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Italie. Loi sur le budget : le compromis des bandes du Capital

Le long va-et-vient entre le gouvernement italien et la Commission européenne [l’exécutif européen] s’est conclu sans rupture, sans ouverture d’une procédure pour infraction aux règles communautaires, sous le signe du compromis, avec des concessions significatives de la part du gouvernement jaune-vert[1], malgré des indicateurs financiers fort éloignés des règles rigides du fiscal compact[2]. Les choses se sont déroulées conformément aux propos tenus en septembre par le commissaire aux Affaires économiques, Pierre Moscovici (PS) : « Nous n’avons rien à gagner dans une crise entre l’Italie et la Commission, mais nous avons intérêt à voir l’Italie réduire son déficit public, qui reste explosif »[3].

La courbe du déficit annuel passe de 2,4 à 2 %, les mesures de politique financière sont largement révisées, l’Italie reste sous surveillance spéciale et, bientôt, auront lieu de nouveaux contrôles sur la mise en pratique des mesures ainsi définies. Mais les rapports restent amicaux, comme auparavant.

L’affrontement entre les bandes du Capital

La raison en est simple : les différents sujets économiques et politiques qui se sont affrontés sont tous, sans exception, l’expression d’intérêts spécifiques de divers secteurs du patronat et d’intérêts plus généraux de la bourgeoisie. A l’exception de quelques différends partiels tournant autour du nationalisme, aucun ne remet en cause les logiques du marché capitaliste, ni le tournant ultralibéral qui domine le monde depuis des décennies, ni les politiques d’austérité contre les salariés, ni la totale flexibilité de la force de travail. Et, du moins jusqu’à présent, aucun ne s’est réellement attaqué à la structure institutionnelle européenne, si utile à leurs yeux, que même les forces émergentes de la droite nationaliste ne veulent, pour l’heure, qu’adapter à leurs besoins spécifiques.

Les discussions de ces derniers mois ont mis en évidence les ambiguïtés, l’hypocrisie et les artifices propagandistes du gouvernement jaune-vert, tout autant que de ses oppositions, le Parti démocratique (PD)[4] avant tout, mais aussi la Commission européenne et les représentants des forces économiques et financières dominantes.

Comme dans les westerns de série B, Matteo Salvini [Lega] et Luigi Di Maio [M5S], ainsi que les forces patronales qui les soutiennent, se sont entendues sur le butin avec leurs adversaires, chacun garantissant à ses mandants leur part de richesses résultant de l’exploitation de la classe des travailleurs. Le décor étant donné par ces temps de grandes turbulences du système capitaliste et de redéfinition des rapports de forces entre les divers sujets capitalistes.

Ce sont des tensions et des affrontements qui s’expriment principalement sur le plan de la production économique, mais qui se prolongent sur le plan politique, sur les choix des partis gouvernementaux, sur les grandes options de gouvernance des sociétés capitalistes.

Celui qui ne comprend pas ces éléments de fond risque d’achopper sur tel ou tel slogan propagandiste correct de l’un ou l’autre des deux protagonistes gouvernementaux, destiné à construire un consensus partisan, faisant ainsi le jeu de ces deux ennemis des salariés, au détriment de l’indépendance des projets que les travailleurs doivent mettre en avant pour trouver une issue à la crise actuelle.

D’un côté on a les affirmations démocratiques et les prétentions européanistes des forces du centre gauche et du centre droit, qui tiennent de la pure hypocrisie. En effet, ces dernières ont occupé les postes dirigeants de l’Union européenne (UE), défendant la mise en place des politiques économiques et financières de l’UE. Ce faisant, elles ont porté à bout de bras les politiques d’austérité qui ont multiplié les divisions entre les salariés du continent, produisant des millions de sans-emploi et détruisant les conquêtes sociales fondamentales – sans parler d’étranglement et de la mise à genoux des travailleurs grecs –, dans le but de garantir les rentes et les profits de la bourgeoisie. Elles ont même œuvré à introduire des formes de gouvernement autoritaire.

