Reconnaissons-le, il est assez surprenant d’évoquer le mouvement féministe à partir du Mundial de foot, fut-il féminin. Pourtant, l’équipe féminine espagnole vient de remporter une victoire majeure pour les droits des femmes.
Petit rappel pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi le détail :
L’équipe féminine espagnole vient de gagner le Mundial, les joueuses fêtent leur victoire comme il se doit devant les caméras du monde entier. C’est alors que Rubiales, président de Fédération Espagnole de Foot, prend entre ses mains le visage de Jenni Hermoso et lui impose un baiser sur les lèvres. Juste avant, ce grossier personnage machiste avait saisi ses testicules pour saluer le but de la victoire, toujours devant les caméras.
Jenni Hermoso réagit immédiatement en déclarant spontanément : « ça ne m’a pas plu ! ». Les joueuses, alors prises dans ce moment de fête et de bonheur, réagissent ensuite, dans le bus, et manifestent toutes leur soutien à Jenni. Leur solidarité se révèle sans faille. Ainsi, dans une déclaration, les 23 joueuses annoncent leur refus de jouer dans l’équipe nationale tant que Rubiales sera à la tête de la Fédération.
Jenni Hermoso déclare « être victime d’une agression, un acte impulsif, machiste… sans aucun type de consentement de ma part » ; Aïtana, candidate au Ballon d’Or féminin, se prononce en ces termes : « certaines limites ne peuvent être franchies et nous ne pouvons pas tolérer cela. Nous sommes avec toi, camarade ». Ce ne sont que deux exemples parmi les multiples déclarations faites ces derniers jours. En réalité, le monde du foot s’est divisé. Si Javier Tebas, président de la Liga, et des clubs de foot, comme le Barça ou Seville, ont dénoncé Rubiales, il n’en va pas de même du côté de la Fédération de Foot Féminin, dirigée par des hommes. Les responsables vont jusqu’à tenter de faire dire aux images que le baiser était consenti. Pire, la Fédération va jusqu’à publier un faux communiqué de Jenni Hermoso : selon ce texte, scandaleux, elle aurait déclaré que « c’est un geste naturel d’affection et de remerciement ». Rubiales, Vilda (l’entraineur) et la Fédération font pression sur la joueuse pour qu’elle fasse une vidéo commune avec Rubiales afin de tenter d’éteindre l’incendie. Mais elle n’a pas bougé d’un mm, forte du soutien des joueuses mais aussi au vu des réactions qui se sont exprimées bien au-delà du milieu du foot.
Fait incroyable, la victoire au Mundial est éclipsée par le scandale Rubiales. Il ne s’arrête pas aux frontières puisque le monde entier a vu le baiser et le geste grossier.
Rapidement, le sujet devient omniprésent dans la presse, les télés, parmi les politiques et dans l’ensemble de la société. Le chef du gouvernement Pedro Sanchez, Yolanda Diaz de Sumar, Irene Montero de Podemos et ministre de l’Egalité soutiennent Jenni H. et demandent la démission de Rubiales.
Ce dernier commence par refuser et fait preuve d’une arrogance sans nom lors de l’assemblée de la Fédération, affirmant que le baiser était consenti et même recherché, répétant cinq fois « je ne démissionnerai pas » sous les applaudissements de la salle.
Mais c’était sans compter le mouvement féministe, puissant dans l’Etat espagnol. Des lois ont récemment traduit en droits ses revendications. Des débats l’ont agité et divisé, en particulier à propos de la loi « Solo Si es Si » (à propos du consentement) et de la loi Trans. Des signes inquiétants sont apparus à gauche lors des dernières élections, le PSOE se démarquant au nom d’un féminisme fédérateur », Sumar excluant Irene Montero, la ministre, de ses listes. Il est en outre évident que le mouvement féministe et ses revendications constituent un élément majeur de la polarisation politique à l’œuvre avec la résurgence d’un franquisme dont le sexisme est revendiqué. Mais la société vient d’imposer une victoire totale, balayant les débats sur la question du consentement : le rejet massif de l’attitude de Rubiales n’a pas d’autre signification. C’est une révolution sociale et culturelle qui a imposé la démission de Rubiales (qui va être traduit en justice) et Vilda, et le fait que le nouvel entraineur de l’équipe espagnole soit une entraineuse. Mais son impact va bien au-delà. Comme le dit Irene Montero, « Avec le cas Rubiales, nous nous rendons compte que notre société est féministe ». Il y aura un avant et un après.
Ce baiser imposé a révélé le rapport de force désormais exercé par les valeurs dominantes d’une société qui n’accepte plus les violences sexuelles et le pouvoir prédateur d’hommes de pouvoir.
Francis Viguié, Ingrid Hayes, Emmanuelle Johsua