Nombres d’évènements qui ont marqué l’actualité de ces derniers mois, pour ne pas dire ces dernières années, incitent à s’intéresser à la présence de l’extrême droite dans la police, dans l’armée et aussi dans la pénitentiaire. La radicalisation des militaires, fonctionnaires de police et agents pénitentiaires est un fait, des incidents impliquant ces professionnels ont fait l’actualité dans l’hexagone au cours des dernières années, qu’ils aient commis des actes discriminants, racistes, violents ou fait circuler des contenus extrémistes.
Lorsque l’on étudie cette question, il est important de garder à l’esprit que dans les institutions dans lesquelles ces personnels évoluent, un certain niveau de patriotisme n’est pas révélateur d’une radicalisation. Toutefois, « poussées » au-delà de certaines limites, ces motivations peuvent donner lieu à des comportements qui n’ont rien à voir avec la mission des organisations concernées et peuvent offrir un terrain fertile à la radicalisation et au recrutement.
Pourquoi ces métiers ? On peut y voir aussi plusieurs facteurs d’intérêts :
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Accès à la formation professionnelle : l’accès à une formation avec des armes peut constituer une motivation forte à rejoindre l’armée ou les forces de l’ordre pour des individus déjà radicalisés. Certaines personnes cherchent à améliorer leur forme physique et leur manipulation des armes pour pouvoir s’en servir dans d’autres contextes. C’est particulièrement le cas des personnes cherchant à renverser la société ou le gouvernement.
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Composante idéologique : En particulier pour l’extrême droite, être militaire peut contribuer « à asseoir la crédibilité d’une personne puisque cela confirme le fait qu’elle lutte pour défendre son pays ». On a pu constater, au cours des dernières années, que les milieux de l’extrême-droite ont multiplié les recrutements de personnes travaillant ou ayant travaillé dans l’armée ou les forces de l’ordre. Ceci peut aussi inciter des personnes déjà radicalisées à rejoindre ces institutions.
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La culture organisationnelle ou le corporatisme de ces métiers se caractérisent par un fort sentiment d’appartenance et de cohésion et créent une atmosphère dans laquelle les membres de ces services, qui seraient prêts à signaler les cas éventuels de radicalisation et d’extrémisme, se retrouvent dans la plus grande difficulté car « dénoncer un collègue ne se fait pas ».
« Pro patria vigilans »
S’intéresser au syndicalisme dans la police est une des clefs pour mieux comprendre la présence de l’extrême-droite dans la police. Ce phénomène n’est pas nouveau (1). Il est fréquent que dans les réseaux militants d’entendre dire que le syndicat Alliance (affilié à la CFE/CGC) est un syndicat d’extrême droite. C’est méconnaître le syndicalisme policier et cette idée est à déconstruire. Alliance est un syndicat de droite et même de droite extrême. Cependant, il existe bien des syndicats d’extrême droite dans la police. Le plus ancien des syndicats de police classés à l’extrême-droite n’est autre que la Fédération professionnelle indépendante de la Police (FPIP). C’est aussi le cas du syndicat France Police qui, par opportunisme, accolera (à la suite du mouvement des policiers de 2016 et la création des « collectifs » comme Mouvement des policiers en colère » (MPC)) « Policiers en colère » à son nom. Sans oublier la CFTC qui a toujours servi de refuge pour l’extrême droite policière avec Impact Police-CFTC. Il apparaît aussi que les policiers votant à l’extrême droite lors des différents scrutins institutionnels ne portent pas forcément leurs suffrages sur les listes des syndicats d’extrême-droite policiers.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène : le choix d’un syndicat « majoritaire » siégeant déjà dans les instances administratives paritaires, le mépris pour le syndicalisme par les personnes se réclamant de cette idéologie… On peut penser que ces personnes ont trouvé refuge dans les syndicats policiers classés à droite à l’image de ceux affiliés à la confédération CFE/CGC : Alliance Police nationale pour les gardiens et gradés, Synergie Officiers pour les officiers et le Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP) pour les commissaires (on ne parle ici que des syndicats des personnels dits « actifs » sachant qu’au sein de la CFE/CGC se trouvent également des syndicats pour les personnels administratifs, techniques, scientifiques).
Quant aux scrutins institutionnels, plusieurs sondages et enquêtes sociologiques ont montré la progression du vote pour le RN dans l’ensemble du corps des fonctionnaires depuis 2005 et 2007, et tout particulièrement chez les policiers. La quantification du vote policier lors des élections politiques nationales, suite aux enquêtes Sciences Po/CEVIPOF qui suivent le phénomène de l’implantation du RN dans la fonction publique, donne à l’occasion du premier tour des présidentielles de 2017, un vote pour le RN de 54 %, même si l’auteur indique qu’il faut la relativiser au vu de la faiblesse de l’échantillon (une des enquêtes porte sur 3368 fonctionnaires d’État et seulement 60 policiers). Il ne faut pas oublier la floraison d’éléments issus des réseaux sociaux, que ce soient les groupes de policiers, de femmes de policiers, dans lesquels la parole d’extrême droite se libère allégrement, mais aussi le fait de montrer son adhésion idéologique en arborant des insignes sur les uniformes et des tatouages.