De l’autre côté, on a les dangereux projets nationalistes, réactionnaires et xénophobes de la droite et de l’extrême droite, qui s’affirme partout en Europe, sur fond de dégradation sociale déterminée par les politiques libérales. Des politiques qui ont produit de terribles tragédies historiquement, et qui aujourd’hui révèlent leur face patronale violente, en Hongrie avec la « loi esclavage »[5], en Italie avec le décret du ministre de l’Intérieur Matteo Salvini sur la sécurité (Decreto sicurezza[6]).

L’accord sur le budget trouvé avec l’UE contraint le gouvernement italien à :

– couper 10 milliards d’euros dans le budget et mettre en suspens 2 autres milliards pour couvrir des imprévus ;

– réduire les prévisions de croissance économique – définies à rebours du bon sens – prises en compte pour établir le budget, de 1.5 % du Produit intérieur brut (PIB) à 1 % ;

– prévoir un rapport déficit public/PIB de 2 % pour 2019, 1,8 % pour 2020, 1,5 % pour 2021 ;

– renforcer les fonds pour clauses de sauvegarde pour la taxe sur la valeur ajoutée [TVA, l’impôt indirect sur la consommation][7], qui passeront à 23,1 milliards d’euros (au lieu de 13,7) en 2020 et à 28,7 milliards (au lieu de 15,5) en 2021. Cela représente 52 milliards d’euros à trouver en 3 ans, faute de quoi le taux de TVA ordinaire devra passer [de 22 %] à 25,2 % (puis 26,5 %) et les taux réduits [d’un maximum de 10 %] à un maximum de 13 % !

Une quadrature du cercle pour 2019 faite de larmes et de sang, mais qui assurera toutefois et pour quelque temps encore la survie du gouvernement jaune-vert. Et l’ouverture, pour les années suivantes, de scénarios économiques et budgétaires cauchemardesques.

S’il est vrai que les prétendus « faucons européens » exigeaient davantage de sacrifices pour réduire la dette et respecter les règles du fiscal compact, il est aussi vrai que les hyperboles ultralibérales ne sont pas des lois d’airain, qu’elles dépendent constamment de médiations politiques contingentes, de rapports de force entre les pays. À plus forte raison dans cette phase politique marquée par le Brexit, par la crise du macronisme et par le mouvement des gilets jaunes, par l’inquiétude que procurent les prochaines élections européennes. Dans ce contexte, une crise ouverte avec l’Italie, l’un des plus grands pays de l’Union européenne, aurait été trop dangereuse. Chacun avait un besoin urgent de sauver la face.

Pire encore, on assiste aujourd’hui à un nouveau recul sur le terrain de la démocratie bourgeoise, déjà entamée par des années d’étouffement du débat parlementaire et du recours au vote de confiance pour forcer les décisions. En effet, la loi sur le budget, autrement la principale loi du pays, n’a souffert d’aucune discussion, même pas formelle. Députés et sénateurs ont attendu passivement, pendant des semaines, que les deux chefs de guerre de la Lega et du M5S [Matteo Salvini et Luigi Di Maio] trouvent un accord. Et c’est seulement après ça que Giuseppe Conte [président du Conseil des ministres] et Giovanni Tria [ministre de l’économie et des finances] ont rejoint la « convergence » avec Jean-Claude Juncker [président de la Commission européenne] et ses confrères. Députés et sénateurs doivent ainsi lever la main pour approuver un texte qui leur est quasi inconnu[8].

Le poids de la loi budgétaire

Bref, les mesures budgétaires ont été ramenées à 31 milliards d’euros, ce qui signifie qu’elles ont été réduites de 9 milliards, auxquels s’ajoutent 1,2 milliard de rentrées supplémentaires. Les deux mesures phare de la Lega et du M5S, soit le revenu de citoyenneté[9] et la réforme des retraites dite quota 100[10], et qui n’ont par ailleurs jamais été clairement codifiées, seront définies par des décrets mais elles ont d’ores et déjà été réduites globalement de 4.6 milliards d’euros. Nous verrons comment le gouvernement va se débrouiller pour à la fois contenir la dépense publique selon les normes ainsi définies, et oblitérer les dépenses pour les retraites et le revenu de citoyenneté. Les paris sont ouverts et l’avenir réserve d’amères surprises à ceux qui ont placé leur espoir dans ces mesures. Quoi qu’il en soit, les choses commenceront à se mettre en place dans les mois à venir.

