Il y a désormais plus d’un demi-siècle – 57 ans, précisément – que la répression policière a provoqué la mort de huit manifestants (1) au Métro Charonne, le 8 février 1961.
Organisée par le Parti communiste et la CGT, cette manifestation avait pour objectif de protester contre les crimes de l’OAS (2) et de réclamer la paix en Algérie, notamment grâce la reprise et à l’accélération du processus de négociation entre le gouvernement français et les combattants algériens. Au début de cette année 1962, les commandos de l’OAS multiplient les attentats en France métropolitaine, notamment à Paris, contre les domiciles de personnalités hostiles (ou supposées hostiles) à la poursuite de la guerre coloniale. Ainsi, en janvier, c’est Jean-Paul Sartre qui a été visé. Le 7 février, une dizaine d’explosions s’en prennent à des journalistes, des universitaires, au dirigeant communiste Raymond Guyot, ainsi qu’à André Malraux, alors Ministre d’État et Ministre de la Culture : la bombe qui éclate dans son immeuble défigure Delphine Renard, une fillette de 4 ans. La publication par quelques grands quotidiens de la photographie de son visage ensanglanté suscite une émotion considérable.
Le soir même, une réunion intersyndicale débouche sur un appel unitaire à manifester le lendemain, place de la Bastille, à 18h30. Il s’agit d’abord d’un appel syndical signé par la CGT, la CFTC (note), l’UNEF, le SGEN (note), la Fédération de l’Éducation nationale (FEN) et le Syndicat national des Instituteurs (note). La manifestation est interdite. Pour déjouer l’interdiction et manifester quand même, les organisateurs appellent à constituer plusieurs cortèges à la sortie des stations de métro à proximité de la place de la Bastille ; ces cortèges devront ensuite converger vers la place.
En pratique, les forces de police dispersent violemment les rassemblements en formation. Plusieurs milliers de manifestant parviennent néanmoins à se regrouper entre la place Voltaire et le métro Charonne. La charge policière est d’une très grande violence. Les manifestants sont repoussés vers la bouche de métro Charonne et matraqués. Les policiers leur jettent des grilles d’arbres et des grilles d’aération du métro. Huit manifestants meurent étouffés ou à cause de fractures du crâne consécutives aux matraquages. Un neuvième manifestant décède quelques semaines plus tard des suites de ses blessures.
Tous les morts sont adhérents de la CGT et, pour la plupart, membres du Parti communiste. Ou des Jeunesses communistes, comme Daniel Féry, un apprenti âgé de 15 ans : c’est pour lui rendre hommage, ainsi qu’aux autres victimes que Lény Escudero écrira la chanson « Je t’attends à Charonne », en 1967. Le pouvoir tente en vain de rejeter la responsabilité du massacre sur la « violence » parfaitement fictive des manifestants. Mais, par leur décision d’interdire la manifestation comme par les consignes de « fermeté » données aux forces de répression, il apparaît clairement que ce sont les principales autorités de l’État qui portent la responsabilité du crime : le Ministre de l’Intérieur (Roger Frey), le Préfet de police (Maurice Papon), le Premier ministre (Michel Debré) et, naturellement, le Président de la République (Charles de Gaulle).
Le 13 février 1962 est marqué par de nombreux arrêts de travail et une énorme manifestation (3) défile dans un silence imposant jusqu’au cimetière du Père-Lachaise, où sont enterrées plusieurs des victimes. Par la suite, la « manifestation de Charonne » et sa répression sanglante sont incorporées à la mémoire collective du peuple de gauche et des anticolonialistes. Au point d’occulter en partie, pendant plusieurs décennies, la mémoire d’une autre manifestation réprimée de manière plus sauvage encore. En effet, quelques mois avant Charonne, le 17 octobre 196, cette même police déjà sous les ordres de Maurice Papon et de Roger Frey avait massacré en plein Paris plusieurs centaines de manifestants algériens qui, à l’appel de la Fédération de France du FLN (Front de libération nationale) manifestaient pacifiquement contre le couvre-feu auquel ils étaient astreints. Là encore, le pouvoir gaulliste avait couvert ces exactions. Là encore, les assassins n’ont jamais eu à répondre de leurs actes.
A l’heure où le pouvoir politique et les grands médias déversent à jet continu leurs louanges sur les mérites de la « police républicaine », il n’est vraiment pas inutile de revenir sur les solides traditions en matière de répression et de sauvagerie qui sont celles de cette police.
François Coustal
Notes
Note 1 : Huit manifestants et manifestantes sont morts le 8 février au soir. Un neuvième manifestant décède des suites de ses blessures en avril 1962.
Note 2 : Regroupant les ultras de l’Algérie française, l’Organisation de l’Armée Sécrète s’est créée dans la foulée de l’échec du putsch des généraux (avril 1961). Pour s’opposer à la marche à l’indépendance de l’Algérie, elle multiplie les attentats contre les personnalités gaullistes accusées d’avoir trahi la cause de l’Algérie française et contre les responsables de gauche engagés soit dans la lutte pour la paix en Algérie soit dans le soutien au FLN.
Note 3 : Le gouvernement conteste alors évidemment le chiffre d’un million de manifestants avancé par l’Humanité. Mais le Monde et le Parisien évaluent la participation à 500.000 manifestants.