Militaires, à droite toute : décryptage de la Grande Muette
La tendance droitière des militaires se confirme, l’attachement à des valeurs d’ordre, de service de la nation, de valorisation de l’unité de cette dernière ainsi que de défense du « pré carré national » contre les menaces internes et externes sont autant de soubassements forts de leur attirance pour la droite. Le dernier sondage qui a été réalisé pour le magazine de gendarmes « L’Essor », les résultats montrent qu’aux dernières présidentielles, au premier tour, 69% des gendarmes ont voté pour un des deux candidats d’extrême droite : 38% pour Le Pen et 31% pour Zemmour.
Au second tour, le vote est encore plus important : 81% des gendarmes vont voter Le Pen. Sur un escadron de gendarmes mobiles qui est présent pour une manifestation, pensez qu’au moins 8 militaires sur 10 ont voté pour l’extrême droite.
Le profil de militaires ou ex-militaires ressort avec insistance dans les dossiers de cellules terroristes ou proto-terroristes démantelées ces dernières années par les forces de sécurité. La tendance n’est toutefois pas neuve, rappelle l’historien et politologue Stéphane François. Notamment, souligne le spécialiste de l’extrême droite, car pour qui ambitionne de mener la « guerre civile raciale » ou de prendre le pouvoir par la force, le besoin de s’attacher à des membres des forces armées est une évidence. « Une composante séditieuse au sein des forces armées » : Si elles semblent se multiplier, les affaires comportant des mises en cause passées ou encore en poste au sein de l’armée ne sont toutefois pas une nouveauté. « Ces liens entre extrême droite et armée se retrouvent même dès le début du XX e siècle, comme explique l’historien Stéphane François, en raison de valeurs communes, par exemple leur peu de sympathie pour la démocratie parlementaire et leur appétence pour l’ordre, le patriotisme ou même le Nationalisme, tout autant que du fait de traditions ancrées chez les vieilles familles catholiques traditionalistes. »
On ne compte plus le nombre d’appels à un coup d’État militaire revenu avec la queue de comète du mouvement de 2013 contre le projet de loi Taubira. L’appel récurrent relatif à une insurrection des forces armées, le rêve d’un putsch militaire était un sujet en vogue alors. La présence de familles de militaires, souvent catholiques traditionalistes au sein de LMPT attisait les supputations sur l’intervention des forces armées en politique. L’idée d’un putsch militaire semblait liée à un lointain passé.2
Le déni pour ligne de défense
Depuis un moment maintenant, dans les mobilisations du mouvement social, envers les manifestants opposés à la réforme des retraites, ou ceux opposés au projet controversé de retenue d’eau (« mégabassine ») de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) et récemment lors des émeutes ayant suivi la mort de Nahel tué par un policier, la France et sa police ont été à plusieurs reprises critiquées pour un « usage excessif de la force par les forces de l’ordre ».
Avec l’affaire Nahel et les émeutes, un cap a été franchi, des militants d’extrême droite ont déambulé par dizaines dans les rues de plusieurs villes (Lorient, Angers, Chambéry, Lyon). Masqués ou cagoulés, parfois armés de battes et de bâtons, ils ont crié des slogans racistes ou s’en sont pris à des individus dans la rue. Les images de ces défilés, relayées sur les réseaux sociaux par des militants antifascistes et des élu·es, laissent apparaître un fonctionnement de milices désireuses d’intimider, de se substituer ou d’être les supplétifs aux forces de l’ordre, alors que les émeutes se poursuivaient. Ces actions sont le prolongement des attaques violentes et menaces de groupuscules d’extrême droite aux quatre coins du pays ces derniers mois
Le gouvernement continue à chaque fois de justifier le bien-fondé de sa politique répressive, jugeant les propos contre la répression « excessifs ». La seule réponse qu’il donne à chaque fois et de « prendre des mesures pour garantir des enquêtes impartiales par des organes internes à la police dans tous les cas d’incidents racistes impliquant des policiers ».
Concernant la présence de militaires néonazie au sein des forces armées, dans les discours de la ministre et de ses troupes, on retrouve les éléments de langage ressortis depuis 15 ans à chaque nouveau cas de militaire faisant l’apologie du nazisme ou d’autres mouvements d’ultradroite. Florence Parly a évoqué au début « des dérives individuelles » (il y aurait donc 50 dérives individuelles…), « des armées reflet de la population française », après un passage dans les médias et de la communication sur les réseaux sociaux, avec peut-être cette fois une différence : les discours officiels pourraient être suivis d’effets.
L’affaire du canal Telegram « FrDeter » a remis en évidence le fond du problème, nombres d’entre eux se prétendaient effectivement policiers, gendarmes et militaires.
La radicalisation et le racisme au sein de ces institutions est alarmant et influence considérablement la façon dont ces institutions sont perçues par le public et donc leur légitimité et l’acceptation par les citoyens.
Camille Boulègue
1 https://ensemble-mouvement.com/police-et-extreme-droite-un-melange-explosif/
2 https://gauche-ecosocialiste.org/extreme-droite-la-tentation-des-armes/