La réduction de plus de 4 milliards de ces dépenses ne pourra être compensée que partiellement par une meilleure utilisation des fonds européens et par une marge de dépassement de 0,2 % du PIB, que la Commission européenne a concédée pour les dépenses en infrastructures et pour les interventions contre les dégâts hydrologiques [glissements de terrains, etc.]. D’autres économies budgétaires importantes ont été imparties aux chemins de fer, au financement des politiques communautaires, au fond pour la cohésion territoriale, au fonds d’investissement pour [l’administration publique]. Certaines modestes mesures de réduction de l’allégement fiscal pour les entreprises ont également été prises.

Les plus grandes entrées fiscales devraient venir, encore une fois, des taxes sur les jeux [d’argent], de la web tax [taxation des entreprises qui opèrent sur le Web] et d’une révision du système des crédits d’impôts [autrement dit des ristournes d’impôts accordées à certaines entreprises pour encourager l’investissement]. Mais elles devraient aussi et surtout provenir des cessions [ventes] immobilières du secteur public et du doublement (de 12 à 24 %) de l’impôt sur le revenu des sociétés (IRES) pour les entreprises non commerciales, y compris celles non lucratives. Ce qui a soulevé les protestations des évêchés, qui craignent pour leurs associations d’aide sociale et de bénévolat.

Quatre autres mesures significatives sont introduites, qui pénalisent durement le travail, le revenu, la démocratie et les territoires :

– La première est le moratoire sur les engagements dans la fonction publique, qui ne suffisaient déjà que partiellement à répondre au turnover [remplacement des départs].

– La deuxième concerne les subventions à l’édition, frappant nombre de publications dérangeantes, notamment le Manifesto [un quotidien de la gauche dite extraparlementaire] et l’Avvenire, le journal des évêques.

– La troisième, la plus grave, réside dans la diminution des versements à l’INAIL [l’assurance obligatoire maladies et accidents professionnels], alors que la déréglementation des conditions de travail produit un surcroît d’accidents de travail déclarés ou non déclarés ; une économie de quelque 1.5 milliards d’euros pour les entreprises dans ces 3 prochaines années. Cela fait des années que les entrepreneurs se présentent devant les commissions parlementaires pour demander de pouvoir mettre la main sur le petit magot de l’INAIL, qui s’élevait à environ 2 milliards d’euros ; ils ont été finalement satisfaits.

– La quatrième consiste dans la réduction, au cours des 5 années à venir, des retraites les plus élevées, probablement seulement celles calculées selon le système rétributif[11], ce qui n’est pas un hasard. Cette mesure, frappant le salaire indirect, est un cheval de Troie pour son extension aux retraites plus modestes. La subdivision des retraites en 7 paliers au lieu de 4, comme c’était le cas jusqu’ici, devrait quant à elle induire une économie, autrement dit un vol aux dépens des retraités, de 2,2 milliards d’euros en trois ans, nets d’impôts ; mais selon le quotidien économique Il Sole 24 Ore, il s’agirait plutôt de 10 milliards !

À cela il faut ajouter un milliard de coupes sombres, que devront réaliser les communes, au moment où le gouvernement s’apprête à signer un accord, avec les présidents des régions Lombardie et Vénétie, qui leur accorde une autonomie budgétaire « différenciée », en matière scolaire, sanitaire et d’autres services publics : elles recevront directement un pourcentage des impôts versés par leurs contribuables et pourront en disposer librement.

Une autre mesure permettra d’adjuger un mandat public, jusqu’à une valeur de 150’000 euros (40’000 précédemment), sans mise au concours. Inutile d’expliquer ici le surcroît de pouvoirs dans les mains des syndics [maires] et l’encouragement à la corruption – déjà structurelle dans le capitalisme et à plus forte raison dans le capitalisme dans sa phase ultralibérale – que représente cette disposition.

