aussi le résultat de processus de longue date.
Tout d’abord l’abstention : le taux de participation s’élève à 63,9%, soit une baisse de près de dix points par rapport à il y a seulement quatre ans. Mais ces dix points deviennent vingt lorsqu’on les compare aux élections de 2006, au cours desquelles 84% des électeurs potentiels se sont rendus aux urnes. C’est un phénomène que nous avons également constaté lors des élections régionales et locales de ces dernières années, et c’est un énorme problème pour ceux d’entre nous qui pensent que la participation démocratique est positive avant tout pour les classes populaires, alors que cela ne semble pas être un problème pour nos élites, qui sont heureuses de partager le pouvoir entre quelques-uns, en faisant disparaître les enjeux et en réduisant la compétition électorale à une épreuve de force entre clientèles et à un spectacle entre leaders.
Parmi les abstentionnistes, il y a de tout, mais il est certain que la majorité d’entre eux viennent des classes populaires, qui se sentent éloignées des institutions, hostiles et indifférentes, des rangs des jeunes, des étudiants et des travailleurs précaires, qui n’ont pas les moyens de retourner aux urnes ou qui ont été éduqués à se méfier de la politique à tous les niveaux. Il est impossible d’espérer un renouveau du pays si ces secteurs ne sont pas impliqués…
Le centre-droit a gagné, mais nous pensons que les paroles apocalyptiques sont déplacées. D’une part, parce que face aux difficultés, il ne faut jamais désespérer, mais plutôt trouver des solutions et se battre, et d’autre part, parce qu’à y regarder de plus près, le centre-droit ne pénètre pas la société, et encore moins les classes populaires ou les jeunes. En termes absolus, il recueille à peu près le même nombre de voix qu’il y a quatre ans, et même 5 à 6 millions de moins que pendant les années dorées de Berlusconi. Ce qui s’est passé, c’est plutôt un glissement interne, d’abord de Forza Italia vers la Ligue (élections politiques 2018 et surtout européennes 2019), et enfin vers Fratelli d’Italia, une force qui a déjà été dédiabolisée depuis presque trente ans maintenant.
Il ne s’agit pas de minimiser la gravité de la situation, les risques d’un nouvel autoritarisme en termes de gestion des conflits sociaux ou dans les prisons, en termes de droits civils et de droits des femmes, pour les migrants et les deuxièmes générations, ou encore l’activisme désinhibé de personnes ayant des liens locaux avec des mafias et des groupes subversifs. Mais le fait que Meloni soit chargée de faire avancer le programme de Draghi, le néolibéralisme le plus féroce, la position pro-atlantique de l’Italie, la guerre contre les pauvres et entre les pauvres, en dit long sur les éléments de continuité entre un éventuel gouvernement dirigé par elle et tout le scénario politique qui l’a précédé, centre-gauche et 5 Etoiles compris. Il y a aussi des éléments de continuité avec le scénario européen, qui voit les effets politiques des cycles de protestation de 2008-2011 prendre fin presque partout et s’orienter vers une stabilisation de droite et conservatrice du système économique.
Et pourtant un éventuel gouvernement Meloni, traversé par de nombreuses tensions en son sein, devra immédiatement faire face à des contradictions majeures, un taux d’inflation de 10%, une augmentation généralisée du coût de la vie, un malaise social persistant, un haut niveau de tension internationale, la tendance des classes dirigeantes à consumer rapidement les personnalités politiques : il s’agit donc d’une construction fragile, qui peut être remise en cause d’abord par la rue, par les mouvements sociaux, par une opposition décisive.
Et c’est ce que nous pensons qu’il faut construire en Italie. En tant que Potere al Popolo, nous avons essayé, avec la constitution de l’Union populaire, d’ériger dès le départ une opposition parlementaire solide à la droite. Le résultat de 1,5% à la Chambre et de 1,4% au Sénat, tout en nous accordant une petite croissance d’environ 30 000 voix par rapport à 2018, nous empêche d’entrer au Parlement. Nous savions dès le départ que la tâche était colossale. Un seul mois de campagne, principalement en été – c’est la première fois que nous votons en septembre dans l’histoire de la République ! -Nous avons fait non seulement tout ce qui est possible, mais aussi l’impossible : nous avons fédéré ceux qui en Italie se battent tous les jours, nous avons utilisé les relations internationales construites au fil du temps avec Jean-Luc Mélenchon et Pablo Iglesias, nous avons rassemblé des jeunes qui étaient auparavant éloignés de la politique, nous avons utilisé le travail de ces années dans les mouvements sociaux et dans les territoires avec nos Maisons du Peuple.
Bien sûr, la chute précoce du gouvernement ne nous a pas aidés : nous nous étions engagés dans la voie unitaire en janvier 2022 et l’avions lancée publiquement en juillet 2022 pour les élections d’avril 2023 : nous avions le temps de la faire connaître, de lui donner de la force. Malheureusement, tout s’est précipité et nous n’avions pas le choix : l’alternative était d’accepter que, pour la première fois dans l’histoire italienne, un point de vue autonome et de classe disparaisse lors des élections.
En résumé, dans les conditions données, nous avons fait de notre mieux et nous ne pouvons rien nous reprocher. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une certaine déception du fait que nous vivons à une époque où nous récoltons beaucoup moins que ce que nous semons, où tant d’efforts sont déployés pour de maigres résultats. Nous sommes de vraies personnes, pas des surhommes, et il n’y a rien de mal à l’admettre.
Mais il est également vrai que les temps changent et que nous devons accélérer ce changement et être prêts quand il arrivera. C’est pourquoi nous devons maintenant faire ce que les électeurs nous demandent de faire : continuer à construire l’Union populaire. Nous pensons que pour ce faire, il est également nécessaire de donner une représentation à une majorité de la population qui était opposée à la guerre et qui paiera les conséquences économiques de la guerre. Ce besoin, comme nous le montre la poussée spéculative sur le gaz et l’électricité, est fort. Nous devons élargir ce front, en partant des conflits sociaux et des sujets en lutte, dans le but d’offrir une perspective générale, d’enraciner le projet dans les territoires, dans le discours public, de le rendre crédible.
Nous devons nous organiser de mieux en mieux, car nous ne sommes pas nés pour témoigner mais pour changer ce pays, puisque ce sont nos vies qui sont menacées en premier lieu. Le premier test sera précisément la construction d’une opposition sociale. Déjà dans les semaines à venir, vous nous trouverez dans les rues, dans les Maisons du Peuple, dans les lieux d’étude et de travail pour animer les luttes, à commencer par la manifestation de GKN et des Vendredis pour l’avenir le 22 octobre et la grève générale du syndicalisme de base contre la guerre le 2 décembre.
Nous remercions les plus de 400.000 personnes qui ont voté pour nous, des personnes libres, qui l’ont fait sans aucun profit, avec courage, en évitant le chantage du vote utile et de l’idéologie dominante, et nous leur demandons de continuer avec nous. Rejoignez-nous, participez à nos initiatives, ouvrez une nouvelle assemblée territoriale : les occasions ne manquent pas de se faire entendre contre le gouvernement le plus à droite de l’histoire de la république. Ne dispersons pas cette richesse humaine dont nous avons constaté le réel potentiel au cours de ces deux mois !
Un grand merci à nos candidats qui ont tout donné et nous ont représenté au mieux, à tous les militants qui ont récolté des signatures en août et qui travaillent chaque jour dans l’ombre pour construire un avenir meilleur, à tous ceux qui continuent de montrer par leur exemple qu’un autre monde est possible !
Potere al Popolo