Après de longues années de combat syndical, politique, militant et judiciaire mené par quelques camarades de Sud PTT, puis par l’ensemble de Solidaires avec l’appui de la CGC, le procès des dirigeants de France Télécom s’était enfin ouvert en mai, juin, juillet 2019, aboutissant à la condamnation de plusieurs de ses dirigeants, pour harcèlement moral, suite à la vague dramatique de suicides dans l’entreprise entre 2005 et 2009. Le procès en appel s’est tenu en mai-juin 2022 et le jugement qui confirme les chefs d’accusation en allégeant les peines, vient d’être rendu public.
Le jugement d’alors était historique et fait désormais jurisprudence pour tout ce qui concerne les faits de restructurations/licenciements/suppressions d’emploi, qui ont eu pour objet et pour sujet un harcèlement obstiné et dramatique des salariés dont la direction est désormais clairement considérée comme responsable et coupable de drames humains qui auraient pu être évités. En 46 audiences d’alors, tout une politique managériale toxique avait été décortiquée, mesure après mesure, tandis que les victimes avaient enfin un nom et une histoire, retrouvaient un minimum de dignité de salariés bafoués, insultés, bousculés, découragés, humiliés.
Rien n’était joué tant la direction, très entourée par une véritable cohorte d’avocats très agressifs, a tenté par tous les moyens d’évoquer le changement de statut de l’entreprise qui l’avait mis en difficulté du fait des “sureffectifs”, les résistances du personnel à tout changement du fait du statut de fonctionnaire, la pression des marchés financiers.
Pour autant les témoins et parties civiles ont réussi à imposer une autre vision de l’entreprise, celle qui passe en force dès lors qu’il s’agit d’augmenter ses “marges” (à l’époque très confortables, la “crise” de la bulle spéculative de 2000 est terminée) et de gouverner par la terreur. Et surtout, des responsables ont été désignés, même si leurs “peines” ont été diminuées, l’essentiel est qu’en appel, ils sont restés désignés responsables de la “Crise” de France Télécom avec ses nombreux suicides mais aussi ses nombreuses dépressions nerveuses dont beaucoup de collègues ne se sont jamais remis réellement.
Ces actions courageuses et exemplaires nous rappellent le rôle des organisations syndicales combattives et celui des Instances représentatives du personnel, quand ces dernières sont investies par des membres militants. Car le premier point d’appui pour dérouler le fil de la condamnation, fut celui des multiples CHSCT qui avaient fait jouer leur droit d’alerte sur les dangers pour la santé du personnel que comportaient les réorganisations sur lesquelles ils étaient amenés à se prononcer…Les compte rendus officiels prouvaient en amont, sans discussion possible, que les représentants du personnel avaient alerté la direction sur un danger grave et imminent, qu’elle avait donc mis en œuvre ces réorganisations en toute connaissance de cause, elle n’avait plus donc qu’à assumer la responsabilité pénale de ses actes.
Il n’est pas toujours facile pour une organisation syndicale de décider de s’attaquer pénalement à un groupe aussi puissant que France Télécom… mais l’enjeu en valait la chandelle pour tous les salariés. Il fallait réussir à condamner ces pratiques pour pouvoir les interdire.
Hélène Viken