Suite au blocage des subventions locales, les régions et les municipalités auront en outre le loisir de changer les divers impôts spécifiques locaux : l’Irap (impôt régional sur les activités productives), l’Imu (impôt municipal global), le Tasi (impôt sur les services municipaux), l’Irpef régional et municipal (impôt régional et municipal sur le revenu). Cela devrait représenter un milliard de prélèvements supplémentaires, frappant évidemment durement les petits revenus et les retraités.

Mentionnons également l’impôt de 1,5 % sur les remises [versements] vers des pays extra-UE. Une mesure infâme qui touche essentiellement les immigrées et les immigrés qui transfèrent des sommes gagnées par leur travail pour soutenir les familles restées au pays. C’est clairement de l’acharnement sadique et féroce, absolument injustifiable. Une expression particulièrement claire de la médiocrité des personnages qui peuplent ce gouvernement de salauds.

Une autre mesquinerie qui, couplée à celle que nous venons de mentionner, illustre l’idéologie réactionnaire de ce gouvernement : une dérogation octroyée aux professionnels de la santé [professionnels du paramédical, de la prévention, physiothérapeutes, techniciens de laboratoire, logopédistes, sages-femmes, etc.], pour se faire enregistrer officiellement, pour autant que la personne ait travaillé au moins 36 mois dans les 10 dernières années, sans avoir pour autant suivi de formation certifiée, sans avoir acquis les connaissances adéquates, sans avoir passé de tests. Une farce de mauvais goût, une lourde menace de plus sur la santé publique.

En résumé

Pour résumer, la loi budgétaire remodule les entrées et les dépenses dans une logique strictement ultralibérale, déterminée par le fiscal compact. Mais c’était déjà le cas dans sa première version [de septembre, avec 2,4 % de déficit (cf. l’article disponible sur https://anticapitalista.org/2018/09/28/la-realta-della-finanziaria-dei-due-soci-di-governo/).

Les plus grandes dépenses concernent les clauses de sauvegarde de la TVA (12.4 milliards rien que pour cette année), la réforme des retraites selon le nouveau système dit quota 100, le revenu de citoyenneté (à combien s’élèvera-t-il et quand ?), les divers aménagements fiscaux en faveur des entreprises, une première et partielle introduction de la flat tax[12], les investissements qui restent toutefois réduits.

Parallèlement, toutes les normes qui ont réduit en miettes le droit du travail, garantissant plus de précarité et d’exploitation du salarié, ont été maintenues. Ce n’est pas un hasard si les salariés ne figurent pas dans cette loi budgétaire, eux qui ne jouissent d’aucune prébende.

L’argent pour les dépenses est récupéré en partie par quelques mesures touchant les banques et les assurances, l’évasion fiscale, les taxes sur le tabac et les jeux, mais aussi la vente des biens immobiliers publics, avec le droit de les réaffecter par une procédure rapide, mettant aux mains de promoteurs immobiliers et des spéculateurs les quartiers historiques des villes du pays. Sans oublier les amnisties fiscales, qui permettent des rentrées tout en favorisant ceux qui ont évadé le fisc.

D’autres ressources viendront du maniement du déficit public, mais aussi de certaines mesures dont les médias parlent fort peu, surtout en termes de quantification, ce que nous avons déjà eu l’occasion de traiter dans notre analyse de la première version de la loi budgétaire. Il s’agit des coupes dans les budgets des ministères, pour l’essentiel elles consisteront en économies sur les dépenses publiques et sur l’immigration. Au total quelque 7 milliards d’euros de coupures dans les dépenses, qui pèseront très lourds, s’ajoutant à celles opérées au cours de ces dernières années, et qui déploieront leurs effets dramatiques lorsque la population vérifiera à ses dépens les effets de l’indisponibilité de certains services publics.

Dès le début il s’agissait d’une dure loi libérale, construite en outre sur des chiffres et des prévisions fantaisistes (opérations déjà engagées par les gouvernements précédents au demeurant). Le gouvernement jaune-vert a cru pouvoir exagérer et ruser, mais il n’a pu tenir l’affrontement ni avec les composantes fondamentales de la bourgeoisie italienne et européenne ni avec la logique du marché capitaliste. Pour la simple raison que Salvini et Di Maio n’ont jamais eu l’intention ni le moindre intérêt à rompre avec elles (et de toute façon ils n’en ont pas les moyens).

C’est une loi budgétaire qui se sert des souplesses européennes autorisées, comme l’avaient déjà fait les précédents gouvernements de Matteo Renzi et Paolo Gentiloni : respecter un rapport déficit public/PIB relativement contenu, avec un excédent de quelque 1,5 % (soit de plusieurs dizaines de milliards d’euros), réalisé grâce à un volume des dépenses largement inférieur aux dépenses avant paiement de la dette. Nous sommes à des lieues de l’expansion des dépenses de mémoire keynésienne[13], que ce soit dans la version budgétaire d’octobre ou de décembre.

Deux remarques finales

Lorsque, il y a deux mois, le gouvernement a annoncé un déficit de 2,4 % et que Di Maio s’est montré jubilant au balcon[14], non seulement les anciens et les nouveaux partisans du M5S mais aussi diverses personnes de la gauche ont exulté de joie, comme si cette caractéristique du déficit suffisait à rendre positives les mesures financières, comme si cela constituait une remise en question de la fameuse norme antisociale de l’équilibre budgétaire, intégrée à la Constitution [en 2012].

Pour évaluer les conséquences d’une dette et d’un déficit, il faut examiner quelle utilisation est faite des ressources, à quoi elles sont affectées, à quels besoins sociaux. Il faut bien saisir la nature injuste d’une dette et agir pour son annulation. Il faut également comprendre que la dette publique qui a pris forme au cours des dernières décennies résulte des réductions et des arrangements fiscaux que ce gouvernement continue de concéder aux classes possédantes et aux entreprises. Ce qui signifie que la priorité doit être la réintroduction d’un système fiscal fortement progressif, d’une nouvelle fiscalité pour les entreprises et d’un impôt sur le patrimoine. Ce qui nécessitera une bataille frontale avec le patronat.

La poudre aux yeux du -2,4 % de la Lega et du M5S, comme les mesures violentes contre les immigrés et le décret sur le soi-disant ordre public, n’ont servi qu’à jeter un voile sur la vraie nature de la loi budgétaire, rendant plus difficile la construction d’une mobilisation, d’une opposition politique et sociale. Nous devrons nous atteler à cette tâche au cours de la nouvelle année, avec une campagne de masse au fur et à mesure que les nœuds de la loi sur le budget viendront au peigne.

Personnages en quête d’auteur

Nous exprimons ici un jugement sur les divers protagonistes de la bataille de cet automne, un peu comme on le fait à la fin d’un match de foot.

Les personnages de Bruxelles, les Juncker, Moscovici, Valdis Dombrorovski [depuis 2014, commissaire pour l’Euro et le Dialogue social, ex-premier ministre de Lettonie], sont de vrais scélérats au service des potentats économiques et financiers du capitalisme européen qui ont mené un jeu expérimenté, mené avec grande détermination, mais aussi avec une réelle capacité de médiation, contraints de tenir compte de ce qui se passe à travers tout le continent.

Les dirigeants du Parti démocratique ont fait œuvre d’hommes de main, défendant à outrance les règles du libéralisme et les politiques d’austérité. La Lega est l’expression d’une petite et moyenne bourgeoisie avide, pleine de rancoeur, cramponnée à sa chose ; son chef, secondé par son groupe de communication, est cynique, sans scrupule, occupé à semer haine et racisme ; il pourrait faire encore bien des choses dans le futur. Le M5S est l’insoutenable légèreté de l’être de la petite bourgeoisie bureaucratique, intellectuelle, entrepreneuriale du Web, dont les militants n’ont pas une idée bien claire de la réalité de l’État ni de la société capitaliste. Son leader est une personne arrogante et hypocrite, ayant traversé les événements par miracle et fort peu préparé à sa tâche.

Le président de la République Sergio Mattarella se pose, tout comme son prédécesseur, en garant de la stabilité de l’Etat capitaliste italien, de son rôle européen, des intérêts de la bourgeoisie italienne. Ce faisant il oublie son rôle de garant des principes démocratiques et civils exprimés dans la Constitution, lorsque par exemple il signe sans hésiter le décret Salvini [Decreto sicurezza], aussi violent qu’anticonstitutionnel.

Un rôle de médiation entre les intérêts bourgeois et les spécificités italiennes a été tenu, à la surprise générale et grâce à un rapide apprentissage ainsi qu’à l’aide des grands commis de l’Etat, par [le ministre de l’économie et des finances] Giovanni Tria, par [le ministre des affaires étrangères] Enzo Moavero Milanesi et par le chevalier pâle [et président du Conseil des ministres] Giuseppe Conte, qui a conquis une crédibilité nationale et internationale qui va peut-être lui permettre d’envisager une vraie carrière politique.

Franco Turigliatto. Article publié le 22 décembre 2018 sur https://anticapitalista.org/; traduction par Dario Lopreno. Publié sur Alencontre.org

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[1] La Lega (qui se donne la couleur jaune), dont le principal dirigeant depuis 2013 est Matteo Salvini, actuel ministre de l’Intérieur (et de facto président du Conseil des ministres officiellement présidé par l’indépendant Giuseppe Conte), et le Movimento cinque stelle (M5S, Mouvement cinq étoiles, qui se donne la couleur verte), dont le principal dirigeant est Luigi Di Maio, actuel ministre du Développement économique, du travail et des politiques sociales, sont les deux partis gouvernementaux qui, avec quelques confettis indépendants, ont formé le 65ème gouvernement. Il est en place depuis le début juin 2018. En décembre 2017, après 28 ans d’existence centrée sur un régional-identitarisme italien du Nord anti-méridional, au verbe xénophobe, anti-extra-européen et raciste ainsi qu’une politique économique néo-conservatrice classique, la Lega Nord a effacé le mot Nord, supprimé son symbolique soleil sur les Alpes et étendu ses sections au Sud, pour devenir la Lega tout court. Elle déplaçait ses frontières vers un national-identitarisme italien. Elle est passée de 4% des voix (élections nationales de 2013) à 17% (mars 2018) et à 31% des intentions de votes (sondages de novembre 2018). Le M5S, au programme politique et économique extrêmement flou, véhiculé par un discours vague et moraliste anti-gros, anti-corrupution, anti-étatique, est dirigé depuis septembre 2017 par Luigi Di Maio. Après la victoire électorale de mars 2018 (33% des voix) Di Maio a été nommé « chef politique » central, concentrant des pouvoirs personnels extrêmement étendus sur le parti, ses sections et ses parlementaires. [ndt]

[2] Le fiscal compact, intégré à la Constitution italienne en 2012, consiste dans l’adaptation au niveau de la législation budgétaire italienne du Pacte budgétaire européen, nommé aussi fiscal compact ou Traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance (TSCG, en vigueur dès 2013), de l’Union européenne (sauf le Royaume-Uni, la République tchèque et la Croatie). C’est un programme-cadre de mesures d’austérité axées sur la réduction de la dette publique (provenant de la diminution des rentrées fiscales en provenance des riches, sans parler de ceux qui – membre des sommets de cette fraction – ne paient quasi pas d’impôt) et sur l’équilibre budgétaire (débouchant sur les coupes dans la politique sociale pour le reste de la population). L’objectif formel consiste dans la «ne?cessite? de faire en sorte que [le] de?ficit public ne de?passe pas 3 % [du] produit inte?rieur brut aux prix du marche? et que [la] dette publique ne de?passe pas 60 % [du] produit inte?rieur brut aux prix du marche? ou diminue a? un rythme satisfaisant pour se rapprocher de cette valeur de re?fe?rence». Il s’agit de ramener la dette publique, en 20 ans, à 60% du PIB. (cf. Commission européenne, Italie. Rapport e?tabli conforme?ment a? l’article 126, paragraphe 3, du traite? sur le fonctionnement de l’Union europe?enne, Bruxelles, 21/11/2018; Texte du Traité sur https://www.consilium.europa.eu/media/20386/st00tscg26-fr-12.pdf). [ndt]

[3] Ansa, Def, Salvini: «Se Ue boccia la Manovra noi andiamo avanti». Di Maio frena: «No scontro», quotidien La Repubblica, Rome, 28/09/2018. [ndt]

[4] Le Parti démocratique (PD), fondé en 2007, est un parti néo-libéral souvent taxé «de centre-gauche» voire «de gauche», issu de secteurs importants de l’ex-Parti communiste italien et de l’ex-Démocrate-chrétienne. Les présidents du Conseil des ministres en étaient membres de 2013 à 2018 (Enrico Letta, Matteo Renzi, Paolo Gentiloni). Après sa défaite aux élections nationales de mars 2018 (étant passé de plus 33% des voix en 2008 à moins de 19% en 2018), il a cédé la place au gouvernement de la Lega et du M5S (gouvernement jaune-vert). [ndt]

[5] La loi dite esclavage : «Le 12 décembre, le Parlement hongrois votait une loi qui porte à 400 heures le nombre des heures supplémentaires annuelles que les employeurs pourront demander à leur salarié·e·s, payable trois ans plus tard. Une proposition bien accueillie par les transnationales fortement implantées en Hongrie et par leurs sous-traitants. Cela d’autant plus que le blocage de l’immigration ne permet pas de détendre ledit marché du travail», peut-on lire dans la Déclaration de la Confédération des syndicats hongrois sur «la loi esclavage», publiée le 20 décembre 2018 (traduite de l’anglais depuis le site labourstart.org, sur le site alencontre.org). [ndt]

[6] Le décret sur la sécurité (Decreto sicurezza) met dans un seul texte législatif les mesures contre l’immigration illégale, les demandes d’asile et les réfugiés, l’anti-terrorisme, la lutte contre les criminalités organisées. Il rend plus difficile l’accès et le séjour des illégaux, des requérants d’asile et des réfugiés statutaires, il réduit les mesures dites d’intégration et facilite les révocations de permis d’asile et de séjour, il introduit d’importantes économies en matière de politique sociale pour ces catégories d’étrangers, il rallonge la détention administrative et augmente significativement les moyens pour l’expulsion, etc. (cf. Decreto-legge 4 ottobre 2018, n. 113, Gazzetta Ufficiale n. 231 del 4 ottobre 2018. «Disposizioni urgenti in materia di protezione internazionale e immigrazione, sicurezza pubblica, nonché misure per la funzionalità del Ministero dell’interno e l’organizzazione e il funzionamento dell’Agenzia nazionale per l’amministrazione e la destinazione dei beni sequestrati e confiscati alla criminalità organizzata», sur http://www.senato.it/). [ndt]

[7] Il s’agit ici des clauses de sauvegarde de la TVA: c’est-à-dire les réserves destinées à amortir économiquement les pertes dues à la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), en sanctionnant fiscalement l’Etat où se produit une importante fraude, afin de «re?duire l’e?cart de TVA qui correspond a? la diffe?rence entre les recettes de TVA escompte?es et la TVA effectivement perc?ue par les autorite?s fiscales. Cet e?cart de TVA a atteint le niveau alarmant de pre?s de 160 milliards d’euros [en 2016], la fraude transfrontie?re repre?sentant environ 50 milliards d’euros de pertes de recettes chaque anne?e» (cf. Commission européenne, Directive modifiant la directive 2006/112/CE relative au syste?me commun de taxe sur la valeur ajoute?e, Bruxelles, 21/12/2016; «Informazione fiscale, Clausole di salvaguardia: cosa sono e cosa prevedono?» sur https://www.informazionefiscale.it/clausole-di-salvaguardia-cosa-sono-aumento-iva). [ndt]

[8] Le sénateur Pietro Grassi, d’une petite formation de la gauche néo-conservatrice, a expliqué au quotidien La Repubblica que «ni les sénateurs de la majorité ni ceux de l’opposition savent avec certitude ce qui figure dans ces pages [du décret], parce que nous n’aurons pas eu le temps de les étudier» (Silvio Buzzanca, Monica Rubino, Manovra, «Bagarre in Senato: il governo pone la fiducia. Il Pd non partecipa al voto: Ricorso alla Consulta», quotidien La Repubblica, Rome, 22/12/2018). [ndt]

[9] Le «revenu de citoyenneté» (reddito di cittadinanza) est une sorte de revenu de base minimal, pour certaines catégories de la population. Au départ, en période de campagne électorale, il devait s’élever à 780 euros par mois. Aujourd’hui il n’est pas encore mis en place, mais il semble qu’il sera modulé selon le revenu disponible du ménage (pondéré par un coefficient relatif à ses membres), pouvant descendre jusqu’à 80 euros mensuels. Il serait notamment exclu pour ceux qui ont 5000 euros ou plus à la banque ou pour ceux qui viennent d’acquérir un nouveau véhicule automobile («Reddito di cittadinanza : cos’è, come funziona, requisiti ISEE e domanda», sur guidafisco.it ; ISEE sur pmi.it ; «Scala di equivalenza Isee», sur statistica.regione.emilia-romagna.it ; Eugenio Occorsio, Reddito di cittadinanza, i nuovi conti: la cifra può crollare da 780 a 80 euro, quotidien La Repubblica, Rome, 15/12/2018). [ndt]

[10] La réforme des retraites dite quota 100 (l’addition de l’âge de la retraite et du nombre d’années de cotisations pour la retraite devant être égal à 100), soit une pleine retraite à 62 ans d’âge et 38 ans de cotisations (62+38=100) est inatteignable pour tous ceux et celles qui n’ont pas travaillé non-stop ; elle est par ailleurs prête à être repoussée respectivement à 64 ans et 40 ans (devenant ainsi quota 104 sans changer toutefois de nom). Pour l’heure, les deux réformes, revenu de citoyenneté et quota 100, sont impossibles à couvrir financièrement avec les mesures budgétaires prises dernièrement (Simone Micocci,« Pensioni: da Quota 100 a Quota 104, così potrebbe cambiare la riforma», money.it, 04/12/2018). [ndt]

[11] Il s’agit du «système rétributif» des cotisations pour les caisses de retraites. Système rétributif, nommé aussi régime de primauté des prestations: les rentes sont octroyées en fonction du dernier salaire ou de la moyenne des x derniers salaires, tout en tenant compte du nombre d’années de cotisations; l’institution de prévoyance veille à ce que les cotisations des employeurs et des employés, auxquelles s’ajoutent les revenus des placements, financent les prestations versées aux assurés. Système contributif, nommé aussi régime de primauté des cotisations: les prestations versée aux assurés sont calculées sur la base du capital épargné – cotisations plus intérêts – auprès de l’institution de prévoyance; lors de la retraite; le capital épargne accumulé est converti en rente de vieillesse au moyen d’un taux de conversion (la très large majorité des caisses de prévoyance de Suisse fonctionnent actuellement selon ce système). [ndt]

[12] La flat tax (signifiant taxe plate) est une fiscalité non progressive, avec un taux unique, indépendant du revenu du contribuable. En tant qu’impôt proportionnel non progressif, il est donc socialement inégalitaire. [ndt]

[13] Keynésien provient du nom de l’économiste britannique John Maynard Keynes, ayant vécu de 1883 à 1946 ; il préconisait notamment des programmes de dépenses publiques ; cette injection soutient la demande effective dans le but de relancer et de soutenir la demande effective qui, à son tour, influe sur le niveau de production (et contribue à amortir les «oscillations économiques») et par voie de conséquence sur l’emploi. [ndt]

[14] Le 27 septembre au soir, alors que des parlementaires et des membres du M5S fêtaient, comme s’il s’agissait d’un grand événement, le premier accord de rigueur budgétaire conclu entre la Lega et le Mouvement (l’accord avec 2.4% de déficit, sur lequel les deux partis reviendront de toute façon 70 jours plus tard), le dirigeant du M5S et ministre du développement éconmoique, du travail et des affaires sociales, Luigi Di Maio, est apparu avec tous les ministres de sa formation au balcon de Palazzo Chigi (le siège du gouvernement), saluant la foule, rappelant de tristes prestations du passé historique italien (cf. Filippo Cerccarelli, «L’esultanza dal balcone, antico vizio del potere», quotidien La Repubblica, Rome, 28/09/2018). [ndt]